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Joseph-Jean Paques

Les premiers chemins de fer en France à travers des illustrations d’époque

Dernière mise à jour : 17 mars 2021

Premier épisode : l’année 1839 ou de timides débuts

Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec


La célébration, en 2012, du 175e anniversaire de l’ouverture du chemin de fer de Paris à Saint- Germain (1837) a été marquée par l’organisation de plusieurs manifestations dont, notamment, sous l’égide de l’AHICF et de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, d’un colloque sur l’Histoire des réseaux, des transports et des mobilités en Île-de-France. Ce dernier rendez-vous (22-24 novembre 2012) a donné l’occasion à Nicolas Pierrot et à votre serviteur de faire (re)découvrir au public des illustrations à connotation ferroviaire contemporaines des premiers chemins de fer en Île-de-France (1).


La série d’articles, que Les Rails de l’histoire (2) inaugure aujourd’hui dans le même dessein, est le résultat d’un long travail de recension de toutes les sources iconographiques disponibles ayant rapport aux premiers chemins de fer en France, depuis leurs origines jusque dans les années 1860. Notre propos est de nous focaliser sur quelques-unes des lignes qui ont suivi celle de Saint-Germain, tant en région parisienne qu’en province, en occultant intentionnellement le foyer pionnier du bassin de la Loire, largement représenté par ailleurs.


Nous nous appuierons pour cela sur les images extraites, soit de « guides du voyageur » (nos actuels guides touristiques), soit d’albums souvent constitués de lithographies de très haute qualité, les uns et les autres généralement publiés à l’occasion des inaugurations.


Ligne de Montpellier à Cette


Le 9 juin 1839, la ligne de Montpellier à Cette (selon l’orthographe de l’époque) était officiellement inaugurée (3). Beaucoup plus discrètement saluée qu’à Paris, cette manifestation n’a fait l’objet, à notre connaissance, que d’un unique guide touristique (4), heureusement illustré de sept lithographies et d’une gravure sur bois. Sur ces huit illustrations, deux présentent un caractère ferroviaire.


Le feuillet qui précède la page de titre du guide est orné d’un dessin de Jean-Joseph Bonaventure Laurens (1801-1890), secrétaire-agent comptable de la Faculté de médecine de Montpellier (5) (figure 1). Au premier plan figure une locomotive de type Planet à un seul essieu moteur (1.A), semblable aux cinq unités alors en service (6). Elle stationne vraisemblablement dans les emprises de l’embarcadère primitif érigé dans le prolongement de la tour Babote, qui se dresse à l’arrière plan et que surmonte depuis 1832 un sémaphore Chappe (7). Notons qu’il s’agit là d’une des premières lithographies fidèles et fiables publiées en France avec pour sujet principal une locomotive et qui ne soit pas un dessin technique. C’est également l’un des premiers dessins ferroviaires de Jean-Joseph Bonaventure Laurens qui produira par la suite une série de 150 superbes dessins lithographiés du chemin de fer de Paris à la Méditerranée publiés de 1857 à 1871 (8).


Figurant sur la page de titre même, la seconde illustration à caractère ferroviaire du guide est assez différente puisqu’il s’agit d’une gravure sur bois debout de dimensions réduites (6 x 3,3 cm) non signée représentant un train de voyageurs tiré par une locomotive de type 1.A.1 passant sous un pont (figure 2). Aucune locomotive de ce type ne circulant à l’époque sur la ligne de Montpellier à Cette, il faut chercher ailleurs son origine. À notre connaissance, nous avons affaire ici à la première utilisation d’une illustration passe-partout que les imprimeurs pouvaient acheter toute faite par catalogue, probablement produite et reproduite en série par le procédé de stéréotypage. Un tel procédé était déjà connu et utilisé à l’échelle industrielle dès 1834 puisque le journal Le Magasin pittoresque (9) en explique l’application qu’il en fait pour ses besoins. De fait, cette illustration a été utilisée à plusieurs reprises dans la publication de guides touristiques ferroviaires. Nous avons noté son apparition dans les documents suivants :

- Chemin de fer de Paris à Orléans. Embranchement de Corbeil, Paris, Imprimerie de Boulé, 1840, 72 p. ;

- E. Bourdin, Voyage pittoresque de Paris à Versailles, Paris, 1840, 44 p. ; au moins à cinq autres reprises par Bourdin puis par Janin en 1841, 1843, 1845, (Paris-Rouen), 1847, 1848 (Paris-Le Havre ; Paris-Dieppe) ;

- Notices sur les Chemins de fer du Rhône et de la Loire, et itinéraire de Lyon à Saint-Étienne et à Roanne, Imprimerie de Louis Perrin, Lyon, 1843, 76 p.

Figure 1. « Locomotive de type Planet, en gare de Montpellier », par J.-J. B. Laurens, 1839. Coll. J.-J. Paques.

Figure 2. Vignette « Train dans la campagne », anonyme, 1839. Coll. J.-J. Paques.

Ligne de Paris à Versailles par la rive droite


L’ouverture officielle au public de la ligne Paris (Asnières) à Versailles (rive droite) a eu lieu le 4 août 1839. Comme pour celle de Paris à Saint-Germain, l’intérêt touristique de sa destination et la proximité de Paris ont certainement contribué à encourager la réalisation de nombreux guides en rapport. Mais seules deux de ces publications comportent des illustrations ferroviaires (10). Cependant, plusieurs vues de cette ligne se retrouvent dans deux séries de planches ferroviaires de l’époque : la première de six lithographies due à Frédéric-François d’Andiran (11), la seconde de six aquarelles attribuées à Jean-Charles Develluy. Ces six dernières gouaches

– préparatoires pour fond d’assiette

– appartiennent aux collections des Archives de la Cité de la céramique à Sèvres. Récemment identifiées par Nicolas Pierrot (12), elles ont pour objet les lignes de Versailles rive droite et rive gauche. Deux, datées de 1840, se rapportent au premier de ces chemins de fer et représentent, l’une, la station de Saint-Cloud, l’autre, le tunnel et l’aqueduc de Ville-d’Avray.


Notons que des artistes différents ont souvent retenu les mêmes sites, à l’exemple de l’entrée du tunnel à Ville-d’Avray pris pour modèle trois fois (voir notes 10 et 11) ou encore de la salle d’attente de la gare de Versailles rive droite représentée deux fois (note 10).


Un mot sur la superbe aquarelle de Jean-Charles Develluy qui représente la station de Saint- Cloud (figure 3). En fait, il ne s’agit pas ici de la gare de passage de Saint-Cloud-Montretout, bâtiment modeste ouvert en 1839 en amont du tunnel du même nom, mais de la gare des Fêtes, « construction vraiment féerique » destinée à servir de terminus à un embranchement en cul-de-sac livré en 1840 pour faciliter la desserte du parc de Saint-Cloud. Curieusement, le train est montré circulant du côté droit, en contradiction avec les règles de circulation en usage qui voudraient qu’il emprunte la voie de gauche. Une liberté avec la réalité qui n’enlève rien à la beauté du trait. Il est vrai que cette aquarelle, appelée à être reprise pour servir de fond d’assiette, se devait avant tout de séduire. Il est dommage que la manufacture de Sèvres n’ait pas donné suite à ce projet.


L’assiette comme support à des illustrations ferroviaire n’est pas chose inédite. Les séries produites par les faïenceries de Gien entre 1844 et 1849 sont parmi les plus connues. Une seule de leurs assiettes, cependant, a pour décor un élément de la ligne Paris à Versailles (rive droite), en l’occurrence le « Viaduc près Suresnes » attribué à J. Copeland (figure 4). Bien que l’artiste ait pris, là aussi, quelque liberté avec la réalité (nombre d’arches supérieur aux cinq que compte réellement l’ouvrage), tout laisse à penser qu’il s’agit en l’occurrence du viaduc établi au dessus de l’actuelle rue du Val d’Or en aval de la gare de Suresnes. L’examen du profil de la ligne n’indique, en effet, aucun autre ouvrage d’art dans le secteur.


Les deux illustrations de l’intérieur de la salle d’attente de la gare de Versailles rive droite (figures 5 et 6) – tout à fait dans le style de celle de la gare de Paris-Saint-Lazare, construite à la même époque – ne diffèrent que par les aménagements apportés (l’éclairage au gaz, les barrières délimitant les espaces attribués aux différentes classes des voyageurs), représentés sur la vue la plus récente. Si elle a disparu aujourd’hui, victime des nombreux remaniements intérieurs infligés au bâtiment, la façade de la gare est, elle, toujours visible (figure 7) et supporte aisément la comparaison avec les images qu’en donnent Fossone en 1839 (figure 8) et Perdonnet en 1856 (13) (figure 9).

Figure 3. Station des Fêtes du château de Saint-Cloud par J.-C. Develluy, 1840, Coll. Cité de la céramique - Sèvres & Limoges.

Mentionnons pour compléter que Frédéric- François d’Andiran nous a aussi laissé une vue de « Train à la bifurcation d’Asnières en direction de Versailles », une vue du tunnel de Saint-Cloud (entrée vers Paris) et une vue des emprises ferroviaires de la gare de Versailles rive droite.


(1)- Joseph-Jean Paques, « Les images des premiers chemins de fer dans les paysages de l’Ile-de-France : des sources d’informations multiples très riches » ; Nicolas Pierrot, « Lignes et panaches. L’imagerie pittoresque à l’épreuve de la modernité ferroviaire (Ile-de-France, v. 1840-v. 1860) », Paris et Ile-de-France, Mémoires publiés par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France, t. 64 (2013), p. 45-60 et p. 61-76.

(2)- Voir également : Joseph-Jean Paques, « Le patrimoine iconographique fer- roviaire de la ligne de Paris à Saint- Germain (1837-1855) », Les Rails de l’histoire, hors série (novembre 2012), p. 30-34.

(3)- L’exploitation proprement dite avait commencé dès le 8 mars 1839, quoique limitée encore à quelques trains.

(4)- Notice sur le chemin de fer de Montpellier à Cette, ouvert le 9 juin 1839, Montpellier, Boehm, Virenque, 1839, 96 p.

(5)- Hubert Bonnet, « Un secrétaire de faculté talentueux : Bonaventure Laurens (1801-1890) », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, n° 29, 1999, p. 253-275. Voir http://www.ac-sciences-lettres- montpellier.fr/academie_edition/ fi chiers_conf/Bonaventure.pdf

(6)- « La construction de la ligne Montpellier-Cette est assez précoce, puisqu’un convoi d’essai put y être organisé dès le 24 décembre 1838. Les premières locomotives étaient arrivées deux mois avant en octobre : c’étaient les machines Notre-Dame-des-Tables, Hérault et Montpelliéraine. Deux autres identiques suivirent en avril 1839 : la Cettoise et la Rosine. En 1843 nous apprenons que deux de ces machines sont transformées de quatre à six roues. Cela nous indique qu’il s’agissait, au départ de Planet Engine, au moins pour deux sur cinq et probablement pour toutes. Le constructeur anglais était en eff et Fenton, Murray et Jackson de Leeds […] ; or nous le connaissons essentiellement comme fabricant de machines à quatre roues. » Jacques Payen, La Machine locomotive en France, des origines au milieu du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986, p. 90.

(7)- Voir http://www.montpellier.fr/336- tour-de-la-babote.htm. L’association du sémaphore Chappe au chemin de fer se retrouve dans plusieurs illustrations ferroviaires de l’époque aussi bien sur le Paris-Rouen que le Paris-Orléans par exemple.

(8)- J.-B. Laurens, Album du Chemin de Fer de Lyon à la Méditerranée - Paris, lithographies de Boehm, imprimé à Montpellier, 1857-1862. Ouvrage paru en cinq livraisons.

(9)- « Gravure sur bois – Stéréotypie », Le Magasin pittoresque, 1834, p. 305-308.

(10)- Voyage pittoresque sur le chemin de fer de Paris à Saint-Cloud et Versailles, Versailles, Imprimerie de M. Fossone, 1839, 29 p. ; Voyage pittoresque de Paris à Versailles, Paris, E. Bourdin, 1840, 44 p.

(11)- Frédéric-François d’Andiran, Chemin de fer de Versailles (Rive Droite), Série de six lithographies sur trois pages, Paris, Coulon, 1839.

(12)- Op. cit.

(13)- Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, Paris, Langlois & Leclercq, première édition, 1855, 554 p.

Figure 5. Grande salle d’attente à Versailles, par Grosset, Brazier et Lacoste, dans Fossone, 1839. Coll. J.-J. Paques.

Figure 6. Débarcadère de Versailles (rivedroite), dans Bourdin, 1840. Coll. J.-J. Paques.

Figure 7. Vue actuelle de la gare de Versailles (rive droite). Photo J.-J. Paques.

Figure 8 Vue extérieure de la gare de Versailles, par Grosset, Brazier et Lacoste, dans Fossone, 1839. Coll. J.-J. Paques.

Figure 9. Façade extême du chemin de fer de Versailles (rivedroite) à Versailles, dans Perdonnet, 1855. Coll. J.-J. Paques.

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