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Vocation


Issu d’une famille d’enseignants, aux lointaines origines catalanes comme l’indique son patronyme, Georges Ribeill naît en 1945 à Toulouse où il fait toutes ses études secondaires. Plutôt « matheux », il est admis à l’École Centrale des Arts et Manufacture dont il sort en juin 1968.


Nulle affinité « native » avec le rail


Résidant dans le quartier Saint-Sauveur à proximité du canal du Midi et de la voie ferrée électrifiée, Georges Ribeill échappe non seulement au charme des locomotives à vapeur mais encore aux sirènes de son professeur de physique du Lycée Fermat, Lucien Laporte, militant ferroviphile régional de premier plan au sein de l’AFAC et agent recruteur des Cadets du rail qu’il emmène visiter le triage de Saint-Jory… Dans les vacances qui le conduisent vers la Côte basque, penché à la fenêtre, il observe toutefois non sans fascination le couple de BB placées en tête et en queue du train, mobilisées pour gravir la fameuse rampe de Capvern. Et « montant » régulièrement à Paris en train, il éprouve quelque discrète admiration à l’égard des massives 2D2. Effectuant plus tard son service militaire comme sous-lieutenant à Montluçon, il lui arrive de tuer l’ennui dominical en allant faire quelques photos dans l’impressionnant cimetière de locomotives à vapeur jouxtant les hauts fourneaux des usines Saint-Jacques, gloutons en ferrailles... Mais aucun émoi à l’égard de l’impitoyable sort qui les attend ! Rien qu’une simple vibration esthétique…


Une vocation inébranlable de chercheur au long cours


Durant toute sa carrière, débutée en 1973 à la direction de la Recherche de la SEMA, le plus important bureau d’études alors, Georges Ribeill suit un parcours de chercheur pratiquant un large espace multidisciplinaire compris entre la modélisation des sciences humaines, la sociologie, la prospective et enfin… l’histoire ! Georges Balandier, intéressé par ses travaux, l’invite à préparer une thèse de troisième cycle en sociologie, soutenue en 1974, qui donnera lieu à son premier livre publié, Tensions et mutations sociales (PUF, 1974). Toutefois, la discipline de l’histoire l’attire car moins portée que la sociologie aux spéculations conceptuelles – et souvent éphémères – qui rythment et renouvellent des débats très académiques. Un appel d’offres du ministère des Transports centré sur les métiers lui en fournit l’occasion en 1977. Il propose de s’intéresser aux cheminots, mais après un large détour historique pour comprendre comment on les avait « fabriqués » au XIXe siècle : un objet d’étude riche et complexe qui fait appel à la géographie physique et humaine, à l’histoire des innovations techniques, au management des grandes entreprises. La commande du ministère l’oriente ainsi en priorité vers l’histoire sociale. Après un premier rapport remis en 1980 (« Des origines à 1914 »), il est sommé de s’intéresser à la SNCF. D’où un second volet terminé en 1982.


Premiers contacts avec la SNCF


Bien que la SNCF fût censée faciliter le travail des chercheurs, les contacts nécessaires avec sa direction du Personnel (que dirigeait alors M. Descoutures), sont empreints d’une grande réserve. « Je devais formuler mes questions par écrit à Mlle Le Gall, austère inspectrice. Après quelques semaines, j’avais enfin mes effectifs du personnel… », se souvient Georges Ribeill, fasciné par ce monde de la SNCF non seulement clos vis-à-vis de l’extérieur mais encore fortement cloisonné à l’intérieur. Heureusement, deux responsables syndicalistes, intéressés par ce regard extérieur, lui ouvrent les portes des deux principales fédérations de l’époque, CGT et CFDT : Pierre Vincent et Michel Gorand. Toutefois, comme il avance la thèse d’une communauté cheminote que sa culture professionnelle en cours d’érosion fragilise, son rapport de 650 pages est censuré par la direction de la SNCF. Il n’en trouve pas moins un lectorat, au point d’en faire une édition-pirate diffusée clandestinement au sein de la grande maison. De cette somme consacrée au personnel de la SNCF, Georges Ribeill tire en 1984 un petit livre de la collection « Repères », Les Cheminots, apprécié par les cheminots de base qui y découvrent une mise en perspective de leurs origines et de leur évolution.


Les hommes plutôt que les machines


Georges Ribeill rejoint ainsi la communauté des chercheurs sociologues et historiens du transport. En 1988, il rejoint le comité scientifique de l’AHICF nouvellement créée et, un an plus tard, inscrit en thèse d’État à Jussieu chez Michelle Perrot, où il avait déposé un sujet tout autre (l’organisation du travail au XIXe siècle), il obtient un doctorat « nouveau régime », livrant une suite à son premier travail (Le personnel des compagnies, 1914-1920), ainsi qu’une synthèse de ses travaux : « La société cheminote, de l’essor à l’usure. Histoire d’une corporation moderne ». De fil en aiguille, la SNCF, en pleine évolution managériale, reconnaît la valeur de ses travaux et fera appel à plusieurs reprises à ses compétences de sociologue ou d’historien. Il est associé aux recherches lancées par la RATP sur son histoire. Ce qui l’intéresse, souligne-t-il constamment, ce sont les hommes plutôt que les machines… Depuis l’indispensable « lampiste » sans l’intervention duquel les trains ne peuvent circuler, jusqu’aux administrateurs des anciennes compagnies ou dirigeants de la SNCF. Chercheur depuis 1983 à l’ENPC, rattaché au Laboratoire Techniques, Territoires et Société (LATTS), Georges Ribeill développe aussi des recherches sur les corps d’ingénieurs français, comparant notamment ingénieurs des corps d’État et ingénieurs civils, nombreux à faire carrière dans les chemins de fer. En 1999, le ministre des Transports le retient parmi les promus dans l’ordre national du Mérite.


Sur les rails de l’histoire locale


Une résidence secondaire acquise à Dixmont dans l’Yonne en 1983 ne va pas le détourner pour autant de ses recherches ferroviaires. Il découvre que le banquier fondateur de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Saint-Germain, Adolphe d’Eichthal, y a construit un manoir en 1851, laissant de nombreuses traces dans l’histoire locale. Il se rend compte également du fait qu’il est à moins de 20 km de Laroche-Migennes : du coup, il va faire de cette cité cheminote un terrain privilégié d’analyse et promouvoir cette discipline trop méconnue qu’est la « migennologie ». Plus récemment, on découvre que les parents de Pierre Sémard, un couple de cheminots du PLM, ont séjourné à Villeneuve-sur- Yonne où leur fils a passé toute son adolescence. Sur moins d’un kilomètre, le TGV franchit sa commune… Occasion, lors du récent trentenaire, de relater l’histoire de la réception tumultueuse du projet dans l’Yonne par ses agriculteurs et chasseurs. Bref, cerné par tous ces rappels du rail, Georges Ribeill devient aussi un historien local, membre de multiples sociétés savantes, présidant depuis 1997 le Syndicat d’initiative de sa commune, qu’il a transformé en une très dynamique association culturelle, vouée au patrimoine et à l’histoire du Pays d’Othe.


Une retraite toute ferroviaire


C’est pourquoi, malgré son entrée en retraite au printemps 2011, il n’en continue pas moins ses recherches. Des sujets vierges à explorer : tel le pouvoir considérable d’influence politique et médiatique des grandes compagnies ; ou des sujets classiques, à approfondir : telle la Révolution du printemps 1848, où le spectre de la nationalisation des compagnies conduira à la contre-révolution des journées de Juin ; ou les débuts de la SNCF et son rôle durant l’Occupation, objet de débats, polémiques et procès qui lui semblent inextinguibles. C’est plutôt en anthropologue qu’il s’intéresse à quelques « objets » plus étroits : règlements internes des compagnies, recueils des tarifs et indicateurs Chaix, Hygiaphone des guichets SNCF, mystérieuse clef de Berne, jusqu’aux cageots de chasselas de Moissac et caisses de dindes du Berry dont la Compagnie d’Orléans voulait régir la forme et les dimensions entre les deux guerres. ■


Références :


- Les Cheminots, Paris, Éditions La Découverte, 1984, 128 p.

- La Révolution ferroviaire : la formation des compagnies de chemins de fer en France, 1823-1870, Paris, Éditions Belin, 1993, 478 p.

- PLM-City : Histoire d’une ville née du rail, Migennes, Dixmont, Georges Ribeill, 1999, 185 p.

- Des faveurs patronales au privilège corporatif : histoire du régime des retraites des cheminots des origines à nos jours (1850-2003), Dixmont, Georges Ribeill, 2003, 159 p.

- Dossier : « SNCF et déportations », Historail, n° 4 (janvier 2008).

- « Vers une Europe ferroviaire sans frontières techniques. Histoire de l’interopérabilité des chemins de fer européens ou les heurs et malheurs d’un enjeu majeur », revue Chemins de fer, n° 495 (décembre 2005) et numéros suivants.

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