En 1978, la généralisation à toutes les gares et à tous les trains du compostage des billets par les voyageurs avait sonné le glas des poinçonneurs et levé le dernier obstacle au libre accès aux quais. Une liberté progressivement remise en question depuis 2000 avec la mise en place des premiers « filtrages », tendance qui devrait se renforcer encore en réaction aux derniers événements (1). On revient ainsi peu à peu à la condition qui était faite à nos aïeux, tant voyageurs grandes lignes que banlieusards, assignés dans les salles d’attente jusqu’à l’imminence du départ. Il s’agissait déjà alors de limiter la fraude et les accidents – de sûreté, il n’était pas encore question – et ce n’est qu’à contrecœur que les grandes compagnies avaient cédé aux demandes de l’administration en 1885, le PLM adoptant même en 1890 le principe du ticket de quai autorisant parents et amis à accompagner le voyageur jusqu’à sa voiture. Enfin, en 1929, les Chemins de fer de l’État invitaient les banlieusards parisiens à composter eux-mêmes leur billet.
Bruno Carrière
« Depuis que les chemins de fer sont en exploitation, les voyageurs sont dirigés, à mesure qu’ils prennent leurs billets de place, dans les salles d’attente, d’où ils ne sont introduits sur les quais d’embarquement qu’un certain nombre de minutes avant le départ du train. » C’est par ces quelques lignes que, par une circulaire en date du 22 juin 1863, le ministre des Travaux publics Eugène Rouher invite les grandes compagnies à autoriser, à titre d’essai, les voyageurs à accéder aux quais d’embarquement, une fois munis de leur billet. Le même jour, il enjoint à son administration de lui rendre compte des conséquences sur le terrain de « l’adoption d’un usage en vigueur sur certains chemins étrangers », à commencer par les chemins de fer anglais.
En septembre 1840, les ingénieurs Camille Polonceau et Victor Bois signent dans la Revue générale de l’architecture une étude intitulée « De la disposition et du service des gares et stations sur les chemins de fer. Gares d’arrivée et de départ » dans laquelle, après avoir rappelé le dispositif en vigueur, ils justifient l’option française basée sur l’appétence de nos compatriotes pour la fraude et l’impossibilité juridique pour les compagnies de pouvoir sévir sur-le-champ (voir aplat 1).
Il n’échappe néanmoins à personne que le principe qui consiste à emprisonner les voyageurs dans les salles d’attente jusqu’à l’imminence du départ est loin d’être satisfaisant. C’est ce qu’Eugène Rouher rappelle en préambule dans sa circulaire du 22 juin 1863.
« Il résulte divers inconvénients de cet état de choses. D’abord, au moment de l’ouverture des salles, chacun se précipite, quelquefois avec violence, au risque de renverser les femmes et les enfants qui font partie des voyageurs, afin de pouvoir choisir des places à sa convenance ; de là des désordres. Quelquefois, les meilleures places sont occupées, grâce à l’introduction sur les
« Mais en France, nulle contrainte ne peut-être exercée… » (1840)
« Pour attendre ce moment [le départ du train], deux modes peuvent être adoptés, et de leur choix dépend la disposition générale des bâtiments et leur étendue. On adopte tantôt de vastes salles d’attente pouvant contenir 1 500 personnes, tantôt une salle de 500 personnes au plus et, dans ce cas, on laisse aux voyageurs la faculté de se promener sur les trottoirs.
« Dans le cas où l’on adopte de vastes salles d’attente, quelques minutes avant l’heure du départ, un coup de cloche fait l’appel des plus hautes places ; les portes de la salle qui renferme les voyageurs munis de ces billets s’ouvrent, et leur donnent issue sur des trottoirs d’où ils se placent directement dans les voitures qui leur sont destinées. Quand les trottoirs sont complètement dégarnis, et quand les portières des voitures de premier ordre sont exactement fermées, un second et un troisième coup de cloche donnent successivement issue aux voyageurs munis de billets de seconde et de troisième classe, ainsi qu’à ceux qui ne parcourent pas toute la ligne, et qui, s’arrêtant aux stations intermédiaires, doivent être placés dans des wagons à part : de cette manière, la régularité du service est parfaite, et toute confusion est impossible ; c’est ainsi qu’on en agit aux chemins de fer de Saint-Germain et de Versailles (rive droite). Le second mode, adopté sur tous les chemins de fer anglais, consiste à permettre aux voyageurs de circuler, jusqu’au moment du départ, sur des trottoirs parallèles à la ligne du chemin, situés généralement à 1 mètre au-dessus des rails et longeant les diligences et les wagons qui composent le convoi. Deux barrières peuvent limiter, aux deux extrémités, l’espace dans lequel circulent les voyageurs qui attendent, et les empêcher de gêner le service de la gare par leur présence ; le convoi s’oppose d’ailleurs à ce qu’ils descendent sur la ligne, et une forte amende est imposée à celui qui contrevient à ce règlement de police. Les portières sont toutes ouvertes, et chaque voyageur peut, s’il le veut, se placer de suite dans les voitures désignées par le billet dont il est porteur ; c’est encore par une amende assez forte (20 shill.), 25 francs, que l’on s’assure que chacun ne prendra que la place qui lui est affectée, et non une place supérieure. Ce mode a sur le premier le grand avantage d’éviter que les voyageurs ne soient parqués, jusqu’à l›heure du départ, dans une salle dont la monotonie fait difficilement supporter le temps de l’attente. Il présente, de plus, l’avantage d’éviter l’encombrement de la foule qui se précipite au coup de cloche pour s’emparer des places. Les voyageurs, arrivant successivement et en petit nombre, prennent leurs places sans que les conducteurs aient l’embarras de placer plusieurs centaines de personnes qui se précipitent à la fois. Mais ce mode a l’inconvénient d’une plus grande difficulté de surveillance, et des chances de désordre. En effet, s’il arrive, ce qu’il est difficile d’éviter, surtout en France, que les voyageurs ne prennent leur place qu’au moment même de partir, n’arrivera-t-il pas souvent que des voyageurs nantis de billets de places inférieures s’empareront, à ce moment de confusion, de places qui ne leur appartiendront pas ? Comment alors les faire sortir pour les remplacer par les véritables propriétaires ? En Angleterre, le service ne souffre nullement de ce mode que nous déclarons meilleur, parce que la police du chemin est généralement faite par des constables agents en même temps du chemin de fer aussi bien que de l’administration ; parce que l’amende qui est imposée par les règlements de la compagnie peut être perçue par contrainte immédiate ; parce qu’enfin les agents peuvent, de leur propre chef, faire sortir le voyageur en contravention, et trouvent une aide et un appui dans les autres voyageurs. Mais en France, nulle contrainte ne peut-être exercée, quelque juste qu’elle soit, sans l’intervention de l’autorité, et alors, à quels délais n’est-on pas exposé ! N’est-on pas d’ailleurs toujours habitué à prendre parti contre l’autorité, sans examiner si le bon droit est de son côté ? Nous voudrions, quant à nous, qu’une plus grande liberté d’action fût accordée aux administrateurs des chemins de fer, qu’ils pussent organiser et faire exécuter eux-mêmes des règlements de police intérieure, qu’ils fussent, en un mot, maîtres chez eux, sous la protection de l’autorité, à laquelle les règlements seraient soumis avant d’être mis à exécution. Nous ne doutons pas alors que l’on ne préférât de beaucoup laisser circuler pendant l’attente les voyageurs sur les trottoirs pour qu’ils pussent, pendant ce temps, occuper leurs regards avides à l’examen du chemin et des manœuvres de la gare. De cette manière, en familiarisant le public avec la facilité avec laquelle le conducteur se rend maître de sa machine, en mettant sous ses yeux ces moteurs dont la docilité égale la force, on verrait disparaître peu à peu les craintes chimériques qui sont si souvent invoquées par les détracteurs des chemins de fer. Nous appelons de tous nos vœux le moment où une compagnie adoptera ce mode, et nous ne doutons pas du succès, si l’autorité vient en aide aux directeurs, et met à leur disposition les moyens de surveillance et de répression dont ils pourront avoir besoin. Les jours ordinaires, le service ne sera nullement difficile ; les voyageurs, arrivant les uns après les autres, prendront séparément leur place. Les jours de fête, la surveillance devra être plus active et plus vigoureuse, et l’entrée dans les voitures devra s’opérer quelques minutes avant l’heure du départ pour éviter les retards. Nous pensons que la confusion sera évitée par la crainte d’être mal placé, et par le désir que l’on aura de s’emparer de suite de la place que l’on veut occuper. »
quais, avant l’heure d’ouverture des salles, d’un certain nombre de voyageurs privilégiés ; ce qui donne lieu à des récriminations et à des plaintes, qui ne manquent pas d’une certaine justesse. Enfin les voyageurs, devant être introduits en même temps sur les quais, n’ont aucun intérêt à arriver de bonne heure au chemin de fer, ce qui produit, au dernier moment, un encombrement considérable au guichet et surtout à l’enregistrement des bagages.
«Ces inconvénients seraient atténués ou même supprimés, si le voyageur était admis sur les quais, dès qu’il est muni de son billet ; il pourrait ainsi choisir sa place et le classement des voyageurs se ferait sans trouble, les meilleures places étant naturellement dévolues aux plus diligents. Le service de la distribution des billets se ferait avec plus de calme, et celui de l’enregistrement des bagages, moins précipité, permettrait d’éviter beaucoup d’erreurs et de fausses directions, qu’on ne peut attribuer qu’au peu de temps laissé aux agents pour cette opération. Enfin le public apprendrait un peu plus à se conduire lui-même, à veiller à ses propres intérêts et à éviter les chances d`accident, s’il s’en présentait.»
Une seconde circulaire en date du 22 décembre 1866, similaire à la première, rappelle aux compagnies qu’il est de leur devoir de s’exécuter. Comme souvent, s’écoule alors une longue période d’indétermination. Le temps pour un chroniqueur du Figaro de signaler, en 1875, qu’en Angleterre, en Belgique, et même en Espagne, « les portes des salles d’attente sont toujours ouvertes sur le quai de départ ». Un exemple qui n’était suivi en France, depuis peu, que par le Paris-Orléans (2).
(1)- Début 2016, quatre prototypes de dispositif d’embarquement – portiques équipés de lecteurs sans contact – seront expérimentés à Paris-Montparnasse et Marseille-Saint-Charles afin de limiter l’accès aux quais d’embarquement TGV aux seuls titulaires d’un titre de transport en règle. Sur les premiers « filtrages » et la généralisation du compostage voir Les Rails de l’histoire n° 2, novembre 2011, p. 48.
(2)- Cette initiative aurait été prise par le PO à la suite d’un voyage d’étude en Angleterre de son directeur, Emile Solacroup.
Il faut attendre le 10 janvier 1885 pour que, dans une nouvelle circulaire, le ministre des Travaux publics, constatant « qu’après une longue expérience » la mesure, « appliquée sur le réseau de l’État et dans diverses gares d’autres réseaux », n’avait soulevé aucune difficulté, décide de sa généralisation à partir du 1er avril.
Dans son édition du 2 juin 1885, Le Figaro signale que seul le réseau de l’Ouest s’était montré jusqu’alors réticent, prétextant « l’ignorance du public en matière de chemins de fer », donc prompt à ne pas observer les règles de sécurité les plus élémentaires. Une assertion dont le journal se moque : « Le plus ignare des Bretons sait parfaitement que les locomotives ça écrase quand on se met dessous… » Mais si l’Ouest plie, il exclut la gare de Paris-Saint-Lazare dont la transformation pour les besoins de l’Exposition de 1889 est annoncée. Trop de risques à ses yeux compte tenu de l’importance du trafic, notamment celui de la banlieue.
L’Ouest n’est pas le seul à signaler l’impossibilité d’étendre la « stricte application » de la mesure à toutes les gares. Aussi le ministre prend-il en compte les réserves formulées. Par une dernière circulaire en date du 10 mars 1886, il arrête :
- que les compagnies lui sou- mettront la liste des gares à exclure et les raisons justifiant cette exception ;
- qu’elles seront autorisées à suspendre momentanément le libre accès des voyageurs aux quais en cas de circonstances exceptionnelles.
S’appuyant sur ces deux circulaires, les compagnies ont tôt fait de faire valoir qu’elles ne pouvaient pas être tenues pour responsables des accidents occasionnés par l’affluence de la foule envahissant les quais. Une position aussitôt combattue par les avocats des parties adverses qui arguent de la liberté laissée aux- dites compagnies de suspendre momentanément le libre accès aux quais en cas de nécessité.
L’accès direct aux quais après contrôle est progressivement étendu des petites stations, moins sujettes aux risques de bousculade, aux grandes gares. Dans son édition du 10 juillet 1891, Le Journal des transports signale ainsi que les voyageurs sont toujours retenus dans les salles d’attente en gare de Montparnasse. Avec les conséquences que l’on peut deviner. Il cite notamment le départ du train de 8 h 02 du soir très fréquenté en cette saison par les détenteurs de billets de bains de mer à bon marché pour les plages de Bretagne.
« Inutile d’arriver tôt. La porte de la salle d’attente ne s’ouvre que tardivement, et c’est alors une course affolée : soldats, mathurins, bouviers et curés s’élancent et se précipitent, bousculant et devançant la maman qui, encombrée de paquets et de bébés, n’arrive pas bonne première. Et alors, il faut quelquefois, trop souvent, se disperser dans deux, dans trois compartiments différents. Le voyage se passe en inquiétude, et en soucis ; mauvais début de vacances. »
À Paris-Saint-Lazare, les voyageurs munis d’un titre de trans- port doivent attendre 1901 pour pouvoir accéder librement aux quais. Une nouvelle annoncée en mai par le chef de cabinet du ministre des Travaux publics au terme d’une expérience de deux mois. Une note « qui vaut à elle seule les bulletins de victoires de l’armée d’Egypte », ironise Le Journal des Transports en date du 11 mai 1901.
Quelques années plus tard, la seule idée d’être tenu enfermé dans l’attente du départ paraît totalement incongrue. C’est du moins le sentiment de l’auteur de l’article « La sécurité des voyageurs en chemin de fer », publié en 1914 dans l’Almanach pratique illustré du Petit Parisien.
« Jadis, les restrictions apportées à la liberté des voyageurs, étaient trop rigoureuses pour être supportées impunément à notre époque où aucune contrainte n’est admise. C’est ainsi que les voyageurs étaient enfermés dans les salles d’attente jusqu’à l’heure du départ du train. Je crois bien que les portes de ces salles seraient vite renversées si l’on voulait imposer de telles conditions aux voyageurs d’aujourd’hui. Le libre accès aux quais, essayé dès 1866, ne fut cependant généralisé que vers 1875. Ce fut une mesure qui reçut l’approbation de l’immense clientèle des compagnies de chemins de fer. »
Cette même clientèle qui est prête aujourd’hui à y renoncer.
Le cas particulier de la gare d’Enghien-Montmorency
Pour répondre au service « extrêmement actif de voyageurs » de la gare d’Enghien-Montmorency, la Compagnie du Nord recourt à un dispositif original décrit par Auguste Perdonnet dans son Traité élémentaire des chemins de fer (1855) : « Les portes des salles, à l’intérieur comme à l’extérieur, restent constamment ouvertes. Une barrière longitudinale partage le trottoir dans toute sa longueur. Des portes ménagées dans cette barrière servent à donner issue aux voyageurs au moment du passage du train. » Les voyageurs bénéficient ainsi d’une semi-liberté qui leur permet, sinon de circuler sur les quais, du moins de les côtoyer de plus près, et, selon Perdonnet, de se familiariser avec les machines : « Ils cessent en les admirant, de les craindre… » On ajoutera que ce dispositif donne aussi à la compagnie la possibilité de soulager à moindres frais les salles d’attente d’un surplus de voyageurs prompts à revendiquer en cas d’espace insuffisant.
Le ticket quai (1890)
À l’origine, seules les personnes munies d’un titre de transport étaient autorisées à accéder aux quais le moment du départ venu. Parents et amis étaient priés de rester dans les salles d’attente. Un chroniqueur du Figaro signale cependant en 1875 qu’il était possible en Espagne, plus précisément à Madrid, de déroger à cette règle moyennant l’achat d’un ticket dont la recette était reversée moitié aux pauvre de la ville, moitié à la caisse de secours des cheminots locaux. Deux ans plus tard, l’historien et essayiste français Anatole Leroy-Beaulieu rapporte dans L’Économiste français qu’en Espagne il est de tradition de ne pas parquer les voyageurs dans les salles d’attente, mais de les laisser monter dans les voitures au fur et à mesure de leur arrivée. Il confirme aussi l’observation publié par Le Figaro en 1875.
« Une coutume plus originale, que je ne me rappelle point avoir rencontrée ailleurs qu’en Espagne, et que j’ai pu observer sur la ligne de Ciudad-Real à Badajoz, c’est la vente de billets donnant aux personnes qui ne prennent pas le train, le droit de stationner sur la voie, ou mieux sur le quai d’embarquement, à l’arrivée ou au départ des convois. Sur la ligne de Badajoz, ces billets se vendent dans les gares ou aux buffets, et coûtent, je crois, un réal (25 centimes). Ce système a l’avantage de permettre aux familles ou aux amis qui se quittent ou se retrouvent, de pro- longer leurs adieux ou de se souhaiter la bienvenue, sans dépendre de la bonne volonté et du caprice des employés. »
En France, c’est le PLM qui, le premier, en 1890, introduit en France le ticket de quai. Le Journal des débats en fait état dans son édition du 21 août. Il rappelle à cette occasion qu’il est déjà une réalité en Belgique et en Autriche-Hongrie et précise que l’interdiction faite aux accompagnateurs en France d’accéder aux quais était en vigueur jusqu’alors, « non pour éviter un envahissement préjudiciable au service, mais pour permettre aux contrôleurs d’exiger un billet de tout voyageur sortant, et de s’assurer que chacun a payé sa place ». Il rappelle aussi, confortant ainsi la réflexion d’Anatole Leroy-Beaulieu, que certains bénéficiaient de passe-droits.
« Dans la pratique, les Compagnies admettaient quelques tempéraments à cet usage [la rétention dans les salles d’attente], et les chefs de gare autorisaient certaines exceptions. À l’Orléans, par exemple, on peut circuler sur les trottoirs d’arrivée moyennant l’obtention d’un petit bulletin personnel signé par le sous-chef et repris à la porte de sortie. Au Paris-Lyon-Méditerranée, des permissions étaient accordées également, à titre individuel, et par faveur, mais sans bulletin. Quelques secondes avant l’arrivée des trains, les contrôleurs se promenaient sur le quai pour reconnaître de mémoire les personnes auxquelles il n’y aurait pas lieu de réclamer de billet de place. On comprend combien ce système était défectueux et quelle latitude il laissait à la fraude. »
En juin 1890, le PLM généralise donc les billets de quai vendu au prix unitaire de 10 centimes. Ils ne sont valables que pour une heure et changent de cou- leur à chaque distribution afin d’éviter leur réemploi. Limitée dans un premier temps à la gare de Paris- Lyon (500 à 600 tickets de quai écoulés chaque jour les deux premiers mois), l’expérience est ensuite étendue à tout le réseau, à charge pour les chefs de gare d’en adopter ou non le principe. Après quelques hésitations, « tous ont annoncé qu’ils allaient établir le ticket à 10 c. dans leur service ».
Qu’en est-il des autres compagnies ? Sans doute ont-elles suivi le mouvement, mais progressive- ment. L’Ouest, par exemple, adopte les tickets de quai pour ses gares parisiennes de Saint-Lazare et de Montparnasse en 1898 seulement, pour celle des Invalides en 1906, là aussi au prix unitaire de 10 centimes.
Les premiers compostages (1929)
L’invitation faite aux voyageurs de composter eux-mêmes leur billet remonte à 1929. L’initiative en revient aux Chemins de fer de l’État qui entendaient par ce biais lutter contre le nombre croissant de banlieusards voyageant sans titre de transport sous le prétexte d’une attente trop longue aux guichets. Ce que chacun reconnaît : « C’est surtout dans une gare, au moment de prendre un des innombrables trains qui relient Paris à sa banlieue, que les minutes – parfois même les secondes – sont précieuses. Attendre son tour pour passer au guichet peut vous faire manquer un train » (Le Petit Parisien, 2 février 1929). Faute de pouvoir reconduire à l’infini le contrôle renforcé mis en place à la mi-décembre 1928, les Chemins de fer de l’État décident de proposer à la vente, à partir du 1er février, des carnets comportant cinq billets de 1re ou 2e classe (cinq « pour éviter aux voyageurs de débourser des sommes importantes »). Pour un trajet simple ceux-ci sont utilisables d’une gare désignée de la banlieue sur Paris et inversement. Toujours dans le souci de gagner quelques précieuses minutes, les voyageurs sont également invités à « timbrer» eux-mêmes leur billet au départ au moyen de composteurs perforateurs installés dans les gares à proximité des accès aux quais. Les premières gares de banlieue désignées sont celles de Paris- Saint-Lazare, Pont-Cardinet, Clichy- Levallois, Asnières, Bécon-les- Bruyères, Les Vallées, La Garenne-Bezons, La Folie, Nanterre, Rueil, Chatou-Croissy, Le Vésinet, Le Pecq et Saint- Germain. Suivent, du 11 au 18 février, les gares les lignes de Paris-Montparnasse à Versailles RG, Paris-Saint-Lazare à Versailles RD et à Argenteuil, ainsi que celles de Suresnes- Longchamp, Les Coteaux, Pontde- Saint-Cloud, Garches-Marnela- Coquette, Vaucresson, Paris- Invalides, Meudon-Val-Fleury et Chaville-Velizy. S’y ajoutent enfin, en 1931, les gares de Bougival-La Celle-Saint-Cloud, Louveciennes et Marly-le-Roi.
La banlieue s’enferme (1978)
Le 3 avril 1978, les poinçonneurs en charge de la vérification des billets grandes lignes disparaissent, remplacés par de simples composteurs (voir Les Rails de l’histoire n° 2, novembre 2011, p. 48). Singulièrement, à peine plus d’un mois plus tard, les banlieusards parisiens, qui ne faisaient plus l’objet, depuis longtemps, que de contrôles aléatoires, voient subitement se dresser entre eux et les quais des barrières formées d’installations de contrôle automatique banlieue (CAB), dont l’ouverture est subordonnée à l’introduction d’un titre de transport magnétique. À l’étude depuis 1970 comme mesure destinée à lutter contre la fraude, leur mise en place est confortée par la décision d’interconnecter les réseaux de la SNCF et de la RATP. L’opportunité de pouvoir bientôt circuler de l’un à l’autre avec un seul titre de transport impose dès lors une règle commune, en l’occurrence celle de la RATP, adepte des contrôles systématiques. Afin de préparer ses usagers, la SNCF équipe sans plus attendre les gares les lignes de Paris- Montparnasse à Rambouillet et à Plaisir-Grignon (à partir de mai 1978) et la ligne de Paris-Est à Tournan (à partir de juillet 1978).
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