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Hommage à Catherine de Béchillon

Nous apprenons avec tristesse la disparition de Madame Catherine de Béchillon, survenue le 8 juin 2020.


Pour le dernier numéro de la Revue d'histoire des chemins de fer, Laurent Thévenet nous avait livré un très beau portrait de cette femme au grand cœur. Nous souhaitons ici lui rendre hommage en partageant avec vous ce texte évoquant son parcours et sa vie.


Nos pensées les plus sincères vont à sa famille.





« L’art d’aider »

Laurent THÉVENET

Chercheur en histoire


Catherine de Béchillon est née le 13 juin 1925 dans le 16e arrondissement de Paris. Son père, Henri Lang, est issu d’une famille juive ayant quitté l’Alsace en 1870 pour demeurer française. La famille est implantée à Rambervilliers dans les Vosges, où Henri Lang est né en 1895. La famille de sa mère, Jacqueline Lang, née Hirsch, a émigré de Belgique en 1789, et ses membres ont acquis la nationalité française au moment du décret du 27 septembre 1791 ratifié par Louis XVI accordant la citoyenneté aux Juifs de France. La famille maternelle est parisienne depuis plusieurs générations.

Tant du côté paternel que maternel, la famille compte de nombreux notables ou serviteurs de l’État, civils ou militaires. Plusieurs membres de la famille sont ingénieurs, d’autres médecins. Malgré une enfance et une adolescence difficiles, marquées par le décès de sa mère, Henri Lang se forge un caractère fort, ouvert et sociable. Il fait des études brillantes. Polytechnicien sorti 7e de sa promotion, ingénieur des Ponts et Chaussées, puis professeur à l’école des Ponts et Chaussées, il est officier d’artillerie lors de la Grande Guerre où il fut cité à deux reprises pour sa bravoure. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur. La mère de Catherine, Jacqueline, n’a pas d’activité professionnelle.

Henri Lang vers 1920 (source : coll. Catherine de Béchillon).

Henri et Jacqueline Lang, mariés en 1921, ont eu quatre enfants : Philippe, né en 1924, est décédé à l’âge de 6 ans ; Catherine, née en 1925 ; Élisabeth, née en 1928, est morte trois ans après sa naissance ; et Geneviève, née en 1932, qui deviendra médecin des hôpitaux de Paris. Les décès de son frère et de sa sœur, à la suite de maladies infectieuses, affectent Catherine et la conduisent à vouloir devenir médecin. Les événements dramatiques vécus par sa famille modifient ses premiers choix d’enfant et façonnent à tout jamais la jeunesse, la vie et le parcours de Catherine Lang. À noter – chose rare à l’époque pour une jeune fille – qu’elle bénéficie de deux séjours linguistiques en Angleterre, à l’âge de 13 et 14 ans, au cours des étés 1938 et 1939, où elle se perfectionne en langue anglaise.

Jacqueline Lang avec Philippe et Catherine (source : coll. Catherine de Béchillon).


Si la famille de sa mère est juive non pratiquante, celle d’Henri Lang est plus religieuse. Cependant, il est à noter qu’en avril 1939, à 14 ans, Catherine est, à sa demande, baptisée catholique. Elle évoque dans ses souvenirs avoir été confrontée, enfant, à l’antisémitisme lors de vacances d’été dans le Nord. Son père, préoccupé de spiritualité, est également séduit par le catholicisme.

« Á mon père », une jeunesse bouleversée par la guerre et les persécutions

Henri Lang et sa fille Catherine avant-guerre (source : coll. Catherine de Béchillon).


La famille Lang loge avenue de Tokyo à Paris jusqu’en 1932 et rejoint l’Alsace lorsque Henri est nommé au Réseau des chemins de fer d’Alsace-Lorraine pour y construire le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines à Saint-Dié, inauguré en juillet 1937. Catherine Lang garde de bons souvenirs de ses études primaires à Strasbourg. Puis la famille quitte l’Alsace et déménage en fonction des différentes affectations du père. Elle s’installe à Marseille en janvier 1938 lorsqu’Henri Lang devient directeur de la région Méditerranée de la nouvelle SNCF, créée le 1er janvier 1938. À l’été 1939, il est affecté à Paris en qualité de chef du service Voie et Bâtiments de la région Sud-Est, avec pour mission de mettre en œuvre l’électrification de la ligne Paris-Lyon-Marseille. La famille est à peine installée que la guerre est déclarée le 3 septembre 1939 et l’armistice signé par le maréchal Pétain le 22 juin 1940. Après l’exode, la famille revient à Paris et emménage au 11 quai d’Orsay, mais par crainte des bombardements, seul le père reste à Paris. Sa mère, sa grand-mère et les enfants logent à Évry-Petit-Bourg. Trop jeune pour le lycée public, Catherine est inscrite en classe de seconde au collège privé Notre-Dame-de-Sion. Le 27 septembre 1940, une ordonnance allemande prévoit le recensement de la population juive dans la France occupée. Le 3 octobre, le gouvernement de Vichy adopte une loi sur le statut des Juifs qui leur interdit certains emplois publics et diverses professions. C’est la première vague des lois anti-juives. Beaucoup de ressortissants juifs étrangers sont internés dès le 4 octobre par l’administration française. Les persécutions commencent. Henri Lang, comme nombre de Juifs français, croit que les anciens combattants seront protégés. Ainsi, il se rend « en confiance » au commissariat avec sa fille Catherine lors du recensement des Juifs ordonné par le régime de Vichy.

Carte d’identité d’Henri Lang, 1940 (source : coll. Catherine de Béchillon).


Le 12 décembre 1941, Henri Lang est arrêté par deux Feldgendarmes allemands lors de la rafle dite « des notables ». C’est Catherine qui ouvre la porte de leur domicile à 6 heures du matin, et les derniers mots de son père furent « les filles, vous irez en classe ce matin, comme d’habitude ; il faut garder le sourire ». Elle ne le reverra plus. Il s’agit de la première grande rafle anti-juive décidée par l’occupant en représailles d’assassinats d’officiers allemands dans le métro parisien. Son père et 742 hommes français, anciens combattants de la Grande Guerre, pratiquement tous des notables et des intellectuels, dont le mari de Colette, des collègues ingénieurs et son beau-frère Pierre Hirsch sont internés dans une caserne à Compiègne où ils subissent des conditions de vie particulièrement sévères. La Croix-Rouge est interdite d’action, et aucune correspondance n’est possible avec les familles. Il réussit cependant à faire passer clandestinement quelques lettres à sa femme. Il reçoit même la visite, le 10 mars, de Jean Tuja, directeur de la région Sud-Est de la SNCF pour « motif professionnel ».

À Paris, Jacqueline Lang déploie une énergie farouche, frappant à toutes les portes possibles pour tenter de faire libérer son mari, a priori susceptible de bénéficier d’une dérogation liée à son statut d’ancien combattant et lui permettant d’être exempté de l’application du statut des Juifs. Elle multiplie les interventions pour sauver son mari, notamment auprès des dirigeants de la SNCF ; le directeur, Pierre Fournier, lui rend visite le matin même de l’arrestation. Raoul Dautry, ancien directeur du réseau de l’État, intervient lui aussi auprès des autorités allemandes. De son côté, Catherine Lang est chargée d’une requête auprès de Monseigneur Suhard, cardinal de Paris, par l’intermédiaire du couvent de Notre-Dame-de-Sion. Rien n’y fera. Le décret tant espéré ne sera publié au Journal officiel qu’en 1943 bien longtemps après la mort d’Henri Lang.

Malgré son optimisme quant la réussite des démarches entreprises pour obtenir une dérogation, Henri Lang est déporté, le 27 mars 1942, avec le premier « convoi spécial » vers Auschwitz. Il y meurt d’épuisement le 21 mai 1942. Après l’arrestation de son mari, Jacqueline Lang décide de rester à Paris avec ses filles. Elle bénéficiera, comme toutes les familles de déportés ou d’internés cheminots, du traitement de son mari versé par la SNCF. Le 29 mai 1942, le port de l’étoile jaune est imposé aux Juifs de plus de six ans. Catherine Lang la porte le premier jour du décret, un dimanche en se rendant à la messe… Elle racontera ensuite : « Le port de l’étoile allait installer en nous un sentiment de peur constant, une vulnérabilité. ». En juin 1942, Catherine Lang, alors âgée de 17 ans, passe l’écrit du baccalauréat de philosophie. Craignant les rafles, sa mère la fait héberger à l’internat de Notre-Dame-de-Sion. Puis Mère Francia, qui le dirige, lui trouve des faux papiers et un ausweis lui permettant de se rendre en zone libre. Elle quitte Paris le 15 juillet 1942, la veille de la rafle du Vel’ d’Hiv, et est ensuite accueillie dans un foyer d’étudiantes de Notre-Dame-de-Sion à Lyon, où elle partage une chambre, installée sur un lit de camp dépliable, avec une autre étudiante. Elle reste en contact avec sa mère par l’intermédiaire d’ingénieurs SNCF dont le fidèle Jean Tuja. Sa sœur Geneviève, âgée de dix ans, reste cachée par Mère Francia. Celle-ci, Gabrielle de Linares, de son nom civil, recevra le titre de « Juste parmi les nations » par le Comité français pour Yad Vashem en 2007. En 1998, Catherine Lang signera l’épigraphe de son livre Aider à vivre en hommage à son père qui « connut le pire en mourant seul à Auschwitz ».

Le choix du métier, entre passion et réparation

L’exil de Catherine Lang à Lyon dure 27 mois. Elle passe les deux étés 1943 et 1944 en qualité de monitrice à la colonie de vacances SNCF de Cognin, près de Chambéry. Elle souhaite s’inscrire en médecine mais sa mère lui interdit de peur que son identité soit dévoilée. Elle s’inscrit finalement en hypokhâgne et, malgré le contexte oppressant, y mène une vie d’étudiante jusqu’à son retour à Paris en octobre 1944. Parisienne et âgée maintenant de 19 ans, elle s’inscrit à l’École des surintendantes où elle obtient une dérogation car il était nécessaire d’avoir 21 ans pour recevoir cette formation. Elle y rencontre Suzanne Termat, dirigeante de l’École et future assistante sociale principale de la SNCF, qui publie en 1945 un livre sur le métier d’assistante sociale. Catherine Lang se passionne pour les stages pratiques et aime immédiatement ce métier. À l’issue de son diplôme d’État, elle est recrutée en juin 1947 à la SNCF où elle avait fait un stage de quelques mois. Cette embauche nécessitera l’intervention de sa mère auprès du directeur du personnel Henri Flamant, car le poste proposé la contraignait à se séparer à nouveau de sa famille. En effet, l’assistante sociale principale du Sud-Est semblait réticente à embaucher la fille d’un ingénieur SNCF. Recrutée finalement à Vénissieux, où elle reste quatre mois, elle rejoint Paris après quelques remplacements et exerce à Villeneuve-Saint-Georges, grand centre ferroviaire en région parisienne avec des permanences à l’atelier de maintenance du matériel roulant et à la cité créée à l’époque de la Compagnie du PLM.

Cité SNCF de Villeneuve-Saint-Georges, 1948 (source : SARDO – Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF).


Elle y est confrontée à la tuberculose, avec la nécessité d’éloigner les enfants de parents contagieux et de placer ceux-ci dans des établissements sanitaires. Autre problématique de l’après-guerre, la pénurie de logements, notamment à Villeneuve, où les bombardements ont détruit une partie de la cité SNCF. Sentiment d’impuissance partagé entre collègues. Par moment découragée devant l’ampleur des besoins et des nécessités, Catherine Lang utilise pour se perfectionner les services du Bureau d’Étude des Questions Sociales (BEQS) rattaché à la direction des services sociaux SNCF. Elle est très vite repérée par l’ingénieur dirigeant ces services, Monsieur Paris, comme une des assistantes sociales les plus assidues et grande lectrice. Un poste lui est proposé au sein du BEQS, mais elle refuse. Elle est alors mutée sur Paris-Gare de Lyon où elle découvre un autre corps de métier ferroviaire : les conducteurs de train, à une époque où la vapeur reste prépondérante.

Dispensaire de Villeneuve-Saint-Georges, 1944 (source : SARDO – Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF).


Curieuse, avide d’apprendre, remplie d’appétence pour mieux se connaître et comprendre la relation d’aide professionnelle, Catherine Lang se passionne pour le métier d’assistante sociale. Elle y restera viscéralement attachée et tentera de mieux saisir les raisons et les choix qui mènent à ce métier. Bien plus tard, en 1987, elle sera profondément marquée par la parution du livre de Yolande Tisseron, Du deuil à la réparation, et publiera des articles à ce sujet dans la revue Empan.

Catherine Lang vers 1960 (source : coll. Catherine de Béchillon).



Mais revenons au début des années 1950, où une soirée de l’Association Nationale des Assistants de Service social (ANAS) va « modifier sa vie professionnelle et pas seulement » selon ses propres mots. En effet, cette organisation professionnelle, créée en 1944, organise une conférence avec Myriam David, médecin pédiatre, psychanalyste et ancienne déportée, sur une nouvelle méthodologie de service social, le case-work, qu’elle avait vu pratiquer aux États-Unis de 1946 à 1950 lors de son séjour à Boston.

Parmi les pionnières du case-work

Intriguée et intéressée par les études de cas présentées, curieuse de cette nouvelle méthode, elle évoque le case-work avec Paulette Charlin, psychologue et conseillère d’orientation à la SNCF. Celle-ci avait été envoyée en 1950 par le comité d’entente des écoles de service social au congrès de Vienne sur le case-work organisé par l’ONU. Elle l’encourage à s’inscrire aux groupes réunis par Myriam David. Elle s’engage alors au sein d’un groupe de dix assistantes sociales, nommé « Pergolèse » du nom de la rue où habite le médecin pédiatre, pour étudier cette méthode, appelée également « aide psychosociale individualisée », inspirée des sciences humaines et de la psychanalyse. Ce groupe fonctionne au domicile de Myriam David à partir de janvier 1952 en dehors des heures de travail, de 21 heures à minuit à raison d’une séance tous les 15 jours. Il durera plus de trois années. Le docteur David exige qu’elles rédigent leurs entretiens d’aide pour les présenter en séance ou en supervision, condition non négociable. Catherine Lang se souvient très bien de son premier cas dénommé « Juliette », fille d’un cheminot, revenue de sanatorium et en opposition avec son père. Des supervisions collectives puis individuelles sont bientôt démarrées pour approfondir les situations présentées. Myriam David découvre le métier d’assistante sociale et encourage les participantes à mieux le définir. « Elle nous a appris à écouter et entendre avec beaucoup de précisions » et « comprendre ce qui était en jeu pour les personnes dans leurs difficultés », rapporte Catherine Lang. En 1954, deux membres du groupe, dont Catherine Lang, décident de partir aux États-Unis pour se perfectionner. Boursière de l’ONU, elle bénéficie d’un programme financé par le plan Marshall. Il s’agit d’une alternance de cours universitaires et d’un stage dans une banlieue de New York où elle suit notamment une famille de migrants français. Elle est hébergée au foyer de l’enfance puis au sein de familles. Elle fait ensuite le tour des États-Unis en bus Greyhound avant de revenir en France. Cette expérience américaine sera une des plus belles années de sa vie : « Ce ne fut pas qu’une année de plaisir, mais c’est vraiment là que j’ai appris mon métier ». À son retour et au cours des années 1956-1957, le « métier » connaît une période d’effervescence autour de cette méthode nouvelle. Le comité d’entente des écoles de service social, l’UNCAF, et bien d’autres institutions, dont la SNCF, multiplient les initiatives et les cours d’apprentissage. Le numéro 1 de la revue Vie sociale, édité en 1999, dresse un panorama complet de l’introduction du case-work en France et du rôle des nombreuses actrices de ce mouvement. Il ne serait pas totalement juste d’oublier aussi les réticences, les incompréhensions d’une partie du corps professionnel redoutant la mise en cause de leurs pratiques professionnelles ou l’abandon des origines du métier. Mais ces craintes se dissipent vite face à l’enjeu de la professionnalisation et à la clairvoyance de certaines responsables de service. L’urgence médicale et sanitaire n’est plus le quotidien des assistantes sociales et beaucoup cherchent une reconnaissance par une méthodologie déjà pratiquée et reconnue aux États-Unis. Les placements d’enfants, la séparation des familles questionnent le corps professionnel sous un angle plus psychologique. Les équipements sociaux se multiplient, les fléaux sociaux reculent, d’autres métiers investissent le champ social, la seule réponse médico-sociale n’apparaît plus comme pertinente. Ainsi, il semble nécessaire, au vu de ces changements, de se désinvestir du champ médical pour élargir les compétences et mieux répondre aux besoins détectés. Catherine Lang est au cœur de ces évolutions et des débats du moment. Au sein du service social SNCF où elle exerce, plusieurs dirigeants, et les assistantes sociales principales dans leur majorité, encouragent et soutiennent ces évolutions.

La bibliothèque du BEQS, 1950 (source : SARDO – Centre National des Archives Historiques (CNAH) du Groupe SNCF).


Le Bureau d’Étude des Questions sociales (BEQS), dirigé par Jacqueline Cuisiniez, sera l’instrument pour former les assistantes sociales de la SNCF. À la fin des années 1960, une grande majorité des assistantes sociales SNCF est sensibilisée ou formée au case-work. Le BEQS fera notamment appel à Myriam David et Catherine Lang dès la fin des années 1950. En effet, à la suite de son séjour américain, elle entreprend et autofinance une formation de superviseur, mise en place par l’UNCAF. Puis elle partage sa vie professionnelle entre le secteur de Villeneuve-Saint-Georges et la formation au BEQS avec des supervisions. Sa situation « d’assistante de base » et de formatrice n’était pas sans ambiguïté vis-à-vis de la hiérarchie sociale. Elle se voit donc proposer un poste d’assistante sociale chef, mais sa vie personnelle l’éloigne de ce choix.

Une autre vie, de la Recouvrance à l’écriture

Catherine et Marc de Béchillon, 1970 (source : coll. Catherine de Béchillon).


Le 15 juin 1960, Catherine Lang épouse Marc de Béchillon. Lui-même, hasard de la vie, est le fils d’un ingénieur de la SNCF. Elle attend un enfant, Denys, né le 29 mai 1961, et le poste de responsable d’un service lui apparaît peu compatible avec sa nouvelle vie. Elle devient enseignante au BEQS pour quelques années. Au cours de cette période, Catherine de Béchillon commence à écrire et intervient notamment lors de séminaires ou conférences organisés par l’ANAS. Le dirigeant des services sociaux, Monsieur Paris, lui propose de participer à des formations hors SNCF. Elle enrichit ainsi son réseau et transmet sa pratique du case-work. En 1968, à la faveur d’un changement professionnel de son mari, formé à l’art-thérapie, ils décident de créer un centre psychothérapeutique près de Tarbes.

La Recouvrance, 1970 (source : coll. Catherine de Béchillon).

Le centre de la Recouvrance, avec ses 21 lits, ouvre le 2 février 1969 et accueille des enfants puis des adultes en grande difficulté psychologique. Elle y assume la fonction de direction pour « assurer la sérénité de la maison ». Elle maintient des liens étroits avec Myriam David qui l’aide pour les situations difficiles. C’est un investissement total pour elle et son mari, avec une bataille sans fin pour obtenir l’agrément de l’établissement pour les moins de 18 ans. Le centre accueillera parmi les patientes Gabrielle Russier, se souvient-elle lors d’un entretien[1]. Elle sera sollicitée au moment de « l’affaire » par des journalistes mais refusera de répondre à la presse.

Catherine de Béchillon, 1990 (source : coll. Catherine de Béchillon).

Après 14 ans d’engagement et de persévérance, le centre ferme en avril 1986. Son mari ouvre un cabinet à Pau, et Catherine de Béchillon reprend des activités de supervision et d’enseignement à l’école de service social de Pau et à l’UNCANSS. Elle travaille également à mi-temps pour le conseil général des Pyrénées-Atlantiques et pour l’association béarnaise de contrôle judiciaire en réalisant des enquêtes sociales et de personnalité pour le juge instructeur. Elle intervient également pour une association d’insertion.

En 1997, elle rédige son ouvrage Aider à vivre, propos sur le service social, paru en 1998, et poursuit sa réflexion sur le métier d’assistante de service social et le travail social en publiant de nombreux articles. Elle approfondit ainsi sa pratique et théorise des aspects méthodologiques, notamment par l’apport des sciences humaines, et plus particulièrement de la psychologie et de la psychanalyse. Avec Aider à vivre, c’est au terme d’une longue carrière qu’elle souhaite témoigner pour faire connaître « cet étonnant métier qu’est le travail social ». Elle fait revivre le souvenir des « rencontres avec des hommes, des femmes, des enfants qui ne soupçonnaient pas que leur richesse intérieure, plus que leur détresse, donnait un sens à leur vie ». Rencontrant les uns et les autres à son bureau, dans la rue, dans des cafés, à leur domicile, dans le train ou sa voiture ou à l’hôpital, en prison ou à la Recouvrance, elle énumère ces lieux car, pour elle, c’est une des originalités de ce métier : « Il peut s’exercer en tous lieux et donc s’ancre dans la vie ». Cette énumération de lieux ne suffit pas cependant pour dire la difficulté du métier qui « par des gestes, quelquefois d’une grande banalité, comme accompagner une démarche de celui qui a trop peur d’autrui pour la faire seul » peut aider à vivre… Lors des entretiens, elle se rappelle avec émotion de ces situations suivies et apportées en supervision : Juliette, Angèle, Alain et bien d’autres, qu’elle a accompagnés à un moment de leur vie. En introduction de son ouvrage, elle mentionne que son « éducation bourgeoise ne la préparait pas à prévoir que la vie lui offrirait une si grande diversité ». Elle savait que ce métier la confronterait à la souffrance et aux manques : « Mon expérience de la guerre, où j’ai survécu à la Shoah, a sans doute un sens dans le choix que j’ai fait de devenir assistante sociale. Mais j’ignorais que j’allais tant recevoir ». En conclusion, elle imagine que « d’autres poursuivront le chemin pour ouvrir de nouvelles voies car la tâche demeure d’actualité. Elle est difficile, parce qu’elle nous fait côtoyer la douleur, la misère, le désespoir, les incapacités, le vide ; parce qu’elle manque souvent de nous entraîner dans l’aveuglement de la réparation sans fin. Mais elle nous fait participer à la richesse de l’expérience humaine ». Fidèle aux valeurs de ce métier, membre de l’ANAS depuis 1947, Catherine de Béchillon souhaite transmettre et nous dit « combien ce métier exige d’invention, de présence, d’intérêt pour les personnes, de souplesse et de rigueur ». En citant le poète autrichien Rainer Maria Rilke, elle espère qu’il peut y avoir un art d’aider.

Catherine de Béchillon, 90 ans (source : coll. Catherine de Béchillon).


Elle clôt sa carrière professionnelle à la fin des années 2000 puis entre en 2013 dans une maison de retraite qu’elle quittera ensuite pour s’installer dans un établissement géré par des sœurs. Pour Catherine de Béchillon, c’est un choix en lien avec l’aide vitale apportée par les sœurs de Notre-Dame-de-Sion à sa sœur et à elle-même pendant la guerre et les persécutions des Juifs.

Aujourd’hui âgée de 95 ans, elle garde une mémoire incroyable, une intelligence, une sensibilité aux questions humaines et une vivacité d’esprit sans égale. Elle reçoit ses nombreux visiteurs, dont plusieurs anciennes patientes de la Recouvrance, en contemplant de ses yeux bleus perçants une superbe vue sur les Pyrénées.



Articles / Ouvrages de Catherine de Béchillon

1984, « L’évolution du service social dans la dynamique de l’histoire : un temps fort du 39e congrès de l’ANAS », La Revue française de service social, n° 141-142.

1985, « Le problème des enfants maltraités posé à l’assistante sociale », La Revue française de service social, n° 144-145.

1990, « La Maltraitance : une réponse professionnelle », La Revue française de service social, n° 156.

1993, « L’Enquête de personnalité », Congrès de l’Association française de criminologie, Pau, p. 181-183.

1995, « Entre théorie et pratique », La Revue française de service social, n° 177-178.

1998, Aider à vivre, propos sur le travail social, Toulouse, Erès.

2009, « Le travail social, formation à l’accompagnement », Empan, n° 74, p. 107-112.

2009, « Les violences aux mineurs », Problèmes politiques et sociaux, n° 964.

2010 « Service social et placement familial », Empan, n° 80.

2011, « Notre métier est-il un art ? » La Revue française de service social, n° 243.

2014, « Une transformation en profondeur du travail social », dans David M, Prendre soin de l’enfance, Toulouse, Erès.

2017, « La clinique en service social », La Revue française de service social, n° 265.

Bibliographie

Entretiens avec Catherine de Béchillon (2018), menés par Paula Parravano et Laurent Thévenet.

Archives SNCF, œuvres sociales et services sociaux, Le Mans.

Bibas N. (2012). Henri Lang, un dirigeant de la SNCF mort à Auschwitz, Paris, LBM.

Charrier MF, Feller É. (2001). Aux origines de l’action sociale, l’invention des services sociaux aux chemins de fer, Toulouse, Érès.

Charrier MF, Feller É. (2012). L’action sociale à la SNCF, l’affirmation d’une identité, Toulouse, Érès.

Cheminée L, Bouquet B, Boudard F. (1999). Éléments pour une histoire du Case-Work en France (1945-1970), Vie sociale, n° 1, p. 3-110.

Thévenet L. (1997). « Les assistantes sociales du chemin de fer. Émergence et construction d’une identité professionnelle 1919/1949 », maîtrise d’histoire.

Remerciements :

Pascale Durand, Marilyne Gérard, Monique Guessard et Paola Parravano.

[1] Gabrielle Russier est une professeure de lettres, née le 29 avril 1937. À la suite d’une liaison amoureuse avec un de ses élèves, alors âgé de seize ans, elle a été condamnée à un an de prison avec sursis pour enlèvement et détournement de mineur. Elle se suicide le 1er septembre 1969. Son histoire a inspiré de nombreuses œuvres comme le film d’André Cayatte Mourir d’aimer (1971) avec Annie Girardot, et une chanson de Charles Aznavour (1971).

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