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Manger, dormir… La cantine militaire de la gare de l’Est

Un refuge apprécié des « poilus » de passage à Paris


Dès le début du conflit, des structures d’assistance les plus diverses, tant publiques que privées, se multiplièrent à travers le pays avec la mission de venir en aide aux populations les plus fragiles. Les soldats et notamment, les permissionnaires à partir de 1915, firent l’objet d’une attention particulière. C’est ainsi que furent ouverts, notamment à Paris et dans sa banlieue, des lieux d’accueil qui leur étaient spécialement destinés. La « cantine militaire » de la gare de l’Est fut l’une des manifestations de cette solidarité. Sa « renaissance » éphémère grâce à notre association (du 5 au 7 septembre prochains) dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, sous la forme d’une évocation des valeurs qu’elle a contribué à construire, nous a incité à en savoir plus sur sa création et sur son rôle. Signalons cependant que cette étude qui repose presque exclusivement sur le dépouillement de la presse de l’époque est tributaire de tous les « à peu près » liés à ce type de source et pourrait être précisée par les archives, notamment militaires.

Bruno Carrière


Dans les premiers jours qui suivent le déclenchement des hostilités, une cantine est aménagée dans les emprises de la gare de l’Est, financée tant par l’autorité militaire que par les premières œuvres de bienfaisance privées dont le nombre croît à travers toute la capitale. Elle distribue nourriture et vêtements aux premiers évacués de Toul et de Belgique. À la suite de difficultés de fonctionnement, la gestion de la cantine est vite confiée à l’Union des femmes de France et placée sous la direction d’une toute jeune femme, Suzanne Richard. Installée depuis le 10 septembre 1914 dans les locaux de la douane, elle se maintient grâce aux subsides de l’autorité militaire et aux dons, la Compagnie de l’Est refusant toute quête dans l’enceinte de la gare. Cette situation, qui l’oblige à n’accorder la gratuité de ses secours qu’aux soldats les plus démunis, perdure jusqu’au 1er mai 1915, date à laquelle des quêtes restreintes sont enfin autorisées. Ce qui l’amène à étendre la gratuité à tous à partir du 10 octobre 1915. Mais ce n’est qu’à la fin de cette même année, conséquence de la généralisation des permissions accordées aux soldats à partir du 1er juillet, que la cantine prend toute sa dimension avec l’octroi par le conseil municipal de Paris, le 29 décembre, d’une première subvention de 10 000 francs « afin d’assurer le couchage des permissionnaires de passage à Paris », à charge pour la préfecture de Police d’assurer la bonne gestion du lieu.


Ventre plein, ventre creux


En novembre 1915, Le Petit Parisien consacre à la cantine de la gare de l’Est un premier « papier » élogieux.


« Les huit ou neuf mille à permissionnaires qui, venant du front – ou y retournant – traversent chaque jour la gare ont une surprise agréable. « La cantine aménagée à leur intention dans l’ancienne salle de visite de la douane a subi d’heureuses améliorations grâce à l’intelligente initiative de Mlle Suzanne Richard, que secondent depuis quinze mois Mmes Ragot et Hault.


« La réfection a maintenant un petit air tout à fait engageant avec ses tables couvertes de toile cirée à damier rouge et blanc, ses trophées de drapeaux, ses tentures, ses plantes vertes ; on sert là une moyenne de 300 repas chauds, gratuits pour les soldats des régions envahies et les blessés de guerre, auxquels des bons sont délivrés par la commission militaire de la gare (1).


« Un “salon” de correspondance et de lecture est à la disposition des militaires – qui paraissent apprécier beaucoup cette délicate attention.


« Une haute cloison sépare le réfectoire d’un dortoir doté de 80 lits – le nombre en sera prochainement augmenté – grâce à l’inépuisable générosité de M. Taride, délégué cantonal du dixième arrondissement.


« Les permissionnaires qui, en attendant une correspondance, devaient passer la nuit dans la gare, sont heureux d’y trouver maintenant un peu plus de confort. Un grand lavabo permet à nos poilus de faire un brin de toilette et de ne point porter en ville la boue des tranchées. » [Le Petit Parisien, 7 novembre 1915]

... aménagée dans la salle des douanes. Le Petit Parisien, 7 novembre 1915.

« Les héros sans gîte. Les permissionnaires qui passent par Paris ont droit, pour dormir aux bancs des boulevards et au pavé des rues ! » C’est sous ce titre accusateur que, quelques semaines plus tard, Le Matin, prenant le contre-pied de son confrère, dénonce le fait que toutes les nuits « plus de trois cents hommes, soldats et sous-officiers, errent dans Paris, sans asile et le ventre creux ».


« Le train arrive des confins de la bataille. Quinze cents permissionnaires sautent sur le quai. Ils sont trempés de boue jusqu’aux épaules. D’aucuns ont hâte d’aller embrasser la famille qui les attend derrière les grilles. Les vieilles mères et les enfants sont là, malgré l’absence de lumière, qui rend les rues si dangereuses.


« Mais la liberté ne s’acquiert pas si vite. Il faut que les permissions soient visées. Derrière une table, il y a deux gendarmes, deux seulement, qui, en faisant diligence, mettent deux heures à examiner toute la paperasse. Les héroïques statues de boue qui attendent en grelottant laissent entendre des mots regrettables, mais justes. Heureux Parisiens, quand les trop lentes formalités sont terminées, ils ont un asile qui les attend.


« Mais les autre, ceux de la province, qui ont une nuit à passer avant qu’un train les emmène plus loin, que deviennent-ils ?


« Il y a une cantine à la gare de l’Est, une cantine cachée qu’aucune pancarte ne désigne à ceux qui ignorent son existence. Les ressources de la cantine sont maigres et ce qu’elle offre est peu abondant. Les premiers arrivés trouvent un morceau de pain, les autres trouvent l’espoir de manger plus tard.


« C’est la nuit. Il faut coucher 150 hommes environ.


« La cantine possède 80 lits, dont 40 fournis par le mobilier national, et provenant du «décrochez-moi ça» des palais impériaux. D’autres ont été donnés par un citoyen admirable autant que modeste, qui se cache dans l’anonymat, et qui a déjà dépensé plus de 300 000 francs pour les permissionnaires.


« Quatre-vingts soldats sont donc couchés. D’autres s’étendent sur les chariots à bagages, sur les bancs, sur le sol humide du hall. Un certain nombre tente le hasard des rues s’ils ont une pièce de cent sous dans la poche, deviennent la proie des racoleurs et des racoleuses qui leur prêtent un gîte pour les dépouiller. Ceux qui n’ont pas d’argent déambulent dans les rues, sans autre espérance que de ne pas geler, et finissent par s’endormir, éreintés, sur les bancs des boulevards.


Gare de l’Est, il n’y a pas que la cantine militaire


Le Foyer du soldat Le 16 mai 1916, l'oeuvre des Foyers du soldat ouvre une antenne gare de l’Est au 131, rue du Faubourg- Saint-Martin, dans un local mis gracieusement à sa disposition par la Compagnie des chemins de fer de l’Est. « Ce foyer est spécialement réservé aux soldats quittant Paris par cette gare » [Le Petit Journal, 16 mai 1916]11. Relayant l’information, Le Petit Parisien rend compte deux semaines plus tard du succès rencontré par le nouvel établissement :


« Entre dix heures du matin et quatre heures du soir il y défile, chaque jour, sept cents militaires environ, qui y lisent, y jouent aux cartes, s’y restaurent, y écrivent leur correspondance. Un vestiaire permet aux permissionnaires de se débarrasser de leurs bagages pendant leur passage à Paris. Il trouve également au foyer tous renseignements utiles concernant l’hébergement, le couchage, etc. Enfin, des consommations hygiéniques : thé, café, chocolat, bière, sirop, limonade, bouillon, sont servies, au prix de 10 centimes. Un morceau de pain est, en outre, remis gratuitement à chacun.


« La salle, grande et claire, prélevée sur la "consigne" et étant déjà devenue trop étroite pour tous ses hôtes de passage, la Compagnie de l’Est a été sollicitée de céder une nouvelle portion de bâtiment, qui – l’ancienne demeurant affectée au restaurant – sera réservée à la lecture, à la correspondance, aux jeux, au repos. » [Le Petit Parisien, 3 juin 1916]


Le « restaurant du soldat »


« Grâce à une nouvelle libéralité américaine – la fondation Dupont de Nemours – un pavillon démontable a été installé dans la cour de la gare de l’Est, à l’intention des poilus permissionnaires. Depuis hier, un

Mme Bouchor au Foyer du soldat de la gare de l’Est. D’après le tableau du peintre Joseph-Félix Bouchor (1853-1937) conservé au Musée national de la coopération franco-américaine / château de Blérancourt, Aisne. Carte postale, coll. privée.

repas chaud leur est servi, pour la somme de 0 fr 75. 750 convives se sont ainsi restaurés entre 10 h du matin et 7 h 1/2 du soir. Il en sera de même jusqu’à la fin de la guerre.» [Le Petit Parisien, 12 avril 1917]


Le bureau de renseignements militaire


Outre la création de lits supplémentaires dans les emprises des gares du Nord et de l’Est, le préfet de Police Louis Hudelo s’emploie à mettre en place, dans le périmètre de la gare de l’Est, un bureau de renseignements militaire réservé aux permissionnaires : « Ce bureau, installé dans une baraque édifiée sur le trottoir, à l’angle du faubourg Saint- Martin et de la rue de Strasbourg, sera occupé par un sous-officier désigné par la place, et par des gardiens de la paix. Ils auront mission d’indiquer, aux soldats, leur chemin et les endroits où ils trouveront à se restaurer et à se reposer. » [Le Petit Parisien, 16 septembre 1917]


La cantine franco-américaine dite des « Deux drapeaux »


L’année 1917 est marquée par l’entrée en guerre des États-Unis. Elle se traduit par l’ouverture, en gare de l’Est, toujours à l’initiative du préfet Hudelo et sous l’égide de la Croix- Rouge américaine, d’une nouvelle cantine dite des « Deux drapeaux », placée sous la direction de Suzanne Richard : « D’autre part, M. Hudelo a fait installer, dans un chalet, près de la sortie de la gare de l’Est, située faubourg Saint-Martin, une cantine, où pourront se restaurer les soldats débarquant après la fermeture des cafés et des restaurants » [Le Petit Parisien, 16 septembre 1917]. En effet, la particularité de cette cantine est d’être ouverte la nuit : « Les soldats qui arrivent en grand nombre à Paris aux environs de minuit, alors que tous les restaurants sont fermés, y trouvent des boissons chaudes et réconfortantes. » [Le Temps, 22 septembre 1917]


« La cantine de la gare du Nord a aussi des lits, en nombre insuffisant, mais elle a des lits, et la Société de secours aux blessés y a accompli des miracles. Par contre, la gare Montparnasse n’a que trois lits pour des centaines de permissionnaires qui arrivent du front ou qui y retournent !


« Nos héroïques soldats ne se plaignent pas ; ils ont fait le sacrifice d’eux-mêmes. Mais ceux qui ont assisté à ce spectacle douloureux déplorent qu’ont leur ait donné l’occasion de le voir. » [Le Matin, 28 décembre 1915]


Suzanne Richard proteste aussitôt auprès du journal qui, dès le lendemain, prend acte du fait que son établissement « distribue jour et nuit, aux soldats permissionnaires, des repas complets ».


Le port de refuge, la halte, l’heure de repos


Le 14 avril 1916, le conseil municipal vote un nouveau secours de 10 000 francs (2). L’occasion pour le rapporteur de dresser un premier bilan de l’utilisation de la subvention initiale.


« Les installations nécessaires à l’hospitalisation des soldats permissionnaires ont été sans retard organisées ou améliorées dans les locaux de la gare du Nord et de la gare de l’Est ; les militaires ont trouvé, dans des salles de repos, des dortoirs et des cantines convenablement appropriés, l’abri et le réconfort que vous aviez souhaités pour eux.


« Des chambres leur ont été également réservées dans un hôtel du voisinage. »


« [...] Au 1er avril dernier, 50 000 permissionnaires environ avaient pu bénéficier des dispositions prises en leur faveur au nom de la ville de Paris. [...] Le service de santé ayant indiqué son désir que les militaires en permission pussent, à leur descente de train, prendre des bains et des douches, des pourparlers viennent d’être engagés dans ce but avec le propriétaire d’un établissement proche de la gare de l’Est. Ils ne tarderont pas à aboutir (3). » [Bulletin municipal officiel, 15 avril 1916]


À peine plus d’une semaine plus tard, Georges Cain, chroniqueur au journal Le Temps, confirme les progrès réalisés à la suite d’une visite rendue au peintre Théophile Steinlen (1859-1923) dans le cadre d’une enquête sur les illustrateurs témoins de la guerre. Plusieurs des « croquis » dévoilés ayant trait aux permissionnaires de la gare de l’Est, Cain décide de partir à la découverte de ce que Steinlen considère comme étant « encore aujourd’hui l’un des coins les plus émouvants de Paris ». Ses pas le conduisent à la cantine.


« Toute hésitation eût été coupable. Aussi, dès le lendemain, déférant aux justes conseils de l’ami Steinlen, prenions-nous le chemin de la gare de l’Est, et nous voici, avant l’heure du déjeuner, errant dans les salles immenses, les halls gigantesques. Nous nous adressons à un agent. Cet homme n’a pas une seconde d’hésitation :


« “Puisque vous voulez voir quelque chose de curieux et de beau, entrez là, messieurs”, et de la main, il nous désigne une sorte de cantine ou, mieux, d’abri installé à grand renfort de bancs, de tables, de châlits, de sommiers de toutes formes et de toutes dimensions. C’est le port de refuge, la halte, l’heure de repos, c’est mieux que le croûton de pain, la soupe et le verre de bière réparateurs, c’est le bon accueil, la cigarette gentiment offerte, le lit, le vrai lit avec draps et couvertures, c’est la main tendue, c’est surtout l’indulgent et honnête sourire d’une de ces dames blanches que vénèrent à si juste titre nos troupiers.


« L’une de ces admirables femmes veut bien se faire notre guide.


« - C’est indéniable, nous avons de l’ouvrage, mais cela ne compte pas… Nous sommes trois pour veiller à tout et pourvoir à la besogne, besogne d’ailleurs facile, ces vaillants soldats sont si polis, si reconnaissants de la moindre attention. Je ne saurais nier que de temps en temps il ne se présente pas quelque bonhomme ayant trop fêté la dive bouteille, mais nous sommes indulgentes par état et les pauvres braves sont excusables… On ne les pas grisés que d’encens… Certes, ce n’est pas toujours commode de les raisonner et de les coucher. Mais le lendemain, au réveil, ils trouvent pour s’accuser et s’excuser de si jolis mots ; ils vous regardent avec de si bons yeux… Et puis, à force de vivre avec les militaires, nous sommes militarisées nous aussi. Comptez que nous travaillons ici depuis les premiers temps de la guerre et que durant le seul mois de mars dernier nous avons hébergé plus de 3 500 permissionnaires… Non, nous ne sommes pas trop fatiguées. D’ailleurs, notre situation s’est fort améliorée. Dès trois heures du matin, nous pouvons nous étendre sur un sommier, et ce sommier constitue pour nous un gros progrès, car, durant les quatre premiers mois, nous n’avons eu comme sofa que des brancards. Dans deux heures, ceux qui mangent dans cette salle remonteront dans un train qui les ramènera au front ; en attendant – vous le voyez – ils lisent, écrivent, jouent aux dames, aux dominos. » [« Croquis de guerre », Le Temps, 26 avril 1916]


Le 25 décembre 1916, la cantine de la gare de l’Est offre un arbre de Noël aux permissionnaires de passage. L’occasion pour Le Temps de rappeler à ses lecteurs l’importance de cet établissement.


« On sait que la gare de l’Est est l’un des coins de Paris les plus fréquentés par nos soldats permissionnaires. Ce que l’on sait moins, c’est l’inlassable dévouement avec lequel un petit groupe des Femmes de France, sous la direction de Mlle Suzanne Richard, est venu en aide à nos soldats sans excepter les réfugiés : 15 000 repas gratuits par mois, un dortoir de 220 lits, des lavabos, des bains-douches, des journaux, et pour finir des cigarettes. Tout cela représente une dépense mensuelle d’environ 100 000 francs, et cette cantine, uniquement alimentée par la charité publique, fonctionne depuis le début de la guerre. » [Le Temps, 26 décembre 1916]


Contraints de coucher à terre, sur les trottoirs, dans les escaliers


Le 29 juin 1917, lors de la séance du conseil municipal de Paris tenue ce jour, le préfet de Police, Louis Hudelo, est interpellé par MM. Louis Rollin, Rebeillard et André Payer « sur les mesures à prendre pour assurer un abri convenable aux permissionnaires de passage dans les gares de Paris et notamment dans les gares du Nord et de l’Est ». Leur entrée en matière n’est pas sans rappeler le tableau dressé par Le Matin fin 1915.


« Quelle est la question ? Elle est bien simple : à l’heure actuelle, au 36e mois de la guerre, de nombreux permissionnaires de passage dans les gares de Paris ne trouvent pas un abri et leur couchage n’est pas assuré.


« Ils en sont réduits, notamment dans les gares du Nord et de l’Est, – où ils sont naturellement les plus nombreux – au gré de la rigueur des saisons, à se coucher à terre, sur les trottoirs, sur les escaliers, sur des chariots et le long même des avenues qui avoisinent les gares.


« Leur présence a bien vite attiré là, tout un monde interlope de mercantis, de filles, d’individus suspects, d’étrangers même (vous le savez, Monsieur le Préfet, puisque vous en avez déjà fait arrêter quelques-uns), et tout ce joli monde, profitant de l’heure propice et obscure, où la lassitude et le découragement se glissent plus facilement dans les âmes, livrait chaque soir un assaut aux forces physiques et morales de nos soldats. Il s’est passé là des scènes scandaleuses ; les incidents les plus fâcheux et les plus regrettables se sont produits. »


Au nom de ses confrères, le conseiller Rollin prend acte des « réels efforts » du préfet de Police pour remédier à cette situation. Mais, ajoute-t-il, protéger la santé morale des permissionnaires de passage ne suffit pas, il faut penser à leurs besoins et à leur bien-être, notamment leur assurer à tous un abri. Et notre homme d’établir un état des lieux.


« Vous avez à la gare de l’Est, dans les locaux de la cantine, un dortoir qui peut recevoir 130 hommes.


« Un autre dortoir est installé rue des Récollets, dans une école de la Ville, où peuvent trouver place 200 permissionnaires (4).


En banlieue aussi


L’essentiel des convois de blessés contournant la capitale, c’est en banlieue qu’il faut rechercher les premières cantines de gare, nées spontanément d’initiatives privées locales, comme la cantine dite de l’aiguillage qui « s’est donné pour objet de ravitailler les longs trains de blessés, de soldats revenant du feu ou allant au front, qui stationnent souvent assez longtemps à la gare de Versailles-Chantiers » [Le Temps, 5 octobre 1916] ou encore celle d’Argenteuil-Grande Ceinture. Mais si cette dernière est activement soutenue par la municipalité, qui lui fournit le pain et le lait, et ses administrés, qui « se font un devoir d’apporter, chacun selon ses moyens, l’obole qui permettra de joindre quelque chose au morceau de pain distribué à chacun de ces braves frappés en nous défendant » [Le Petit Parisien, 28 septembre 1914], la Cantine de l’aiguillage est souvent confrontée à des problèmes de fonctionnement. Difficultés qu’elle surmonte ponctuellement par la vente, lors de « journées » qui lui sont exclusivement réservées, de breloques telles, le 8 octobre 1916, qu’une « ravissante broche représentant la cigogne d’Alsace » ou encore, le 15 août 1917, l’épingle de cravate Rosalie, « notre baïonnette immortalisée par nos vaillants poilus, artistiquement et spécialement ciselée par le maître Falize ».


Le conflit se prolongeant, les associations ayant pignon sur rue ajoutent leur pierre à l’édifice, à l’exemple de l’Association de dames françaises à La Chapelle-Marchandises, où sont reçus les trains de blessés à diriger vers les hôpitaux parisiens, ou de l'oeuvre des trains de blessés à la gare d’Aubervilliers. La cantine de La Chapelle, financée par le banquier Auguste Thurneyssen et dont l’épouse assure la direction, fait les gros titre de la presse le 14 juillet 1915 pour avoir présidé la veille à la réception d’un premier contingent de grands blessés rapatriés d’Allemagne via la Suisse et Lyon : « Une série de cinq tables de dix couverts, dressées avec un luxe spécial, sur lesquelles des fleurs à profusion et des fruits jetaient une note de gaîté, avaient été disposées dans le grand hall ; des ambulancières, sous la direction de Mmes Thurneyssen et Silhol, assuraient le service. Un menu des plus copieux, avec du champagne, leur avait été préparé, et ce fut une joie de voir la reconnaissance de tous ces braves » [Le Petit Parisien, 14 juillet 1915]. L’importance du rôle joué par ces cantines, et leur impact sur le moral tant des soldats que des populations civiles, est bien perçu des plus hautes autorités qui n’hésitent pas à les honorer de leur présence. Le Président de la République Raymond Poincaré se rend ainsi à La Chapelle le 21 juillet 1915, son épouse à Argenteuil-GC le 29 juillet suivant.

Chaque nation alliée s’était fait un devoir d’offrir à ses soldats de quoi manger et dormir lors de leur séjour dans la capitale. Celle-ci était particulièrement prisée des permissionnaires retenus loin de leurs foyers en raison de l’occupation ennemie ou trop Loin de leur pays d’origine. Les murs des gares n’étant pas extensibles, la plupart de ces structures d’accueil, y compris celles destinées aux soldats français, étaient disséminées dans tout Paris et jusqu’en banlieue. Coll. privée.

« Un troisième se trouve dans la salle des bagages, mais il est insuffisamment aéré.


« Une caserne à proximité de la gare du Nord et de la gare de l’Est peut recevoir un certain nombre de permissionnaires ; mais ceux qui reviennent des cantonnements et des tranchées ne se sentent pas très attirés par un séjour, si rapide soit-il, dans une caserne.


« Ces organisations sont tellement insuffisantes que l’autorité militaire fait construire à l’heure actuelle des baraquements dans la rue d’Alsace qui a été fermée.


« À la gare du Nord, un dortoir est établi dans les locaux dépendant de la cantine de la gare. Un autre a été installé dans les sous-sols, grâce aux soins de M. Duponnois, commissaire divisionnaire.


« [...] Mais là encore ces organisations sont manifestement insuffisantes, et l’autorité militaire s’efforce de les compléter par l’installation de baraquements rue Ambroise-Paré. »


À défaut de promesses, Rollin réclame des réalisations concrètes (5) et aborde la question des Foyers du soldat à créer aux alentours immédiats des gares de Paris (voir encadré, p. 10). S’ensuit une discussion plus générale sur les dysfonctionnements liés à la circulation des trains de permissionnaires et les premières mesures du préfet de Police visant à « épurer » les gares de leurs éléments interlopes. Ce qui permet à celui-ci de revenir au cœur du sujet, rendant au passage un hommage appuyé à « l’active et généreuse bienfaisance de femmes de cœur qui n’ont compté ni avec leur peine ni avec leurs fatigues (6) ». Il rappelle que les abris créés gare de l’Est et gare du Nord ont permis, en 1916, de soustraire 224 000 permissionnaires « aux rigueurs de la température et aux tentatives malsaines qui les guettaient », et, au cours du premier trimestre de 1917, quelque 62 000 autres (7). Il juge cependant l’effort entrepris insuffisant et signale que, à sa demande, l’autorité militaire fait dans le moment même construire rue d’Alsace (gare de l’Est) et rue Ambroise-Paré (gare du Nord) des baraquements spéciaux pour y installer des lits réservés aux permissionnaires. « Ce qui importe, précise-t-il, c’est que ces abris soient proches des gares. Si le soldat était obligé de faire un trajet un peu long pour s’y rendre, il préférerait coucher sur la dure. »


Harassés, les musettes vides


Le préfet aborde ensuite la question de la création de nouvelles cantines « que le soldat trouverait ouvertes à l’heure où les cafés sont fermés et où il pourrait se désaltérer et trouver quelques aliments », service que ne rendent pas les cantines de la Croix-Rouge fermées le soir. Une situation également dénoncée par le conseiller Rebeillard : « Il y a là, en effet, une situation fâcheuse. Très souvent, il s’est produit que dans les gares du Nord et de l’Est, 1 200 permissionnaires arrivaient à 10 heures ½ du soir harassés après vingt-quatre ou vingt-cinq heures de trajet, les musettes vides, et ne pouvaient trouver une buvette ou une cantine pour leur fournir ou leur vendre les aliments et les boissons nécessaires. » L’occasion pour un autre conseiller, M. Aucoc, de témoigner de « l’inlassable dévouement de femmes admirables qui dépensent des trésors de charité pour venir en aide aux soldats en leur donnant du café, des boissons, des cigares et en organisant la veille des fêtes des concerts qui sont fort appréciés des poilus [...], ces femmes dévouées, ces Françaises qui, de sept heures du matin à dix heures du soir, se dépensent sans compter ».


Le conseiller Alphonse Loyau, quant à lui, attire l’attention de ses collègues sur le fait que les permissionnaires qui arrivent tardivement ne trouvent, surtout les quatre jours de la semaine où le métro s’arrête à 10 heures du soir, aucun moyen de communication pour se rendre aux gares de Lyon, d’Austerlitz, de Saint-Lazare, des Invalides ou de Montparnasse : « Cet état de choses augmente la confusion et le séjour des poilus désœuvrés dans les gares du Nord et de l’Est. D’autre part, « il est lamentable de voir les malheureux permissionnaires se diriger à pied vers des gares lointaines.


[...] Tous, vous avez assisté à ces scènes qui se renouvellent tous les soirs, et où vous voyez les permissionnaires avec tout leur barda, comme on dit en termes de métier, héler vainement les taxis pour se rendre aux gares ! » La création de services supplémentaires réservés aux permissionnaires pourrait être la solution à ce problème : « Un service spécial pourrait, par exemple, fonctionner à onze heures, un autre à minuit, et un autre à une heure. »


La discussion se termine par la proposition suivante : continuer « sans faiblesse » l’oeuvre « d’épuration » des gares et de leurs abords ; prendre d’urgence toutes les mesures utiles pour que des abris convenables soient assurés à tous les permissionnaires de passage dans les gares de Paris et pour que soient améliorées les conditions de leur réception et de leur bien-être.


Réuni le 26 novembre 1917, le conseil municipal remercie le préfet Hudelo, appelé à d’autres fonctions, pour les mesures prises à cet effet : construction des dortoirs de la rue d’Alsace (200 places) et de la rue Amboise-Paré (180 places), ouverture, le 19 septembre, d’un centre de renseignements rue du Faubourg Saint- Martin, près de la gare de l’Est. Pour tenir compte des frais inhérents à ces nouvelles charges et du renchérissement du prix des denrées et du blanchissage, la décision est prise de porter la subvention trimestrielle de la ville de 10 000 à 15 000 francs (8).


(1)- La cantine distribue des repas gratuits aux militaires et leur cède au prix coûtant le pain, le vin, la bière et autres aliments dont ils désirent se munir pour la route.

(2)- Le vote de deux autres subventions, d’un même montant, suit les 12 juillet et 24 novembre 1916, l’habitude étant prise de renouveler ce secours tous les trimestres.

(3)- À partir du 4 mai, tous les permissionnaires disposent gratuitement de bains-douches chauds financés par la préfecture de Police à hauteur de 35 centimes par homme serviette et savon compris [Bulletin municipal officiel, 13 juillet 1916].

(4)- Établissement géré par l’OEuvre du couchage des gares dirigée par M. Tarride.

(5)- M. Rebeillard était déjà intervenu à ce propos en décembre 1915, dénonçant l’attentisme des autorités : « Si l’on continue, nous irons de semaine en semaine, de mois en mois, et nos soldats continueront à coucher sur les dalles. » Des promesses avaient été faites, demeurées sans suite.

(6)- Mlle Suzanne Richard à la gare de l’Est, Mmes Courcot et Bienaimé à la gare du Nord.

(7)- Pour ce même trimestre, le dortoir de la rue des Récollets en reçoit 68 000.

(8)- Cette subvention varie par la suite de 15 000 à 10 000 francs


Cette même année, un effort particulier est fait en direction des soldats en transit par Paris le jour de Noël.


« Ce soir, 24 décembre 1917, aura lieu à la Cantine militaire de la gare de l’Est (Croix-Rouge française, Union des femmes de France) un arbre de Noël sous la présidence du gouverneur militaire de Paris et Mme Pérouse, président de l’Union des femmes de France. Au programme : allocution de M. le bâtonnier Chenu ; concert avec le gracieux concours de Mlle Madeleine Roch, de la Comédie-Française ; Mlle Jeanne Bourdon, de l’Opéra ; M. Paty, de l’Opéra ; M. Paul Lemaître, violoniste ; Mlle Lily Laskine, de l’Opéra ; M. Masson, premier prix du Conservatoire, et les artistes de la Lune rousse. L’organisateur de la soirée est M. Émile Bourgeois, chef d’orchestre de l’Opéra-comique. De plus, les soldats arrivant du front et traversant Paris recevront de la «Cantine des deux drapeaux» (Croix-Rouge américaine) un paquet-surprise offert gracieusement par nos amis les Américains. » [La Presse, 24 décembre 1917]


Une initiative qui, à en croire la presse, a été bien accueillie : « La fête de l’arbre de Noël, donnée hier soir à la cantine militaire de la gare de l’Est, toute pavoisée aux couleurs des nations alliées, avait réuni plusieurs centaines de permissionnaires, qui accueillirent par des bans répétés les artistes figurant au programme. » [Le Petit Parisien, 25 décembre 1917]


En 1918, la cantine de la gare de l’Est est sollicitée à deux reprises, la première fois pour l’accueil des réfugiés chassés par l’offensive des armées allemandes de mai, puis, une fois l’Armistice signé, pour le retour des prisonniers. Enfin, début 1919, elle doit faire face aux premiers démobilisés. Au premier trimestre de cette année, ceux-ci représentent près de la moitié des 63 000 soldats passés entre les murs des gares du Nord et de l’Est confondues.


Réuni le 16 avril 1919, le conseil municipal vote une dernière subvention de 6 000 francs destinés à couvrir les frais des deux cantines pendant les deux derniers mois de leur fonctionnement, leur fermeture étant annoncée pour le 1er juin.


Pour son dévouement à la tête de la cantine de la gare de l’Est, Suzanne Richard est décorée de la Légion d’honneur en 1921 au titre du Service de la Santé. Il est dit à cette occasion que la cantine a hébergé près de 1,5 millions de soldats et 1,8 millions de réfugiés. [Le Temps, 2 juillet 1921]


Ailleurs qu’à la gare de l’Est


La cantine militaire (Nord) Le 23 août 1914, la Société de secours aux réfugiés et victimes de la guerre ouvre une cantine destinée à accueillir les populations chassées de Belgique et des régions du Nord de la France, mais aussi les soldats sans ressources. Elle occupe la salle des douanes hâtivement réaménagée par le sculpteur Paul Graf, qui en est également le directeur, secondé par M. Goullet, secrétaire général de l’Assistance publique : « Les comptoirs furent transformés en tables à manger pour les immigrants et les soldats, ceux-ci ne possédant non seulement aucun bagage, mais manquant du nécessaire. On leur donna ce qu’il fallait pour les vêtir. La charité anonyme fit des prodiges. Ce fut par voitures que bourgeois et commerçants apportèrent aux réfugiés des aliments, des boissons, des vêtements, des chapeaux, des chaussures, du linge, etc. Les hommes couchèrent sur la paille, les femmes et les enfants dans des wagons » [Le Petit Parisien, 4 novembre 1914]. Subsistant grâce aux quêtes en gare et aux dons, elle distribue gratuitement des boissons chaudes, des boissons hygiéniques et des repas légers. En acceptant de participer aux frais à partir du 14 octobre, l’autorité militaire impose une participation aux soldats : 75 c pour un repas complet, 30 c pour une soupe et un sandwich, 10 c pour un café.


Le 24 octobre, la cantine reçoit la visite de la fille cadette de Théodore Roosevelt, l’ancien président des États-Unis. Parmi les personnes qui lui sont présentées, on relève les noms de Mmes Bienaimé, l’épouse de l’amiral et député, et Courcol, lesquelles s’emploient, outre leur concours à l’oeuvre, à ravitailler les trains de soldats. Un rapport de la commission municipale parisienne « Assistance publique - Mont-de-piété » relatif aux subventions versées à diverses oeuvres de guerre, présenté en 1915 par Louis Aucoc, revient sur ce point.


« Dès le début des hostilités, Mme l’amirale Bienaimé et Mme Courcol avaient obtenu, de la Compagnie des chemins de fer du Nord, l’autorisation d’installer, dans les locaux de la gare de Paris, une sorte de réfectoire, où les soldats revenant du front ou y partant trouvaient une soupe chaude, des sandwiches, du café et de la bière.


« C’est avec le produit des quêtes que ces dames étaient autorisées à faire dans les trains de voyageurs, qu’aidées de jeunes femmes du meilleur monde, elles parvenaient à peine à équilibrer leur budget, dont elles comblaient le déficit de leurs deniers personnels.


« Près de 800 soldats recevaient ainsi, par jour, un véritable réconfort matériel.


« Ce service fonctionnait très régulièrement, quand, à la date du 1er février 1915, la Société française de secours aux blessés a exigé la remise du local occupé par Mme l’amirale Bienaimé, pour y installer une cantine et un poste de secours. Elle invoquait, pour ce faire, le monopole accordé à la Croix-Rouge française.

La cantine militaire de la gare du Nord n’avait rien à envier à celle de la gare de l’Est, toutes deux figurant, avec la cantine privée de la gare Montparnasse, parmi les plus importantes cantines de gare parisiennes. Coll. privée.

« Toutefois, reconnaissant que rien ne l’autorisait à chasser brutalement Mme l’amirale Bienaimé de l’emplacement qui lui avait été concédé, la Société française de secours lui laissa le soin de distribuer du café et des sandwiches aux soldats dans les trains en partance, en lui accordant, pour se couvrir de ses frais, le produit d’une quête à faire un seul jour par semaine. »


Le rapport précise que, du 29 mai au 25 octobre 1915, Mmes Bienaimé et Courcol ayant été contraintes de participer pour moitié au déficit (sur un total de 1 270 francs), la commission se propose de leur allouer une subvention de 500 francs. Inversement, elle juge que la Société française de secours aux blessés militaires, même s’« il est incontestable que le produit des quêtes que la Société fait faire dans les trains de voyageurs, arrive difficilement à couvrir les frais », a suffisamment de ressources annexes pour limiter sa subvention à 200 francs.


Dans sa rubrique « Croquis de Paris », le Journal des débats nous a laissé une description détaillée de la cantine de la gare du Nord en juin 1915.


« Celle de la gare du Nord est installée dans le magasin de la douane. Un velum, tendu sous le toit, tamise la lumière ; la banquette à bagages constitue le fond du mobilier ; vêtue ici de toile cirée, plus loin de couvertures de laine, elle fait tour à tour office de table et de couchette, car le hall sert à la fois de dortoir et de salle à manger.


« À toute heure du jour ou de la nuit, les arrivants trouvent la table mise ; des cordons, épinglés en travers, divisent ses méandres en compartiments de douze places, dont chacun est servi par une dame de la Croix-Rouge. Des paniers, toujours prêts, contiennent les couverts et la vaisselle de rechange ; les pichets alternent sur la nappe avec des vases fleuris. Au menu : un potage, une viande garnie de légumes, une salade, un fromage ; comme dessert de la confiture, des cerises ou des fraises, un quart de vin, un quart de café, une cigarette. La salade est fort appréciée. Au retour du front, où le régime carné est un peu excessif, on se régale d’une romaine.


« C’est toujours la salle à manger qui reçoit la première visite ; les voyageurs ont hâtes de se refaire, à moins qu’ils n’attendent une lettre auquel cas il consulte d’abord le tableau où l’on affiche le courrier. Après le repas, s’ils veulent écrire, une salle de lecture et de correspondance leur offre des buvards, du papier et des plumes, des magazines, des journaux, quelques livres, le tout "confié au soin de nos chers soldats". Des cartes déploient sur la muraille le plan du Métropolitain et la ligne du front.


« Derrière ce mur de planches commence le dortoir. Les couchettes, posées bout à bout, suivent la ligne sinueuse de la banquette à bagages et dessinent une grecque. Chacune se compose d’une couverture, d’un traversin et d’une serviette en guise de taie pour l’oreiller absent ; le dormeur, à son réveil, l’emportera au lavabo. Et il y a, sur chacune d’elles, une paire de gros chaussons, de babouches pareilles à celle du Hammam, taillées dans de vieux tapis.


« Aux deux côtés de la salle, une double rangée de lits, de vrais lits en noyer bourgeois. Quelle tentation pour ceux qui, depuis de longs mois, couchent sur la terre ou sur la paille !


« […] Le lavabo met à la disposition des hôtes de l’eau en abondance, des cuvettes en tôle émaillée, des rasoirs minutieusement flambés ; les amateurs d’hydrothérapie plus complète y trouvent même un tub, qui n’est pas très demandé. Un vestiaire distribue à tous ceux qui le désirent des vêtements de rechange. Un poste de secours avec médecin et infirmières en permanence, peut abriter provisoirement les malades ou les petits blessés ; une voiture d’ambulance, toujours prête, peut les conduire à l’hôpital voisin. » [Le Journal des débats, 16 juin 1915]


Placée sous la direction de la comtesse de Nettancourt et du baron d’Orgeval, la cantine reçoit chaque semaine plus de 900 « dormeurs » et distribue 3 600 repas.


La Croix-Verte (Montparnasse)


La gare Montparnasse est la seule des grandes gares parisiennes à échapper à la mainmise de la Croix-Rouge française, supplantée ici par la Croix-Verte, initiative pureent privée due à la volonté d’un homme : Jean Émile- Bayard, inspecteur au ministère des Beaux-Arts.


« L’"Accueil aux blessés", qu’on appelle aussi la "Croix Verte", afin que la distinction soit permise entre lui et d’autres groupements non moins généreux, a été créé par un de nos artistes les plus distingués, M. Émile Bayard, inspecteur des beaux-arts.


« M. Émile Bayard s’était aperçu, en allant voir les départs des troupes à la gare Montparnasse, que nos braves petits soldats n’étaient pas, la plupart du temps, suffisamment pourvus de vivres pour les longues randonnées qu’ils allaient devoir entreprendre.


« – Il faut lester le ventre de nos "petits gars" se dit-il, et, le soir même, il arrivait à la gare, avec Mme Bayard et distribuait des paniers de provisions à nos pioupious.


« Leur joie fut si complète que l’idée de continuer ces distributions s’imposa immédiatement. Le lendemain même, Émile Bayard obtenait très facilement du gouvernement militaire de Paris l’autorisation d’installer une cantine gratuite sur le quai de la voie n° 8. Le commissaire spécial, M. Dreyfus, un Alsacien ardent patriote, offrit immédiatement son concours qui fut accepté avec reconnaissance.


« La cantine fut installée dans la même journée, tous les fonctionnaires de la gare ayant aidé à qui mieux mieux l’organisateur de l’oeuvre. Le soir, elle fonctionnait.


« Mais depuis ce début, on a fait évidemment beaucoup mieux : la cantine s’est augmentée d’un réfectoire et d’un poste médical, formant trois bâtiments bien distincts et bien ordonnés.


« C’est à cette installation que nous avons consacré hier deux longues heures. Ce que nous avons vu, disons-le tout de suite, nous a enthousiasmé.

Créée par Jean Émile-Bayard, inspecteur au ministère des Beaux-Arts, l’oeuvre de la Croix-Verte était placée sous le haut patronage de Raymond Poincaré, Président de la République. Gravure extraite de L’Ambulance du 1er juillet 1918. http://gallica.bnf.fr/

« Sur le quai de la voie n° 8, une large pancarte, au milieu de laquelle se trouve une croix verte, indique le siège permanent de l’oeuvre.


« Et voici d’abord la manutention et la cantine : le local est modeste, un peu exigu peut-être, mais tout y est rangé avec un soin méticuleux. Sur une table, des sirops de toutes sortes ; dans un large fourneau à gaz où l’eau bout constamment ; sur une autre table, des tartines de foie gras, en grande quantité, sont toutes prêtres à être distribuées. Puis se sont des plats contenant des tranches de bœuf découpées, et, sur de larges plateaux, du très beau raisin.


Mme Bayard, la femme de l’excellent artiste, dirige la cantine avec une bonne grâce affectueuse.


« Les troupiers que nous avons vu arriver timidement dans le local furent mis tout de suite à leur aise, parce qu’en même temps qu’on leur prodiguait de bonnes paroles, on leur réconfortait l’estomac. À peine entrés, ils furent conduits au réfectoire où, sur une longue table, de larges bols, au fond desquels se trouvent des tranches de pain, attendent la soupe aux légumes qui cuit, tout à côté.


« […] Quatre jeunes femmes, toutes vêtues de la longue blouse blanche et coiffées du bonnet également blanc avec sur le devant une croix verte, faisaient le service.


« […] Mais d’autres soldats arrivaient. Ceux qui venaient de se réconforter furent priés de passer dans une salle de repos contiguë à l’infirmerie. Il était cinq heures ; en attendant le train de 11 h 23, ils s’allongèrent sur des lits douillets.


« C’est alors que nous avons visité l’infirmerie. La salle assez vaste est tendue de draps blancs quotidiennement renouvelés. Sur une table à étagères, des fioles et des fioles. Sur une autre, les instruments nécessaires et des bandes de pansement soigneusement enveloppées. Un lit mécanique est au milieu ; à côté, trois fauteuils pour les médecins. Car le service médical est fait gracieusement et alternativement de six heures du matin à minuit, par trois médecins : ce sont les docteurs Gény, Louit et Forestier.


« Des infirmières volontaires sont là qui secondent les praticiens, et nous reconnaissons parmi elles : Mmes Steeg, la femme de l’ancien ministre, Monmory, la princesse de Clèves, etc.


« Tout se passe ici comme dans l’hôpital le mieux organisé ; il n’y a pas de différence entre les soldats et les officiers. Tous ceux qui ont besoin de soins, sans exception, sont traités aussi savamment qu’affectueusement.


« Voilà ce que fait l’oeuvre de l’ "Accueil aux blessés", la Croix-Verte. Il faut savoir aussi que tout y est gratuit et, par conséquent, qu’on y accepte tous les dons généreux qui peuvent être envoyés, tant en argent qu’en vêtements ou produits alimentaires de toutes sortes. » [La Presse, 24 octobre 1914]


Plus concis est Le Petit Parisien :


« Cette oeuvre vient en aide non seulement aux militaires, mais aussi aux réfugiés belges et français ; outre la nourriture et les soins, elle donne à nos soldats de l’argent, des cannes, des béquilles, des appareils de bandage, des chemises, des mouchoirs, des chaussures et des tricots.


« Cette association de bienfaiteurs possède des lits en ville pour les malades, une automobile pour le transport des blessés, des médecins, des pharmaciens et des infirmières dévouées.


« Elle distribue en moyenne cinq cents repas par jour, lesquels sont des plus copieux » [Le Petit Parisien, 4 novembre 1914]. Le journal précise qu’Émile-Bayard organise de nouvelles cantines à la gare Saint-Lazare et à la gare de Lyon.


Placée sous le haut patronage du président de la République Raymond Poincaré, l’« Association des œuvres de la Croix-Verte française » diversifie très vite ses actions, qu’elle étend à la province. Elle se dote également d’un organe de presse officiel, L’Ambulance.

L’oeuvre de la Croix-Verte possédait son propre journal, L’Ambulance. À partir de 1917, quelques articles étaient rédigés en langue anglaise à l’intention des alliés. http://gallica. bnf.fr/

Tout comme les cantines des gares du Nord et de l’Est, celle de la gare Montparnasse est bientôt amenée à offrir le couvert mais également le gîte aux permissionnaires qui transitent par la capitale. En 1917, Le Petit Parisien répond favorablement à une demande de Pierre Loti visant à publier gracieusement une « petite note » mettant en avant l’action de la Croix-Verte sur ce point, « afin qu’elle soit lue par le plus grand nombre de marins et de soldats », note rédigée comme suit : « La belle oeuvre de la Croix-Verte a établi pour eux, à la gare Montparnasse, un dortoir gratuit de 150 lits, chauffé, avec lavabos et salon de lecture. Quant ils seront de passage, qu’ils aillent donc dormir là au lieu de se coucher sur des bancs ou dans des cafés voisins ; ils y trouveront le meilleur accueil , sans bourse délier. » [Le Petit Parisien, 9 octobre 1917]

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