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Fin du voyage pour SeaFrance Jalons

Avec la décision, prise le 9 janvier 2012, de prononcer la cession d’activité et la liquidation de la compagnie SeaFrance, filiale à 100 % de la SNCF, le tribunal de commerce de Paris a mis brutalement fin à plus d’un siècle et demi de présence ferroviaire française sur la Manche. Initiée par les Compagnies de l’Ouest et du Nord (1848), prolongée par la SNCF via l’Armement Naval (1948), la Snat (1990) et SeaFrance (1996), cette présence, concrétisée par l’exploitation directe ou indirecte de nombreux paquebots, cargos, ferry-boats, car-ferries, train-ferries et autres transbordeurs, mériterait d’être narrée par le détail. À défaut, nous vous proposons un survol des principales périodes clés de cette aventure, sans prétendre toutefois à l’exhaustivité.

Bruno Carrière


Exploitants ferroviaires et armateurs, 1848-1937


Les chemins de fer anglais sont les premiers à étudier l’opportunité d’établir un « pont » sur la Manche en prolongement de leurs services terrestres, que ce soit le South Eastern Railway (SER) au départ des ports de Folkestone et de Douvres, atteints en 1843 et 1844, ou le London Brighton & South Coast Railway (LBSCR) au départ du port de Newhaven, atteint en 1847. Leur démarche est identique : accord avec un armateur local, puis création d’une filiale maritime, enfin constitution d’une flotte à leurs couleurs. Cet investissement prend tout son poids lorsque, côté français, le rail atteint à son tour les ports en relation avec leurs homologues anglais, Boulogne et Dieppe en 1848, Calais en 1849. On aurait pu attendre de nos chemins de fer le même esprit d’entreprise. Il n’en a rien été. En effet, il faut attendre 1856 pour que la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest comprenne l’intérêt d’une alliance avec le LBSCR, les deux parties se partageant la propriété de la flotte affectée aux liaisons Dieppe-Newhaven et son exploitation. Une voie que la Compagnie du chemin de fer du Nord se refuse à suivre, optant résolument pour une politique basée sur l’octroi de subventions ponctuelles pour obtenir des armateurs opérant sur le Détroit l’établissement de services conformes à ses intérêts.


Services des malles et services de marée


Nous commencerons donc par aborder l’histoire des relations fer-mer entre Paris et Londres via les routes du Détroit, de loin la plus riche et la plus complexe. Celles-ci sont alors de deux ordres. Les premières portent en priorité sur le transport des « malles » (courrier). Elles ont pour avantage de concentrer sur elles subventions postales et clientèle

fortunée, et pour désavantage d’être soumises à des traversées nocturnes, au respect d’horaires fixes (générateurs de débarquements ou embarquements ponctuels en rade et non à quai suivant la marée) et d’exiger les bateaux et les trains les plus performants (correspondances, vitesse et confort).


Les secondes ont pour mission essentielle le transport d’une clientèle sinon moins fortunée, du moins plus familiale. Elles ont pour avantage, en s’appuyant sur les heures de la marée, de pouvoir offrir des traversées de jour dispensées de tous les aléas de débarquements ou embarquements en rade, et pour désavantage de ne pas bénéficier de correspondances autres que celles assurées par les trains omnibus du service régulier, donc fréquemment désheurées, sauf à profiter d’une organisation spécifique, généralement saisonnière, reposant sur la mise en marche à partir de 1851 de « trains de marée ».


Au 1er janvier 1848, on distingue le service des malles de jour (départ de Paris et de Londres en fin de matinée), dit aussi service des malles françaises car relevant de l’Administration des Postes, du service des malles de nuit (départ de Paris et de Londres en début de soirée), dit aussi des malles anglaises car relevant du Général Post Office. Les

malles de jour transitent par Calais et Douvres, les malles de nuit par Boulogne et Douvres dans un premier temps, puis par Calais à partir du 1er février 1849. Le parcours terrestre est assuré, en France, conjointement par la Compagnie du chemin de fer d’Amiens à Boulogne (jusqu’en 1851) et la Compagnie du chemin de fer du Nord ; en Angleterre par le South Eastern Railway (SER). La traversée maritime des malles de jour est confiée à des bateaux de la Marine nationale, celle des malles de nuit à des unités de l’Amirauté. Assignés à cette tâche, les « paquebots-poste » ont interdiction de transporter des marchandises d’autre nature que les malles ; par contre, ils peuvent accepter des voyageurs, mais sans caractère d’obligation.


Parallèlement aux services des malles de jour et de nuit, il existe un service de marée de jour assuré par les bateaux du SER entre Boulogne et Folkestone. Le Nord obtient de cette compagnie, moyennant le versement de subventions, l’organisation à partir du 1er février 1849 d’un service analogue entre Calais et Folkestone. Transformé à compter du 1er juillet 1852 en un service à heures fixes, il sera maintenu jusqu’au 1er février 1861. À cette date, le SER se replie définitivement sur Boulogne où il n’a cessé d’assurer, en plus d’un service de marée à l’année, des services de marée saisonniers, généralement à la demande du Nord qui décide seul, selon les circonstances, de la mise en marche de trains de marée en correspondance.


La valse des opérateurs maritimes


En 1853, l’Amirauté déclare ne plus vouloir assurer le service maritime des malles de nuit, jugeant l’exploitation des paquebots-poste peu compatible avec son rôle. Le Général Post Office se résout alors à le mettre en adjudication moyennant une indemnité forfaitaire annuelle. Le service échoit donc successivement :

- au 1er avril 1854, à Jenkins et Churchward, deux armateurs de Douvres ;

- au 20 juin 1863, au London, Chatham and Dover Railway (LCDR), associé pour l’occasion au SER.


Basée sur un partage des bénéfices, cette union mettait fin au conflit né en 1861 consécutivement à l’arrivée à Douvres, depuis Londres, des rails du LCDR. Diligentée en sous-main par le Nord, elle assurait au SER la pérennité de son service de marée entre Boulogne et Folkestone (transformé en service à heures fixes au 1er avril 1884) et au LCDR un service analogue entre Calais et Douvres, le SER s’engageant par ailleurs à ne pas créer de trains en correspondance directe à Douvres avec les bateaux du LCDR. Les deux compagnies finiront par « fusionner » en 1899 sous le nom de South Eastern and Chatham Railway (SECR) (1).


Entre-temps, prenant exemple sur son homologue britannique, l’Administration des Postes décide à son tour de recourir à un opérateur privé pour l’exploitation du service maritime des malles de jours. Faute de candidats nationaux, l’adjudication est remportée par Churchward qui, pour sauver les apparences, se lie à Clebsattel, un négociant français de Dunkerque. Bien qu’ayant rempli ses obligations avec application depuis le 1er mars 1855, Churchward est remercié au lendemain de la défaite de 1870 au nom de la souveraineté nationale. Malheureusement, faute de moyens, son successeur, la Société française des paquebots-poste de Calais à Douvres, en place depuis le 1er octobre 1872, ne réussit pas à s’imposer, laissant le champ libre au LCDR qui, au 10 mars 1873, reconstitue à son proƒ t le monopole de fait sur le transport maritime des malles comme Churchward l’avait fait avant lui de 1855 à 1863. Toujours dans le souci de ménager la ƒ erté nationale, la Société

Générale puis, à partir de 1884, le Nord acceptent de servir de paravent entre le LCDR et les autorités françaises.


Cette situation perdure jusqu’au 1er octobre 1896, date à laquelle le Nord, s’étant longuement fait prier, et moyennant des avantages sans commune mesure avec ceux accordés jusqu’alors à ses prédécesseurs, accepte enƒ n d’endosser le rôle d’armateur prenant ainsi exemple, après quarante ans, sur la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest. Encore se décharge-t-il de l’exploitation proprement dite de ses deux bateaux (le Nord et le Pas-de-Calais) sur le LCDR aƒ n, dit-il, de ne pas changer les habitudes des voyageurs et lui donner le temps d’acquérir «˜une expérience personnelle˜». Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Nord ira encore plus loin en vendant ses deux paquebots à la Société anonyme de gérance et d’armement (Saga) (2), à charge pour elle d’assurer pour son compte le service des malles de jour à partir du 19 août 1920. Il exigera même en 1927 qu’elle se dote de deux unités modernes (le Côted’Azur et le Côte-d’Argent réceptionnés en 1931 et 1933) moyennant la prorogation pour dix ans au moins du contrat les liant (jusqu’alors reconduit tacitement chaque année) à partir de la mise en service du second bateau.


LES FLOTTES CHARBONNIÈRES DU PLM ET DU PO


Les compagnies ferroviaires ont de tous temps armé quelques cargos appelés à doubler le service de leurs paquebots transmanche. Rien de comparable cependant avec les flottes, dites « commerciales », constituées par le PLM et le PO pendant la Première Guerre mondiale pour assurer leur approvisionnement en charbons étrangers. Héritées par la SNCF en 1938, ces flottes furent pratiquement décimées entre 1939 et 1945.


Le PLM et la Société nationale d’affrètement (SNA)


À l’été 1915, le PLM, confronté à une augmentation de ses besoins en charbons et à une baisse de ses réserves, conséquence d’une réduction de la production charbonnière française par faits de guerre, décide d’augmenter dans des proportions notables ses importations de combustibles à un moment où, par suite des pertes liées à la guerre sous-marine et aux mesures de réquisition des pays belligérants, la disponibilité en navires ne cesse de s’amenuiser, conduisant à une hausse du coût du transport. Pour remédier à cette situation, le PLM prend la décision au printemps 1916 d’acquérir un certain nombre de cargos. Elle participe à cet effet à la création d’une compagnie de navigation, la Société nationale d’affrètement (SNA), qui a pour objet l’acquisition et l’exploitation de navires, le PLM se réservant, du fait de la hauteur de son investissement (souscription des 3/5e du capital, le solde étant réparti à parts égales entre les armements Neuflize et Cie d’une part, Soupart et Mottart de l’autre), une priorité sur les affrètements.


En juin 1916, la SNA est autorisée à acheter tous les navires construits ou en construction nécessaires à l’objectif fixé. Un premier lot de huit bateaux immédiatement disponibles est acquis en juillet – cinq pour le compte du PLM (PLM 1 à 5) et trois pour celui de la SNA (SNA 1 à 3) –, lesquels entament sans attendre leurs rotations entre les côtes anglaises (Newport, Cardiff, Port Talbot, la Tyne, etc.) et françaises (Le Havre, Rouen, Saint-Nazaire, Marseille, etc.). Cinq unités supplémentaires complètent la flotte début 1917 (Marseille, PLM 6 à 9). En novembre 1917,le PLM, confronté à des besoins croissants et à la perte de plusieurs de ses bateaux, décide de passer commande outre-Manche de 14 unités. En raison des priorités, celles-ci ne sont livrées qu’en 1921-1922. À cette date, compte tenu des pertes liées à la guerre et de la vente des unités les plus anciennes, sa flotte charbonnière se compose de 18 unités répartit comme suit : PLM 2, 5, 10 (flotte ancienne), Gap (3 300 t), PLM 12 à 17 (6 500 t), PLM 20 à 27 (8 600 t).


Elle sera amputée par la suite des PLM 2, 5 et 10 vendus respectivement en 1924, 1925 et 1928, et du Gap naufragé en 1928. En février 1921, le PLM réfléchit au devenir d’une flotte que d’aucuns jugent pléthorique (aux bateaux du PLM s’ajoutent ceux de la SNA et les unités affrétées en time-charter par celle-ci). Il refusera cependant à s’en défaire pour pouvoir faire front à tout moment aux aléas de la production charbonnière, quitte à recourir à des désarmements ponctuels.

Le PO et la Société maritime auxiliaire de transports (SMAT)


Tout comme le PLM, le Paris-Orléans, confronté à la hausse constante du prix des frets, est amené à se doter d’une flotte pour assurer à des conditions économique le transport des charbons anglais nécessaires à la bonne marche de son exploitation. En mars 1916 est ainsi constituée la Société maritime auxiliaire de transports (SMAT). Bénéficiant de l’appui d’armateurs nantais, cette société, dont le PO contrôlera près des 9/10e du capital, est chargée, outre l’exploitation de ses propres bateaux, de la gérance de ceux que son principal actionnaire s’engage à acquérir. Constituée à l’origine par le rachat de l’armement Le Quellec de Bordeaux (six unités), la flotte du PO est progressivement complétée, la dernière commande, autorisée en septembre 1918, portant sur dix unités à construire en Angleterre sur le même type dans un souci d’homogénéisation. Devenue trop importante, une fois la guerre finie, pour les besoins du réseau, plusieurs de ses unités sont soit vendues, soit utilisés à d’autres transports que ceux du charbon, notamment à celui des bois exotiques d’Afrique destinés à la fabrication en métropole de traverses. En 1928, le PO annonce son intention de se défaire de sa flotte. Les autorités françaises s’étant opposées à sa vente à un armement anglais, puis à sa cession directe à l’armement Delmas Frères et Vieljeux de La Rochelle (elles lui opposent la voie de l’adjudication), il opte en définitive pour une location coque nue. L’accord passé en mai 1929 avec Delmas Frères et Vieljeux porte sur les dix-sept bateaux qui constituent alors sa flotte. La plupart sont alors employés aux transports de denrées entre La Rochelle et l’Afrique du Nord, l’Afrique Équatoriale et l’Afrique Occidentale, les plus âgés étant progressivement vendus conformément aux termes du contrat. En 1938, ils ne sont plus que 12, chacun baptisé du nom d’un dépôt (Agen, Albi, Aurillac, Bourges, Châteauroux, Lorient, Montauban, Poitiers, Saint-Nazaire, Toulouse, Tours, Vendôme).


L’Armement naval, 1938-1989


En 1938, la SNCF hérite de la fl otte de l’Administration des chemins de fer de l’État basée à Dieppe (les paquebots Rouen, Newhaven, Versailles et les cargos Bordeaux, Brest, Rennes), de la flotte charbonnières du PLM (14 unités) et de la flotte commerciale du PO (12 unités). Soit 32 bâtiments, non compris le paquebot en cours construction pour le compte du réseau de l’État (Londres) et les deux paquebots propriété de la Saga (Côte-d’Azur et Côte-d’Argent) employés au transport des malles françaises entre Calais et Douvres sous le contrôle du Nord.


Réquisitionnées par les autorités françaises, anglaises ou allemandes, transformées en navires auxiliaires utilisés comme transports ou armées à des fi ns militaires, les unités de la « flotte » SNCF paient un lourd tribut à la guerre. Tous les paquebots, y compris ceux de la Saga, sont coulés ou déclarés irrécupérables, exception faite du paquebot Londres. Des trois cargos ex-État, seul un a survécu (Bordeaux). Décimés, les cargos ex-PLM ne sont plus que trois (PLM 13, 14 et 17), tout comme les cargos ex-PO (Agen, Tours et Vendôme).


Grâce aux sommes allouées au titre des dommages de guerre, la SNCF reconstitue son potentiel maritime entre 1946 et 1953 : trois cargos et deux paquebots (Arromanches, Lisieux) pour la flotte ex-État, dix charbonniers et six cargos pour les flottes ex-PLM et ex-PO. La Saga obtient également le remplacement de ses bateaux sous la forme d’un paquebot (Côte-d’Azur) et d’un ferry-boat (Saint-Germain) qui, conformément à un accord passé en 1948, tombent dans l’escarcelle de la SNCF.


Sealink garant de l’entente cordiale


En 1948 est créé l’Armement naval, service de la SNCF doté de l’autonomie de gestion mais sans personnalité juridique propre. Lui incombe, outre celle de la flotte charbonnière, l’exploitation des flottes de Dieppe et du Détroit (celle-ci avec le concours de la Saga). Lui échappe la flotte commerciale qui continue d’être louée coque nue à Delmas Vieljeux.

Les progrès de l’électrification et l’introduction de la diésélisation, qui amènent la SNCF à réduire progressivement ses importations de charbon en provenance du Canada, de Grande-Bretagne, d’Allemagne et de Pologne, condamnent à terme la flotte charbonnière, privée de ses deux dernières unités en 1964 (vente de l’Alès et du Sotteville). Sa disparition est postérieure à celle de la flotte commerciale dont les deux dernières unités (l’Armorique et le Picardie) ont été cédées à Delmas Vieljeux en 1961. Le souci de liquider ceux de ses bateaux n’étant plus en liaison directe avec l’exploitation ferroviaire conduit également la SNCF à se débarrasser des trois derniers cargos de la ligne de Dieppe en 1966 et 1967, condamnés par l’arrivée sur cette ligne, en 1965, des car-ferries Villandry et Valençay.


La nationalisation des chemins de fer anglais en 1948 (British Railways, puis British Rail en 1965) n’apporte pas de changement notable à l’exploitation des services transmanche qui continue d’être assurée soit en pool sur le Détroit (répartition des dépenses et des recettes et en fonction du nombre de navires en service), soit en propriété commune SNCF/BR à partir de Dieppe (répartitions des dépenses et des recettes dans la proportion des 37/56e et 19/56e ou 2/3-1/3 telles que défi nies en 1864).


Côté anglais, le réseau ferroviaire est désormais scindé en six grandes régions, chacune conservant la maîtrise des services maritimes la concernant. Les relations transmanche avec la France relèvent ainsi de la Southern Region qui commercialise les services offerts par ses bateaux sous le label « Big Fleet ». En 1968, la fusion des différents services maritimes au sein d’un organisme unique – la Shipping and International Services Division –

conduit à la création d’une marque commerciale commune, « Sealink », étendue en 1969 aux flottes des « partenaires » historiques : Armement naval en France, Régie des transports maritimes (RTM) en Belgique (ligne d’Ostende à Douvres) et Stoomvaart Maatschappij Zeeland (SMZ) aux Pays-Bas (ligne d’Hook of Holland, avant-port de Rotterdam à Harwich).


Cette communauté publicitaire et commerciale (on parle du « pool Sealink ») répond à la montée d’une concurrence de plus en plus agressive. Concurrence aérienne tout d’abord : aux vols réguliers entre Paris et Londres assurés depuis la fin de la guerre par les grandes compagnies (Air France, British European Airways), sont venus s’ajouter en 1955 ceux de la compagnie Skyways entre Beauvais et Lympne avec continuation en autocar sur Londres; ce à quoi la SNCF a répondu en organisant en 1956 un service fer-air-fer (la Flèche d’Argent) via Le Touquet et Gatwick (3). Concurrence maritime avec l’arrivée de nouveaux opérateurs, dont notamment, en 1966, Hoverlloyd et Seaspeed et leurs aéroglisseurs.


L’année 1974 est marquée par le « divorce par consentement mutuel » de la SNCF d’avec la Saga. Cette dernière, après avoir cédé à la SNCF, en 1948, la propriété des deux bateaux destinés à remplacer ceux disparus lors de la guerre, avait obtenu d’en poursuivre l’exploitation. Sa gestion, objets de plusieurs avenants, s’était étendue à d’autres bâtiments : au ferry-boat Saint-Germain et au paquebot Côte-d’Azur, tous deux mis en service en 1951, étaient ainsi venus s’adjoindre les car-ferries Compiègne et Chantilly en 1958 et 1965 et le porte-conteneurs Transcontainer I en 1969. Ayant décidé en 1970 de mettre un terme à son activité d’armateur, la Saga demande à la SNCF en 1973 la rupture de son contrat. Rendu effectif au 30 septembre 1974, son retrait donne à l’Armement naval la mainmise sur la flotte du Détroit qui lui avait échappée jusqu’alors (4).


L’émergence d’une ère nouvelle


Le 1er janvier 1979 voit l’entrée en lice de Sealink UK Ltd, filiale à 100 % du British Rail Board (organe directeur des BR depuis 1963) et, à ce titre, placée en possession des navires et ports relevant jusqu’alors de la British Rail Shipping and International Services Division. Le premier pas vers une privatisation des actifs maritimes des BR que confirme l’offre de rachat formulée en 1980 par European Ferries, l’un des plus gros armements privés britanniques, offre rejetée un an plus tard par le gouvernement Thatcher pour éviter toute situation de monopole sur la Manche.


Entre-temps, Sealink UK Ltd avait annoncé son retrait de la ligne de Dieppe au 1er février 1982, excédée par le déficit chronique de celle-ci. Contrainte de renoncer à son projet, elle n’en dénonce pas moins le traité de 1969, mettant ainsi fin au « Compte commun d’exploitation » en vigueur depuis 1856, pour adopter le « pool de recettes » appliqué aux lignes du Détroit.


La vente, le 27 juillet 1984, de Sealink UK Ltd au groupe Sea Containers remet en question le maintien de la ligne de Dieppe-Newhaven. De fait, la Sealink British Ferries (ex-Sealink UK Ltd), qui n'entend pas continuer d’en assumer le déficit, annonce son retrait au 31 janvier 1985, laissant à la SNCF le soin de poursuivre seule son exploitation. Ce qu’elle fait, mais en ayant eu soin d’obtenir au préalable une implication des collectivités locales, concrétisée le 6 décembre 1984 par la signature avec la ville et la chambre de commerce de Dieppe d’un protocole ayant pour but « d’assurer la survie de la ligne jusqu’à ce que nouvelles infrastructures permettent au port de Dieppe d’accueillir des navires modernes plus compétitifs ». En clair, la construction d’un nouveau terminal qui ne sera achevée qu’en 1994. Dans l’immédiat, la SNCF accepte d’assumer 80 % du risque d’exploitation. Le non respect des engagements pris (la ville et la chambre de commerce, qui devaient se partager à parts égales les 20 % restants, se désisteront rapidement) précipitera son départ.


Confronté depuis le début des années 1980 à des résultats d’exploitation très déficitaires, l’Armement naval avait étudié un plan de redressement. Mis en oeuvre en janvier 1985, son objectif était clair : rétablir en quatre ans l’équilibre des comptes. Ce plan comportait quatre volets : l’adaptation des services aux besoins réels du trafic (suppression des traversées non rentables), l’amélioration de la gestion (recherche de gains de productivité et d’économies dans tous les secteurs), la relance de l’action commerciale, la recherche de participations financières des collectivités locales (modernisation de la flotte et des infrastructures portuaires). Il s’accompagne, en 1987, d’un plan de réduction des effectifs navigants (départ négocié de 272 personnes). Atteint dès 1988, l’équilibre des comptes, s’il conforte la position de l’Armement naval, n’occulte en rien l’impérieuse nécessité d’une redéfinition à court et moyen termes de l’activité maritime transmanche de la SNCF menacée par l’annonce de la construction du tunnel sous la Manche.


Les aéroglisseurs : Seaspeed, Hoverlloyd, Hoverspeed


Les premiers services commerciaux d’aéroglisseurs (SRN6) sur la Manche sont assurés en 1966 par l’Anglais Townsend Car Ferries Ltd entre Douvres et Calais et le Suédois Cross Channel Hover Service Ltd (Hoverlloyd) entre Calais et Ramsgate. Des débuts difficiles qui les conduisent à renoncer après seulement deux années d’exploitation, de façon définitive pour le premier, temporaire pour le second. Leur retrait laisse le champ libre à la British Rail Hovercraft Ltd (Seaspeed), filiale des British Rail. Créée en 1966, celle-ci lance sur le Détroit deux aéroglisseurs de la seconde génération (SRN4), The Princess Margaret en 1968 et The Princess Anne en 1969. Sortis comme leurs aînés des ateliers de la British Hovercraft Corporation, ils assurent un service régulier entre Boulogne (depuis Le Portel), Calais et Douvres, concurremment avec Hoverlloyd qui relance son service Calais-Ramsgate en 1969.


Ne pouvant être en reste, la SNCF entre en 1968 dans le capital de la Société d’étude et de développement des aéroglisseurs marins (Sedam), filiale de la Société Bertin au même titre que la Société de l’aérotrain, à laquelle elle commande en 1973 un « Naviplane » destiné à compléter la fl otte de Seaspeed. Lancé en 1978, l’Ingénieur Jean Bertin (N.500-02) effectue sa première traversée commerciale le 5 juillet. Entre-temps, l’abandon du projet de tunnel sous la Manche avait incité la SNCF à reprendre à son compte en 1976 la commande d’une unité identique faite trois ans plus tôt par conseil général de la Gironde en vue d’un service entre Royan et la pointe de Grave. Le Côte-d’Argent (N.500-01) devait malheureusement disparaître prématurément avant toute utilisation, victime d’un incendie accidentelen 1977.


Peu après l’entrée en service de l’Ingénieur Jean Bertin, le groupe suédois Brostroms fait savoir qu’Hoverlloyd qui, contrairement à Seaspeed en défi cit permanent depuis sa création, affichait des bénéfices depuis 1972, est à vendre. En octobre 1981, Hoverlloyd (Swift, Sure, Sir Christopher, The Prince of Wales) et Seaspeed (The Princess Margaret, The Princess Anne, Ingénieur Jean Bertin) fusionnent au sein d’une nouvelle entité, Hoverspeed, dont la SNCF prend 10 % du capital. Le 6 juillet 1983, Hoverspeed rebute l’Ingénieur Jean Bertin « en raison de ses mauvaises performances techniques qui constituent un vice rédhibitoire ». Retiré du service le 15 novembre, il est livré aux chalumeaux des démolisseurs deux ans plus tard. Mais en dépit de l’abandon du service Calais-Ramsgate en 1982 et du garage du Sure en 1983, la menace d’un abandon de l’exploitation se fait bientôt sentir. La reprise de l’entreprise, au printemps 1984, par un « consortium » composé de cinq de ses administrateurs et cadres supérieurs permet d’éviter le pire.


Le 12 juin 1986, Hoverspeed est rachetée par Sea Containers qui la rattache à sa fi liale Sealink British Ferries, résultant elle-même du rachat, en 1984, de Sealink UK. Ayant néanmoins conservé son indépendance, Hoverspeed ajoute bientôt à l’exploitation des aéroglisseurs, celle d’un nouveau type de navires construits en Australie, les « Wave-Piercing Catamarans » (catamarans perce-vagues). Le premier de ses « SeaCat » (Hoverspeed Great Britain) entre en service commercial en 1990 entre Cherbourg et Portsmouth, puis en 1991 entre Boulogne/Calais et Folkestone/Douvres. Aussi rapides mais d’une capacité supérieure et pouvant utiliser les quais et installations portuaires traditionnelles, les nouveaux venus condamnent à terme les aéroglisseurs. Retirés de Boulogne dès 1993, ceux-ci survivent à Calais jusqu’au 1er octobre 2000, date des ultimes traversées du Princess Margaret et du Princess Anne, les deux dernières unités encore en exploitation.


Hoverspeed, qui opère également entre Dieppe et Newhaven entre 1999 et 2004 avec ses monocoques rapides « SuperSeaCat », met fi n à ses activités sur la Manche le 7 novembre 2005.


La concurrence


En position de quasi-monopole, l’Armement naval et ses homologues au sein du pool Sealink ont été confrontés dans les années 1960 à l’arrivée de nouveaux opérateurs. Si l’on excepte l’Anglais Townsend Car Ferries, déjà présent avant-guerre mais qui se dote à partir de 1962 de ses premiers « vrais » carferries, Sealink doit désormais compter avec le Norvégien Thoresen Car Ferries (1964), le Suédois Stena Line (1965) et le franco-anglais Normandy Ferries (1967), compagnie constituée côté français par la SAGA, côté anglais par la Southern Ferries, filiale de la General Steam Navigation Company / GSNC (*), elle-même sous contrôle de la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company / P&O, vénérable maison dont les origines remontent à 1837.


En 1968, le britannique George Nott Industries, propriétaire depuis 1959 de Townsend Car Ferries, rachète Thoresen Car Ferries. Regroupées au sein d’European Ferries, les deux compagnies, qui gardent leur indépendance, sont exploitées sous la marque Townsend-Thoresen. La création, en 1979, par les British Rail, de Sealink UK, filiale chargée de leurs avoirs maritimes (navires et ports), suscite l’intérêt des opérateurs privés.


À commencer par European Ferries, dont l’offre d’achat est rejetée en 1981 pour éviter toute situation de monopole sur la Manche.


De fait, c’est Sea Containers, une société américaine enregistrée aux Bermudes, qui emporte la mise en 1984. Spécialisée dans les domaines du transport, de la fabrication et de la location de conteneurs, celle-ci s’était surtout fait connaître en Europe pour avoir ressuscité, deux ans plus tôt, le train de luxe Venice-Simplon Orient Express. On ne parle plus désormais de Sealink UK mais de Sealink British Ferries.


En 1985, European Ferries renforce sa position en rachetant Normandy Ferries. Fin mai 1989, Tiphook, groupe britannique de location de matériel de transport (y compris ferroviaire), et l’armateur suédois Stena lancent une offre publique d’achat sur Sea Containers par l’intermédiaire de leur fi liale commune Temple Holdings. En cas de succès, Tiphook entend mettre la main sur les activités conteneurs de la compagnie ciblée, Stena sur ses activités maritimes, dont Sealink British Ferries. Au terme d’une rude bataille financière, Sea Containers cède à Stena sa filiale transmanche (excepté quelques ports dont Newhaven) rebaptisée en avril 1990 Sealink Stena Line (**). Le 26 juillet 1990, La SNCF et Sealink Stena Line signent pour cinq ans un nouvel accord de pool pour les lignes nord (Dunkerque et Calais).


Discréditée commercialement par le naufrage, le 6 mars 1987, de l’un de ses navires, le Herald of Free Enterprise, survenu lors d’une traversée entre Douvres et Zeebrugge, Normandy Ferries est absorbée peu après par P&O, donnant naissance à P&O European Ferrie.


En 1996, P&O European Ferries et Sealink Stena Line créent une joint-venture : P&O Stena Line (60 % P&O, 40 % Stena). En octobre 2002, P&O European Ferries absorbe Stena Line et devient P&O Ferries. Bien que passée en 2006 dans le giron de Dubaï Port World avec l’ensemble des avoirs de sa maison mère (P&O), elle continue d’opérer aujourd’hui sous son nom initial.


(*)- La GSNC organisa dès 1825 un service régulier entre Newhaven et Dieppe et, à ce titre, collabora avec le LBSCR jusqu’en 1851.

(**)- En 1989, la Stena avait pris le contrôle de la compagnie néerlandaise SMZ, membre du pool Sealink depuis 1969.


De la SNAT à SeaFrance 1990-2012


1990, la filialisation de l’Armement naval


En réaction à la signature en 1987 du traité de concession du tunnel sous la Manche, la plupart des opérateurs s’attachent à moderniser leur flotte dans l’optique d’un confort accru et à construire de nouveaux navires. Surtout, pour maintenir leur part de marché, ils se lancent dans une guerre des prix jugée « suicidaire » par de nombreux observateurs.


Début 1989, l’Armement naval se trouve ainsi contraint de redéfi nir sa stratégie à court et à moyen terme face à ses concurrents ou partenaires engagés dans d’ambitieux programmes d’investissement, notamment la Sealink British Ferries qui s’est portée acquéreur en 1988 de deux très grands cargos transformables en jumbo-ferries à l'échéance 1990. Obligé d’investir en matériel naval pour garder sa compétitivité, il ne peut cependant compter sur le seul concours de la SNCF engagée sur d’autres fronts avec, en première ligne, la construction du TGV Nord.

Pour sortir de l’impasse, une étude sur les conditions de la survie de l’Armement naval est commandée par les pouvoirs publics à Pierre Léonard, président du Conseil supérieur de la marine marchande. Remis en mai 1989, son rapport sur « l’avenir des transbordeurs français en Manche Est et mer du Nord » recommande de doter l’Armement naval d’une personnalité juridique.


Sa filialisation est réalisée au cours du premier semestre de 1990 par les créations :

- en janvier 1990, d’un groupement d’intérêt économique public (GIE Transmanche) qui associe la SNCF (85,7 %), la CGMF/Compagnie générale maritime et financière (9,5 %) et les régions Nord-Pas-de-Calais et Haute-Normandie (4,8 %) ;

- en janvier 1990, d’une Société propriétaire des navires (SPN), fi liale à 51 % du GIE Transmanche et à 49 % de la Sealink British Ferries ;

- en avril 1990, de la Société nouvelle d’armement transmanche (Snat), fi liale à 100 % du GIE Transmanche.


La SPN a pour objet principal l’acquisition et l’affrètement de navires et la Snat celui de les exploiter. La SPN acquiert ainsi le Côte-d’Azur auprès de la SNCF et le Fiesta auprès de la Sealink British Ferries, et aff rète les autres unités du défunt Armement naval (Nord-Pas-de Calais, Versailles, Champs-Elysées, Chartres), ce qui permet à la Snat de reprendre le 1er juin 1990 l’exploitation des lignes du Détroit et de Dieppe-Newhaven.


La Société nouvelle d’armement transmanche (Snat)


Suite à la substitution, en avril 1990, de la Sealink Stena Sealink à la British Ferries (la première prenant la suite de la seconde au sein de la SNP), la Snat et la Sealink Stena Line signent le 26 juillet 1990, et pour cinq ans (jusqu’au 31 décembre 1995), un nouvel accord de pool basé sur un partage 50/50 des recettes pour les lignes du Détroit (Calais et Dunkerque).

Au printemps 1991, les mouvements de grève à répétition qui touchent les ferries assurant la traversée de Dieppe à Newhaven conduisent la Snat à immobiliser le Champs-Elysées et le Versailles du 14 juin au 13 juillet. Devant l’aggravation du déficit, elle annonce le 4 mars 1992 son intention de déserter Dieppe, comme la Sealink British Ferries l’avait fait avant elle en 1985. Mais, souhaitant donner ses chances à un éventuel repreneur, la Snat fixe la date de son retrait au 30 avril. Les syndicats répondent à cette décision par une grève illimitée qui bloque la ligne à partir du 22 mars.


Le flambeau est repris par la Sealink Stena Line qui prend en affrètement coque nue les deux navires de la Snat et les réarme à ses conditions. Le Stena Londoner (ex-Versailles) reprend son service le 22 mai sous pavillon bahaméen, suivi le 3 juin 1992 du Stena Parisien (ex-Champs-Elysées) sous pavillon français. Sealink Stena Line se maintient sur cette liaison jusqu’au 31 janvier 1999 (5).


La ligne Dieppe-Newhaven n’est pas la seule touchée. Le 31 décembre 1991, la Sealink Stena Line abandonne l’exploitation de la ligne Boulogne-Douvre et, le 4 janvier 1993, la P&O European Ferries celle de la ligne Boulogne-Douvres. La concentration des moyens sur Calais s’amorce, première manifestation de la concurrence exacerbée qui opposent désormais sur le Détroit les trois principaux opérateurs que sont la P&O European Ferries, la Sealink Stena Line et la Snat.


Le repliement sur Calais s’accompagne d’une course vers l’augmentation des capacités offertes (navires toujours plus nombreux et plus imposants) et du nombre des rotations, et vers une multiplicationdes offres promotionnelles. Mais si les clients répondent présent, le poids des investissements associé à la baisse des tarifs (et de la livre) affectent les résultats. Ainsi, les recettes de transport de la Snat baissent de 8,1 % en 1993 malgré un trafic en hausse. Ce recul est toutefois compensé par le développement des ventes à bords et, particulièrement les ventes hors-taxes (« duty-free ») favorisées par

l’ouverture du marché unique européen.


1996, la Snat cède le pas à SeaFrance


L’impact de l’ouverture du tunnel sous la Manche, inauguré le 6 mai 1994 mais mis en service par étapes – trains de marchandises le 1er juin, navette le 25 juillet, trains Eurostar le 24 novembre, navettes passagers/voitures le 22 décembre – n’a encore que peu d’incidences sur le trafic transmanche. Il n’en est plus de même en 1995 où la montée en puissance d’Eurotunnel (sur l’ensemble de l’année, le tunnel prend 21,2 % du marché despassagers Calais-Douvres, 29,7 % de celui des voitures et 33,5 %, de celui des camions) commence à se faire sentir (6). Après trois années bénéficiaires, la Snat affiche de nouveau un résultat légèrement négatif : - 3,5 MF contre + 13,2 MF en 1994.


1995 est également marquée par l’annonce, le 11 juillet, de la non reconduction au 31 décembre de l’accord liant la Snat et la Sealink Stena Line (prélude à la disparition définitive de pool Sealink (7)), cette dernière n’ayant de cesse de dénoncer depuis décembre 1994 l’insuffisance de la qualité des prestations de son partenaire et une évaluation non équitable du partage des bénéfices. Un autre coup dur est la fermeture le 22 décembre, suite à la dénonciation des contrats passés avec British Rail, de la ligne « ro-ro » Dunkerque-Douvres exploitée le Nord-Pas-de-Calais.


La Snat est d’autant plus isolée qu’elle ne peut compter que sur elle-même, à l’inverse de la P&O European Ferries ou de la Sealink Stena Line, filiales de groupes puissants rompus aux affaires maritimes. Sa flotte, limitée au Fiesta, au Côted’Azur et au Pas-de-Calais, figure face àla concurrence des cinq navires de P&O, des cinq navires de la Stena et des aéroglisseur d'Hovers-speed. La Snat décide pourtant de faire front. Samutation passe par - le changement de sa raison sociale pour celle de Seafrance, mieux adaptée au public britannique, qui représente les deux tiers du marché, et rebaptisses ferries Seafrance Cezanne, Seafrance Renoir et Seafrance Nord-Pas-de-Calais ; la création à Londres la société SeaFrance Ltd, dont l’objet est de promouvoir la vente des produits Seafrance en Grande-Bretagne (le label Sealink reste exploité sur le marché français) et d’organiser les escales de ses navires à Douvres, les infrastructures utilisées jusque-là appartenant à la Stena ;

- l’adoption un nouveau système de réservation. Une autre évolution est le rapprochement avec le français Brittany Ferries (8) qui, de rival, devient un allié : un tarif unique doit permettre d’emprunter

pour un voyage en Grande-Bretagne la ligne d’une compagnie à l’aller et la ligne de l’autre au retour sur les relations Calais-Douvres, Caen- Portsmouth et Cherbourg-Poole.


Channiland et Naviland


Dans la perspective de l’ouverture du tunnel sous la Manche (diversification de ses activités), la SNAT se dote de deux filiales :

-créée en 1991, Channiland assure, en concurrence avec l’anglais Condor et le français Emeraude Lines, la desserte des îles Anglo-normandes au départ de Granville (1992) et de Saint-Malo (1993) avec deux catamarans rapides ; lourdement déficitaire, elle cesse ses activités en 1996 ;

-apparue en 1993, Naviland exploite sous la marque commerciale Navix les vedettes du golfe du Morbihan (desserte des îles de Belle-Île et de Houat) ; SeaFrance s’en désengage progressivement à partir de 1997 (abandon de 51 % de son capital) au profit de la Société morbihannaise et nantaise de navigation, filiale de la Compagnie nationale de navigation (groupe Worms).


Le début de la fin


Entrée en lice le 1er janvier 1996, SeaFrance – qui table sur une « qualité française » pour se démarquer de ses concurrents – connaît des débuts difficiles : la première traversée ne compte que trois passagers et un camion ! L’incendie providentiel qui touche le tunnel en novembre, et l’augmentation générale du trafic maritime qui s’ensuit, lui permet lui toutefois de sortir du rouge en 1997, d’autant qu’elle récupère au mois de janvier de cette même année un quatrième navire, le Stena Parisien (rebaptisé SeaFrance Manet), restitué par la Sealink Stena Line au terme du contrat d’affrètement coque nue passé en 1992 avec la SNCF. Son avenir semble toutefois devoir s’obscurcir par l’alliance, annoncée en 1996 et autorisée par le gouvernement britannique en 1997, entre la P&O European Ferries (huit bateaux) et la Sealink Stena Line (cinq bateaux), officiellement fondues le 10 mars 1998 au sein de la joint-venture P&O Stena Line (60 % / 40 %).


Une menace autrement plus redoutable attend cependant SeaFrance : la suppression au 1er juillet 1999 du « duty free », dont les ventes ont représenté en 1998 près de 40 % de son chiffre d’affaires. Le 3 juin 1999, conscient du problème, le gouvernement français, attaché au maintien du pavillon français entre Calais et Douvres, annonce la recapitalisation de la société dans le cadre d’un plan destiné à « assurer [sa] viabilité ». Ce plan, qui prévoit également un allégement de charges patronales de l’entreprise, passe par la cession à SeaFrance, pour une valeur de 160 millions de francs, des SeaFrance Manet et SeaFrance Nord Pas-de-Calais que la SNCF lui donnait jusqu’alors en location. Toujours dans l’optique d’une plus grande maîtrise de sa flotte, les pouvoirs publics facilitent le rachat par SeaFrance, en décembre 1999, des 49 % que la Sealink Stena Line détenait dans la Société propriétaire des navires, ce qui lui donne la pleine propriété des SeaFrance Cézanne et SeaFrance Renoir. De simple opérateur, SeaFrance, désormais filiale à 100 % de la SNCF, devient armateur.


Dès lors, SeaFrance navigue entre bilans bénéficiaires et bilans déficitaires, les embellies servant d’alibis à la mise en service de nouveaux bâtiments destinés à moderniser et à renforcer une flotte vieillissante : le SeaFrance Rodin en 2001, désigné alors comme le plus grand transbordeur opérant sur la ligne Calais-Douvres, le SeaFrance Berlioz (9) en 2005 et le SeaFrance Molière (ex-Jean Nicoli racheté à la Société nationale maritime Corse Méditerranée/SNCM) en 2008.


(1)- Le SECR sera amalgamé en 1923 au Southern Railway (SR), l’une des « Big Four » compagnies issues du Railways Act 1921.

(2)- Bien qu’appartenant au groupe Rothschild au même titre que le Nord, la Saga n’a jamais été une ƒ liale de ce dernier.

(3)- La partie aérienne est assurée par la Compagnie Air Transport (CAT) dont la SNCF prend le contrôle en 1960. Ce service est supprimé en 1980. Voir l’étude d’Yves Broncard parue dans Historail, n° 16, janvier 2011.

(4)- La Saga avait sous-traité à l’ALA – propriétaire des trainferries Twickenham-Ferry (1936-1974) et Saint-Eloi (1975- 1993) – la gérance du Saint-Germain et du Transcontainer I. Passée sous contrôle des BR en 1977, puis de la Stena en 1990, l’ALA disparaît en 1996.

(5)- Le relais est repris en 2001 par Transmanche Ferries, émanation du département de Seine-Maritime, dont l’exploitation est poursuivie à partir de 2007 de concert avec LD Lines, filiale du groupe Louis Dreyfus Armateurs.

(6)- Une autre conséquence de l’ouverture du Tunnel est la suppression de la desserte des gares maritimes de Dieppe (24 eptembre 1994), Boulogne et Calais (21 janvier 1995).

(7)- Par suite d’un accord passé avec Towsend-Thoresen, la Régie belge des transports maritimes avait été la première à quitter le pool le 31 décembre 1985.

(8)- « Britanny Ferries » est la raison commerciale retenue en 1974 par la SA « Bretagne-Angleterre-Irlande » (BAI), société maritime créée en 1972 pour le transporter outre-Manche des productions agricoles du Nord Finistère.

(9)- Les SeaFrance Rodin et Berlioz sont des navires neufs, les premiers depuis le Nord-Pas-de-Calais lancé en 1987.


Avec six navires (dont un gardé en réserve, le SeaFrance Renoir), SeaFrance fait désormais jeu égal à Calais avec la P&O Ferries, née en octobre 2002 du rachat par la P&O European Ferries de la Sealink Stena Line, son associée au sein de la P&O Stena Line. Un nouvel incendie survenu dans le tunnel sous la Manche en septembre 2008 permet à SeaFrance, par la mobilisation de l’ensemble de ses navires, d’établir un record historique en assurant 56 traversées quotidiennes.


En décembre 2008 filtrent les premières rumeurs de difficultés financières, un temps masquées par l’arrêt partiel de l’activité du tunnel sous la Manche. Frappée de plein fouet par la crise et par la récession du marché britannique, SeaFrance, pénalisée de surcroît par une surcapacité, s’enfonce inexorablement, laissant le champ libre à P&O Ferries qui se retrouve seule sur le barreau Calais-Douvres.

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