Troisième épisode : l’année 1840 (1/2). La toile commence à prendre de l’expansion
Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec
La ligne d’Alès à Nîmes et Beaucaire
Cette ligne (72 km), oeuvre de la Compagnie des houillères de la Grand’Combe et des chemins de fer du Gard, a été ouverte en deux étapes : de Nîmes à Beaucaire le 15 juillet 1839, d’Alais (aujourd’hui Alès) à Nîmes le 19 août 1840. Elle n’a malheureusement fait l’objet que de très peu d’illustrations dans les premières années de son exploitation. Nous n’avons trouvé qu’une seule lithographie (non signée et non datée) de la gare de Nîmes (figure 1). Toutefois il est certain que cette lithographie représente bien le bâtiment de l’époque car l’une des colonnades d’origine a été conservée, toujours visible au coin de la rue Sully, à l’entrée de la gare des marchandises.
La ligne de Paris à Versailles RG
La ligne de Paris à Versailles par la rive gauche (17 km), mise en service le 10 septembre 1840, a inspiré au moins 13 illustrations, non compris celles liées à l’accident du 8 mai 1842 survenu dans la tranchée de Bellevue, à Meudon.
Au départ de Paris, l’embarcadère du Maine a été très peu représenté. Reprise de façon récurrente de 1840 à 1852, la seule illustration connue (figure 2), en dehors de quelques dessins d’architecture, a été originellement publiée en 1840 dans le guide de Bourdin Voyage Pittoresque de Paris à Versailles (1). Cette vue de l’intérieur du bâtiment montre l’économie des moyens mis en oeuvre par la Compagnie du chemin de fer « de la rive gauche » et l’obligation pour elle de se doter d’une gare plus étendue, établie rue Montparnasse en 1852 (2).
À l’autre extrémité de la ligne, seules deux images donnent l’idée de l’agencement de la gare de Versailles, dont celle choisie par Auguste Perdonnet (figure 3) pour illustrer le tome II de son Traité élémentaire des chemins de fer, publié en 1856 (3). L’autre illustration est issue de l’ouvrage de Bourdin précité.
Contrairement aux gares de Paris et de Versailles, le viaduc de Val Fleury a retenu l’attention des peintres et dessinateurs à sept reprises au moins, soit la moitié des illustrations consacrées à la ligne. Un intérêt qu’expliquent les difficultés posées par sa réalisation, dues notamment à l’instabilité des terrains. Auguste Perdonnet y fait référence dans le tome I de son Traité élémentaire des chemins de fer (4), commentaire agrémenté d’une vue montrant l’ampleur des travaux de remblai qu’il a fallu entreprendre aux abords de ce viaduc (figure 4).
Les six autres représentations portent sur l’ouvrage une fois terminé. Nous en avons retenu deux. La première (figure 5) fait partie d’une série de 34 lithographies focalisées sur le chemin de fer de l'Ouest, peintes en 1854 par Louis-Julien Jacottet (1806- 1880). Elle révèle l’importance du travail accompli et l’absence totale d’urbanisation, les premiers faubourgs de Paris n’apparaissant que dans le lointain. Les choses ont bien changé depuis 175 ans ! En témoigne le petit tunnel sous la voie qui a été remplacé de nos jours par un pont construit sur l’actuelle avenue Le Corbeillier. Détail amusant, Jacottet n’a attribué au viaduc que six arches contre sept dans la réalité (figure 6). D’autres de ses lithographies dévoilent la propension de l’artiste à prendre quelques libertés avec celle-ci, nous y reviendrons.
La seconde représentation du viaduc de Val-Fleury (figure 7) est extraite de la série d’aquarelles inédites produites en 1840 par Jean-Charles Develly (1783- 1862), récemment identifiées par Nicolas Pierrot dans les archives de la manufacture de Sèvres (5). On remarque ici que le remblai d’accès au viaduc (à sept arches cette fois-ci) a été précédé de chevalets provisoires qui ne sont pas sans rappeler les constructions adoptées outre-Atlantique.
Cette série d’aquarelles nous permet de découvrir trois autres sites ferroviaires situés sur le territoire de Sèvres : la station (figure 8), le pont du Val Doisu (figure 10), et l’Aqueduc (figure 12). Nous avons mis en parallèle les vues des lieux tels qu’ils se présentent aujourd’hui (figures 9, 11 et 13) avec, toutefois, une petite incertitude pour l’aqueduc.
+Si l’essentiel des images collectées ont trait à des bâtiments ou à des ouvrages d’art, quelques vignettes ont le matériel roulant comme sujet. Deux répondent à ce critère. Établies à partir de gravure sur bois debout et reproduites ensuite probablement par stéréotypie, elles figurent pour la première fois, à notre connaissance, dans le guide Bourdin déjà mentionné. La première montre la locomotive La Victorieuse, construite par Stephenson et qui, selon les travaux de Jacques Payen (6), a circulé sur la ligne dès son ouverture. La seconde (figure 14) représente un train passant devant la guérite d’un cantonnier. On retrouve ces vignettes dans plusieurs autres publications, principalement dans les guides Bourdin puis les guides Hachette relatifs aux lignes de l’Ouest, cela jusqu’en 1853.
La ligne de Paris à Corbeil
Longue de 30,2 km, la ligne de Paris à Corbeil est inaugurée le 20 septembre 1840 par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans, dont elle constitue l’amorce (tronçon commun sur 18,6 km, de Paris à Juvisy). Une gravure, de provenance inconnue, datée de 1850 par Dollfuss (7), mais probablement plus ancienne, nous montre « La gare de la place Valhubert vers 1840 », l’origine parisienne de la ligne. L’incertitude quant à la provenance et la date laisse des doutes sur l’exactitude du dessin (figure 15). Les premières images crédibles ont été publiées par le journal L’Illustration le 6 mai 1843, au lendemain de l’inauguration du prolongement de la ligne depuis Juvisy jusqu’à Orléans (102,4 km). Y sont reproduites des vues de la ligne et de l’embarcadère de Paris en bordure de la rive gauche de la Seine (figure 16). Bien qu’il ait été agrandi ultérieurement, le bâtiment administratif, qui donne directement sur la place Valhubert, témoigne encore du bâtiment d’origine.
À partir de 1843, de très nombreuses illustrations représentant la ligne de Paris à Orléans et son embranchement sur Corbeil sont publiées. La seule partie comprise entre Paris, Juvisy et Corbeil a ainsi fait l’objet d’au moins 48 illustrations entre 1840 et 1868. Parmi celles-ci, douze intéressent la gare de Paris, trois le bâtiment d’administration, cinq les ateliers de construction et d’entretien du matériel d’Ivry et vingt-huit les paysages entre Paris et Corbeil (incluant douze gares ou stations, deux passerelles et deux ponts).
Ces illustrations, dans leur très grande majorité, ont été produites entre 1843 et 1845 par Jean- Jacques Champin (1796-1860), notamment pour les besoins de son album Paris-Orléans ou parcours pittoresques du chemin de fer de Paris à Orléans (8) qui ne compte pas moins de cinquante lithographies et autant de vignettes sur bois debout. Nous en avons extrait, comme particulièrement représentative, la vue du débarcadère de Corbeil sous la neige (figure 17).
Une autre série remarquable de lithographies a été réalisée en 1846 par A. Dauzats et P. Blanchard sous forme d’un panorama de 35 vues. Nous avons retenu ici la vue des ateliers d’Ivry (figure 18), également prise pour modèle par d’autres artistes.
(1)- E. Bourdin, Voyage Pittoresque de Paris à Versailles, Paris, 1840.
(2)- K. Bowie, Les Grandes Gares parisiennes du XIXe siècle, Catalogue d’exposition, Paris, [1987], 206 p.
(3)- A. Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, tome 2, Paris, Langlois & Leclercq, 1856, 582 p.
(4)- A. Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, tome 1, Paris, Langlois & Leclercq, 1855.
(5)- Nicolas Pierrot, « Lignes et panaches, L’imagerie pittoresque à l’épreuve de la modernité ferroviaire (Île-de-France, 1840-1860) », Mémoires publiés par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de- France, tome 64, Paris, 2013, p. 61-76.
(6)- Jacques Payen, Bernard Escudié, Jean- Marc Combe, La Machine locomotive en France, des origines au milieu du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986.
(7)- Charles Dollfus, Edgar de Geoffroy, L’Histoire de la Locomotion Terrestre, vol. 1, Les Chemins de fer, Éditions L’Illustration, 1935, 376 p.
(8)- J.-J. Champin, S. Tuffet, Paris-Orléans ou parcours pittoresques du chemin de fer de Paris à Orléans. Publié sous les auspices de M. F. Bartholony président du conseil d’administration du chemin de fer de Paris à Orléans. Paysages, sites, monuments, aspects de localités choisies parmi ce qu’il y a de plus remarquables sur tout le trajet, Champin, 1845.
Remerciements
Nous tenons à remercier les conservateurs qui nous ont permis de publier certaines illustrations dont leur sinstitutions sont les dépositaires :
Monsieur Romuald Goudeseune, de la Médiathèques d'Orléans ;
Madame Élise Fau, du Musée national de la Voiture et du Tourisme de Compiègne ;
Mesdames Aleth Jourdan et Isaline Portal du Musée du Vieux Nîmes.
Nous remercions également Monsieur Nicolas Pierrot dont les patientes recherches ont permis de mettre au jour les remarquables illustrations de J.-C. Develly et qui nous a permis d’utiliser ses photos.
Comments