Un défi pour la SNCF en marge de la «drôle de guerre» (septembre 1939-mai 1940)
Par BRUNO CARRIÈRE
Sports d’hiver et premier coup de semonce : « … le public ne comprend pas qu’il doit se restreindre. »
Une autre source de discussions de cette séance du 5 décembre est la mise en vigueur, depuis le 1er décembre 1939, du nouveau service de voyageurs. Parmi les nouveautés, une relation Paris-Liège via Jeumont et Erquelinnes ; un train automoteur rapide 1re/2e cl. Paris-Calais en liaison avec le service des bateaux transmanche (ne circule que vingt jours par mois) ; le dédoublement tous les vendredis au départ de Paris et tous les dimanches au départ de Nice des trains rapides 1re/2e classes 511 et 512, héritiers virtuels du mythique Train bleu (1 WR, 3 WL, des couchettes de 1re classe)[1] ; et, dans les pas du non moins légendaire Pyrénées-Côte d’Argent, une nouvelle relation express de nuit Paris-Hendaye (1 WL 1re/2e cl. pour Hendaye et un autre pour Tarbes via Dax). Le Besnerais fait savoir que la mise en œuvre du nouveau service n’a fait l’objet d’aucune difficulté, et Berthelot précise que les parcours des trains de voyageurs ont été ramenés à 70 % de ceux qu’ils étaient avant la guerre. Soit, selon Le Besnerais, à peu près 75 % si l’on ajoute les trains de permissionnaires. Mais faire mieux lui semble difficile en raison d’un défaut de matériel roulant : « Il y a 2 400 voitures immobilisées pour les trains sanitaires et ce sont les plus belles voitures, des plus récents modèles, avec lesquelles nous pourrions créer de nouveaux trains express. Elles nous font lourdement défaut. Il y a, en ce moment, une campagne assez vive dans les journaux en vue d’obtenir des réductions de tarifs pour les sports d’hiver ; nous nous y refusons, parce ce que nous n’aurions pas suffisamment de voitures pour assurer le service. ». Berthelot enfonce le clou : « Nous avons 3 000 voitures immobilisées pour les trains de permissionnaires ; 400 pour les voitures-dortoirs et à peu près autant dans les TCO [transports en cours d’opération] (…). Nous avons une réserve tout juste suffisante pour parer aux éventualités. »
Lors du comité de direction du 19 décembre, puis du conseil d’administration du 20, Le Besnerais ne cache pas ses inquiétudes à l’approche des fêtes, période génératrice de forts courants de trafic. Celui des marchandises d’abord : « Nous pensions être à la limite de nos possibilités et l’augmentation continue[2]. » Le manque de wagons et, plus encore, de locomotives commence à se faire sentir. Celui des voyageurs ensuite : les recettes du 3 au 9 décembre sont supérieures de 13,9 % à celles de 1938. L’augmentation de ces dernières, qui est essentiellement le fait des Régions Ouest (+ 40 %) et Sud-Ouest (+ 38 %), lui laisse à penser qu’elle provient des nombreux déplacements « des personnes qui ont été repliées et qui ont tendance à circuler beaucoup plus du fait qu’elles ne sont plus chez elles ». L’entreprise peine à répondre à la demande : « Etant donné le nombre de voitures garées, nous sommes obligés de limiter de manière très stricte le nombre des trains de voyageurs, ce qui fait que beaucoup de gens voyagent débout dans les couloirs, bien que nous n’ayons rétabli aucune des réductions de tarifs qui existaient avant-guerre. » A l’insuffisance du matériel roulant vient s’ajouter le fléchissement des moyens de traction déjà évoqué pour les marchandises : « Car c’est en partie faute de locomotives que l’on ne peut mettre en marche le nombre de trains nécessaires pour assurer le transport de tous les voyageurs qui se présentent. » A cela vient se greffer une détérioration de la régularité du trafic, le nombre de retards de plus de 15 minutes pour les trains rapides et express s’établissant à environ 15 %.
Le 17 décembre, Le Besnerais informe le public par voie de presse que, compte tenu des impératifs militaires, notamment le transport des permissionnaires, l’entreprise « n’est plus en mesure de dédoubler les trains comme elle pouvait le faire, en temps normal, aux périodes de fêtes. » Sont particulièrement visés les trains à destination de la Savoie et du Dauphiné, prisés par les amateurs de sports de glisse, qui seront en nombre limité. Les voyageurs sont avertis. La demande est déjà telle qu’ils ne pourront disposer d’une place que s’ils prennent la précaution de louer à l’avance : « En venant en gare au dernier moment, sans cette précaution, ils risquent de se voir refuser l’accès des quais et de ne pouvoir partir. »
Lors du comité de direction du 26 décembre, Le Besnerais constate que ses craintes se sont concrétisées. Certains transports de marchandises ont dû être momentanément suspendus par suite d’encombrements et il a fallu renforcer le service des trains de voyageurs pour répondre à la demande. Il condamne l’irresponsabilité des usagers : « Ce qu’il faut, c’est que le public se discipline, évite des transports (de marchandises) inutiles, décharge ses wagons (…). Il en est de même pour les transports voyageurs, le public ne comprend pas qu’il doit se restreindre. Bien que nous ayons refusé d’accorder des réductions pour les sports d’hiver, il y a eu 23 trains supplémentaires les 21 et 22 décembre à destination des stations de sports d’hiver[3]. » Il ne décolère pas : « 35 000 permissionnaires partent chaque jour. Il n’y a plus de machines disponibles et bientôt on ne pourra plus trouver de place dans les trains. Il n’y a qu’une solution possible : augmenter les tarifs voyageurs. Les gens qui sont allés aux sports d’hiver ont voyagé à plein tarif ou en utilisant des billets AR. Si nous ne relevons pas les tarifs, nous serons débordés par le nombre de voyageurs à transporter (…). Nos trains sont presque tous dédoublés : les gens voyagent trop. Au lieu de voyager uniquement pour les besoins de leur profession ou de la Défense Nationale, ils voyagent pour leur plaisir. Je crois qu’il n’y a qu’une chose à faire : augmenter de 20 % les tarifs voyageurs, ce qui amènerait les gens qui voyagent pour leur plaisir à ne plus voyager. Toutes les autres mesures resteront inopérantes. » A ceux qui lui font remarquer que cette mesure serait injuste pour tous ceux qui ont une raison valable de ses déplacer, Le Besnerais rétorque : « L’augmentation des tarifs voyageurs ne ferait pas augmenter le prix de la vie, comme ce serait le cas si on relevait les tarifs marchandises. Je persiste à penser qu’il faut empêcher les gens de voyager et on obtiendra ce résultat en augmentant les tarifs. Nous n’avons pas suffisamment de machines et de personnel pour assurer à la fois les transports militaires et le transport de tous les voyageurs qui se présentent. » Jacques Claudon, commissaire du gouvernement près de la SNCF, se montre dubitatif : « Les gens qui voyagent pour leur plaisir pourront toujours se permettre de voyager. » il est rejoint par Yves Bouthillier : « Si je prends l’exemple du tabac, on a procédé à une augmentation massive de 25 % des prix pour réduire la consommation dans un but monétaire. Or, en fait, on en vend autant. » Le débat s’éternise. Chacun campe sur ses positions et aucune décision n’est arrêtée. Le mot de la fin appartient à Grimpret : « Ce débat est un peu trop improvisé, mais la question est importante et elle vaudrait la peine d’être approfondie. » Elle le sera.
L’exaspération de Le Besnerais ne doit cependant pas cacher la capacité qu’ont eu les cheminots à répondre au défi. On aurait pu s’attendre au pire, il n’en a rien été. Du moins si l’on en croit la presse qui s’est plu à souligner le professionnalisme du personnel de la gare de Paris-Lyon : « Nulle bousculade… et pourtant s’il y avait lieu de craindre l’encombrement, c’était bien ces jours-là, car les trains étaient bondés de skieurs » (L’Intransigeant, 24 décembre 1939) ; « … vu les circonstances, tout se passa à peu près parfaitement et sans incident notable » (Le Jour, 24 décembre 1939) ; «… la gare de Lyon a délivré chaque jour dans la période qui a précédé Noël mille billets de plus qu’en 1938. Le service s’est effectué sans retards bien que plus de 700 agents de la seule gare de Lyon aient rejoint les armées » (Le Matin, 26 décembre 1939).
Certes, mais dans son compte rendu au comité de direction du 9 janvier 1940, Berthelot est plus critique : « La régularité des trains rapides et express n’a pas été satisfaisante. Bien des circonstances expliquent ces retards, entre autres, le dédoublement de nombreux trains à l’occasion des fêtes et l’affluence des permissionnaires. » Il déplore par ailleurs une recrudescence des accidents, pour la majorité provoqués par des rattrapages. Ainsi le 4 janvier, en gare de Sarrebourg, le train dédoublé 118 AP, dans lequel se trouvait Paul Reynaud, le futur président du Conseil, est tamponné par l’express 118 Saverne-Paris, par suite d’un défaut de fonctionnement des freins. Fort heureusement, le mécanicien ayant pu ramener la vitesse du convoi à 38 km/h, quelques voyageurs seulement sont victimes de contusions. Seule consolation, les trains exclusivement réservés aux permissionnaires ont pleinement rempli leur rôle en dépit de quelques erreurs de jeunesse, à l’exemple de deux trains arrivés dans un port méditerranéen après le départ du bateau dans lequel les hommes devaient embarquer. Mais, dans l’ensemble, les intéressés se disent satisfaits, notamment par la rapidité des acheminements. « L’amélioration a été très rapide, constate Berthelot. Lors de la précédente guerre, il a fallu attendre la fin de l’année 1917 pour que le service fonctionne correctement[6]. »
Signalons ici la reprise des relations avec l’Espagne via Cerbère et Port-Bou à partir du 2 janvier 1940, via Hendaye et Irun quelques jours plus tard [doc12]. Les relations avec le Portugal seront rétablies à leur tour le 25 février. La réouverture de la gare internationale de Canfranc, dernier point frontière franco-espagnol, interviendra le 15 mars [doc13].
Freiner l’accès aux trains : la menace d’une majoration des
tarifs de 30 %
Ce même 9 janvier, la question de la majoration des tarifs est de nouveau à l’ordre du jour. Les membres du comité se voient remettre une note portant sur l’« aménagement de la tarification voyageurs ». Il leur est rappelé, en préambule, que si les mesures déjà engagées (suppression des billets à tarifs réduits de pur agrément et des voitures de 1re classe) ont porté leurs fruits, elles s’avèrent désormais insuffisantes face à l’augmentation des déplacements. L’accent est mis sur l’immobilisation d’une importante partie du matériel voyageurs (trains sanitaires, rames TCO et transports des permissionnaires) et la vampirisation des locomotives par le trafic marchandises. Il faut aussi prendre en compte la nécessité d’économiser le combustible, donc réduire les parcours trains. Les solutions avancées – création de cartes de transports, location obligatoire – seraient considérées comme « intolérables » et n’apporteraient pas de résultats suffisants. Seule une simplification de la tarification et une majoration notable de tarifs de l’ordre de 20 % s’avéreraient efficaces.
Le Besnerais ouvre le débat en rappelant que 30 % du matériel voyageurs se trouve réservé aux besoins militaires alors que le trafic voyageurs a augmenté de 18 %. Il fait remarquer que l’institution d’une carte de transport se heurterait à des difficultés quasi insurmontables du fait qu’elle devrait être nominative et adaptée aux besoins particuliers de chaque usager. Il n’est pas radicalement contre la location obligatoire des places, mais précise qu’il faudrait renforcer notablement le personnel du service de location (150 agents de plus pour les seules gares parisiennes) et prévoir un service d’ordre suffisant pour interdire l’accès des trains aux voyageurs en effraction. Qu’il faudrait aussi courir le risque que certaines places assises ne soient pas utilisées et de se priver de la clientèle des personnes qui voyagent debout. Il estime par ailleurs que la location n’est possible qu’au départ des grandes gares. Pour Le Besnerais, la meilleure solution consisterait à relever les tarifs, relativement bas puisque les transports ne sont facturés que 65 % de leur prix de revient. L’augmentation de 20 % qu’il préconise se décomposerait en une majoration permanente (10 %) et une majoration temporaire (10 % qui ne s’appliquerait ni aux abonnements ouvriers ni aux abonnements de banlieue, dont l’usage répond à une nécessité. Quant à la simplification de la tarification, elle consisterait à ramener de 25 à 18 le nombre des taux de réduction.
La discussion qui s’ensuit tourne rapidement autour de l’entretien accordé par Jean Goursat, directeur du Service central du Mouvement, au journal Le Matin. Le titre de l’article, paru le 7 janvier, est sans équivoque : « Le trafic des marchandises va être fortement augmenté sur les chemins de fer français – Aussi des mesures sont-elles envisagées pour freiner les excès du service voyageurs. » Goursat explique, qu’à la veille de la guerre, le service voyageurs était de 640 000 km-train/jour contre seulement 420 000 pour les marchandises ; qu’en 1940, ce ratio serait respectivement, selon les prévisions, de 500 000 et 620 000 km-train/jour, soit une augmentation d’environ 50 % pour les trains de marchandises. « Il est donc facile, poursuit ce dernier, de concevoir que la SNCF ne pourra accroître ses parcours de voyageurs. Il ne faut pas conclure de cette constatation qu’il n’y aura pas, en 1940, d’amélioration du service voyageurs. Je précise ainsi ma pensée : si des améliorations interviennent, elles ne pourront provenir que d’aménagements d’horaires existants, sans création de kilomètres-train supplémentaires. » Goursat expose ensuite la hiérarchie entre les différents trafics que l’entreprise est appelée à traiter, et arrive à ce constat que les transports de voyageurs « viennent en dernier lieu ». Sa conclusion est claire : « En toute sincérité, il faut faire savoir au public qu’il ne peut pas s’attendre à retrouver les facilités de voyage du temps de paix. »
L’article provoque de nombreuses réactions. Le Matin s’en fait l’écho dès le lendemain en titrant : « On voyage trop en France. La dispersion des familles est en cause. » Et de conclure : « Qu’on facilite leur regroupement et l’on voyagera moins. » Cette hypothèse sera reprise et développée par Le Jour dans son édition en date du 15 janvier : « Serait-ce que l’on voyagerait trop en France ou serait-ce, au contraire, que la SNCF ne mette plus à la disposition des usagers un nombre de places et, par conséquent, de convois suffisant ? (…). Il est un fait, c’est que depuis le début de la présente guerre, on voyage beaucoup en France. La cause en est que les familles françaises ont été – évacuation, mobilisation ou transfert d’administration – dispersées aux quatre coins du pays. Il était donc normal, surtout à l’époque des fêtes (celles de Noël ou du Jour de l’An, par exemple), que pères, mères et enfants éprouvent le besoin de se réunir. D’où affluence de voyageurs, d’où mécontentement, d’où encore réclamations. »
En attendant, Le Besnerais doute de la réactivité des lecteurs du Matin et accuse le rédacteur d’avoir exposé seulement ses propres idées. Grimpret n’est pas de cet avis. Il est rejoint par le président Guinand : « Il est certain que ce n’est pas pour leur plaisir que les gens font la queue pour retenir leur place. » Chacun est d’accord pour reconnaitre que la dispersion des familles est l’une des causes principales de la recrudescence des déplacements. Mais comment y remédier ? Chacun aussi veut se persuader qu’il s’agit là d’une situation temporaire. Ce à quoi répond l’idée d’une majoration de tarif pour partie permanente et pour l’autre temporaire, se défend Le Besnerais. Pour lui, il ne faut plus attendre : « … la situation actuelle ne peut se prolonger. Nous sommes bien obligés de transporter tous les gens se présentant, sinon nous risquons de provoquer des désordres. Les voyageurs ne sont pas tous des militaires à qui l’on peut donner des ordres, mais il y a des femmes, avec des enfants, encombrées de bagages. On ne peut pas laisser les gens se battre pour monter dans les voitures, ce n’est pas une solution. » Le débat s’éternise, les permissionnaires apparaissant pour certains comme les boucs émissaires parfaits du fait de leur grand nombre. Le comité se sépare sans qu’une décision ne soit prise, sauf à attirer l’attention du public sur la nécessité de restreindre les voyages dans les circonstances actuelles.
Un relèvement « inopportun, ne serait-ce que pour des motifs psychologiques »
La question d’une majoration des tarifs revient sur la table le 16 janvier. Le président Guinand expose que l’augmentation suggérée risque de provoquer « un différend » entre la SNCF et le gouvernement, et rappelle que la censure n’a même pas voulu laisser passer le communiqué visant à informer le public de la situation. Le Besnerais défend une nouvelle fois sa position. Grimpret est formel, c’est non : « … limiter les transports voyageurs en augmentant les tarifs, étant donné qu’il s’agit d’un service public, est une mesure sauvage, brutale et aveugle que nous ne pouvons pas proposer au ministre. » Une opinion que partage, selon Claudon, porte-parole du gouvernement, les ministre des Finances et des Travaux publics qui estiment qu’un relèvement des tarifs voyageurs serait actuellement « inopportun, ne serait-ce que pour des motifs psychologiques ». Prenant la parole, Bouffandeau met en garde le comité sur le ressenti du public face à une majoration des tarifs : « Le chemin de fer s’est plaint, pendant des années, de la concurrence automobile, concurrence qui a disparu aujourd’hui par suite de la réquisition et du décret de coordination qui a posé des règles très sévères. Or, trois mois à peine après l’application de ce régime, le chemin de fer est obligé de reconnaître qu’il ne peut plus transporter tous les voyageurs qui se présentent et qu’il est incapable d’assurer le service, car c’est l’argument que vous serez obligé de présenter pour justifier votre proposition de relèvement des tarifs. Sans doute, il existe des raisons valables qui expliquent cette impossibilité d’assurer le trafic dans les circonstances actuelles : les voitures transformées en voitures sanitaires, les rames mises à disposition de l’autorité militaire, les trains spéciaux de permissionnaires, etc. ; mais, aux yeux du public, c’est le fait brutal qui l’emportera, à savoir que le chemin de fer est obligé de se déclarer incapable, à lui seul, d’assurer les transports. Je crains que, dans l’avenir, cette constatation ne soit retenue comme argument par les très nombreux adversaires du chemin de fer et les défenseurs des transports automobiles. »
Le Besnerais reste inflexible, soutenu notamment par le président Guinand. Il se heurte aux partisans d’une restriction d’accès aux trains. Bouthillier propose en définitive qu’une lettre reflétant la discussion soit adressée au ministre, en exposant les arguments des uns et des autres, et en précisant que le problème de la limitation des voyages doit être résolu sans délai. Par cette démarche, poursuit-il, « je crois que le comité aura rempli sa mission ». Le Besnerais est chargé de sa rédaction.
En fait, il est pris de court par Claudon qui informe sans attendre le ministre des Travaux publics de la teneur des débats. Ce dernier rend son verdict deux jours plus tard. Comme annoncé par Claudon, il juge l’augmentation préconisée « inopportune » dans les circonstances actuelles, et ne peut se résigner à y adhérer « avant d’avoir épuisé l’effet de tous les moyens techniques ». Il pense qu’il est encore possible de fermer au trafic voyageurs certaines petites lignes et de supprimer certains services omnibus de lignes secondaires, voire de grandes lignes, en recourant à de nouveaux services d’autobus. Il est bien entendu que, dans le même temps, il est exclu de créer un seul kilomètre-train supplémentaire, si ce n’est pour régulariser les doublements de certains trains trop chargés. Le ministre annonce enfin qu’il a lancé un appel demandant aux usagers d’éviter les voyages inutiles au moment des pointes de fin de semaine. « Pour le surplus, conclut-il, je fais appel à la magnifique ingéniosité de vos états-majors. »
Le président Guinand lui répond le 19 janvier par une lettre circonstanciée. Il lui rappelle que le trafic total en voyageurs-km et en tonnes-km est actuellement supérieur d’environ 50 % à celui de la période correspondante de 1938 et rejoint, pour les marchandises, et dépasse même pour les voyageurs, le trafic de 1930, année pendant laquelle l’activité des chemins de fer a atteint son maximum. Cela avec des moyens humains et matériels nettement inférieurs, et avec pour horizon une recrudescence de la demande avec le retour des beaux jours. Dans ces conditions, il est donc indispensable de limiter le volume total des transports que doit assurer le chemin de fer. Le comité direction a été unanime à se rallier à une restriction du trafic voyageurs. Le directeur général a proposé une majoration des tarifs de l’ordre de 20 %, seule solution selon lui suffisamment efficace et d’une application rapide. Deux autres mesures pourraient être envisagées bien que desservies par de nombreux inconvénients : la carte de voyage et la limitation stricte du nombre de trains de voyageurs mis en circulation.
- La carte de voyage reviendrait à attribuer forfaitairement à chaque Français un certain nombre de kilomètres à parcourir ou un certain nombre de voyages à effectuer. Le problème est qu’il serait très difficile de nuancer la part de chacun, les besoins d’un paysan, d’un voyageur de commerce, d’un banlieusard, etc., étant extrêmement différents.
- La limitation stricte du nombre de trains de voyageurs mis en circulation impliquerait à décider, sauf très rares exceptions, à ne plus dédoubler un train prévu à l’Indicateur, et, une fois celui-ci, à laisser immanquablement nombre de voyageurs sur le quai. Cette situation, qui obligerait la mobilisation de forces de police appropriées dans beaucoup de gares, pourrait être résolue par la location des places, laquelle se traduirait, pour l’entreprise, par une organisation coûteuse, pour les usagers, par une augmentation « occulte » des places consécutive au trafic qui se créera sur les tickets de location. Plus prosaïquement, et malgré la police, « il est à craindre que la loi du plus fort ou du plus débrouillard ne joue ». La location se heurterait à deux autres problèmes : l’impossibilité, pour les voyageurs désirant monter en cours de route, de réserver sa place, cette faculté n’étant donnée qu’au départ des gares de formation des trains ; ou de décider d’un déplacement au dernier moment pour raison impérative, sauf à prévoir un certain nombre de compartiments accessibles que sur autorisations spéciales.
Diverses autres solutions ont été étudiées avant d’être recalées : une campagne de persuasion en direction du public, la création de jours sans train, l’établissement de sauf-conduits, le retour à une exploitation réduite aux seuls trains omnibus à l’exemple de l’organisation mise en place au début de la guerre. Pour finir, Guinand prend acte du véto du gouvernement à toute hausse de tarifs, remercie le ministre pour ses suggestions et son soutien, l’assure que l’entreprise continue de réfléchir à la question et qu’elle lui fera, le cas échéant, de nouvelles propositions.
Froid polaire et baisse des stocks de charbon dans les dépôts
Pour l’heure, la SNCF doit affronter les rigueurs d’un hiver précoce. Les grands froids, un épisode que Le Besnerais redoutait. Il avait fait part de ses craintes au comité de direction dès le 19 décembre 1939 : « Nous sommes toujours à la merci d’une gelée brusque qui, d’une part, ferait prendre les canaux et arrêterait ainsi un mode de transport qui assure une partie de nos transports de houilles et, d’autre part, augmenterait la demande en charbon domestique, car beaucoup de gens ne s’approvisionnent en charbon qu’au dernier moment, ce qui risque d’amener un certain trouble dans l’approvisionnement. D’autre part, vous savez que nous avons beaucoup de nos machines qui restent garées à l’extérieur, nos installations ne permettant pas de les abriter toutes. Or, c’est un fait d’expérience, sur les chemins de fer français, qu’une fois tous les dix ans à peu près une gelée brusque arrête tout trafic sur une région, comme cela s’est produit au début de 1929 par exemple sur le Nord, qui a été arrêté 4 jours, et de 1930 sur le PLM. Généralement, cela se produit un peu plus tard, fin janvier, ou début février. »
En fin de compte, c’est le 10 janvier 1940 qu’une vague de froid s’abat sur l’Europe. Le 8, Le Matin avait abordé, en marge de la question de la dispersion des familles, la nécessité pour la SNCF de veiller à ne pas trop piocher dans ses stocks de charbon dont le réapprovisionnement était assuré de façon aléatoire[8]. Ce qui expliquait, entre autres raisons, le bruit selon lequel l’entreprise envisageait de réduire son service voyageurs à plus au moins long terme. Le 15, Le Jour revient sur le déficit en charbons de la France. « Croit-on qu’il soit de l’intérêt commun d’augmenter ce déficit en mettant d’autres convois en route ? Et ne doit-on pas se poser la question de savoir ce que deviendraient les foyers français l’hiver prochain si nous brûlions notre charbon… en voyages ? » Prenant fait et cause pour la SNCF, le journal rappelle que celle-ci entendait satisfaire un plus grand nombre de clients grâce à l’aménagement des horaires existants, cela sans augmenter le nombre de kilomètres-train. Pour finir, il prévient que si les améliorations apportées ne permettaient d’endiguer le mouvement, elle envisagerait de « freiner » et même de « rationner » les voyages.
Le 17 janvier, conséquence de la vague de froid, la SNCF se décide à communiquer sur la nécessité, de réduire son service voyageurs au profit du transport des marchandises. Elle avoue notamment n’être plus en mesure, en cas d’affluence, de dédoubler ses trains comme elle le faisait en temps de paix et jusqu’à ces dernières semaines. Elle demande donc au public d’éviter les voyages non indispensables. Le ministère des Travaux publics intervient à son tour le 18. Contrairement à la SNCF, il évoque la question du charbon. Il précise par ailleurs que la décision de l’entreprise de « tasser » le trafic des trains de voyageurs, n’implique aucune suppression de rapides et express mais interdit toute nouvelle circulation. Il attire enfin l’attention sur l’importance de louer ses places.
Le 23 janvier, Le Besnerais rend compte à ses pairs des difficultés croissantes auxquelles le chemin de fer doit faire face : « La situation reste extrêmement difficile. La prolongation de la période actuelle de froid, d’une intensité et d’une durée exceptionnelle, nous cause de graves difficultés. Il en résulte, tout d’abord, un mauvais état sanitaire : 20 % de malades à la Traction, 12 % à l’Exploitation ; environ 1/5ème de nos effectifs est indisponible de ce chef. A cela s’ajoute, en ce qui concerne la traction, la nécessité de dégeler les machines, travail qui absorbe 600 hommes sur la Région Nord et autant sur la Région Est. Il en résulte que l’entretien des machines est pratiquement arrêté depuis 8 jours sur ces deux Régions. Les triages ne peuvent débiter la nuit. En même temps, le trafic continue à augmenter car les routes sont difficilement praticables et les canaux gèlent les uns après les autres Ce matin, on m’indiquait que la Seine commençait à prendre entre Rouen et Paris. »
Le Besnerais expose ensuite les efforts consentis par l’autorité militaire : diminution et étalement des TCO, restriction drastique des permissions de 24 et 48 heures[9]. Ces mesures s’ajoutent à celles prises par l’entreprise : interruptions temporaires de trafics spécifiques pour les marchandises ; diffusion de communiqués dans les journaux et premières mesures coercitives pour les voyageurs. A Grimpret, qui l’interroge sur la portée de la campagne de presse, il répond : : « Pas encore. Ce qu’il y a de grave, en effet, dans les remèdes que nous prenons, c’est qu’aucun d’eux ne peut donner de résultats immédiats, alors que c’est tout de suite que nous aurions besoin qu’ils agissent. Nous cherchons également par tous les moyens à rendre les voyages le moins confortable possible, en ne dédoublant pas les trains ou les wagons-lits, en supprimant les wagons-restaurant[10], etc. L’effet de ces mesures ne peut être que progressif, parce qu’il faut que le public ait le temps de s’en apercevoir. »
« Il semble qu’au fur et à mesure que nous restreignons le nombre de trains, le nombre des voyageurs augmente. »
La situation conduit cependant la SNCF à une mesures encore plus contraignante. Ainsi, dans son édition du 27 janvier, L’Excelsior annonce pour le lendemain la suppression provisoire de 44 rapides et express, et de certains omnibus. Le 30, Le Besnerais revient sur cette décision : « Jusqu’ici, cela n’a pas fait trop de difficultés, mais je crois que le verglas fait renoncer à bon nombre de voyages. » En fait, la décision est à l’origine de vives récriminations. Grimpret signale le cas de la ville de Tarbes, un centre extrêmement important au point de vue des fabrications de l’Armement, qui proteste contre la détérioration de ses relations avec Paris par suite de la suppression du plus utile de ses deux trains. Le Besnerais le rassure et confirme que « ces suppressions de trains sont essentiellement temporaires ; elles nous ont été imposées par les circonstances, et nous ne pensons les maintenir que pendant 2 ou 3 semaines. »
Dans le même temps, le ministre des Travaux publics envoie une lettre personnelle, et à caractère confidentiel, à tous les sénateurs et députés pour leur donner des explications sur les restrictions mises en œuvre. Par retour du courrier, plusieurs d’entre eux, tout en regrettant le désagréments de cette mesure, le remercient de leur en avoir livrés le pourquoi et la nécessité. Deux semaines plus tard, au président Guinand qui déplorera que l’entreprise n’ait pas adopté pas une démarche similaire auprès du public, Berthelot répliquera : « La censure ne veut pas que nous fassions savoir au public que la principale cause des limitations des voyages tient aux difficultés d’approvisionnement en charbon. » Sans doute l’explication à l’indication « 4 LIGNES CENSUREES » placée en tête de l’article du Matin du 28 janvier.
Le 6 février, Le Besnerais fait un nouveau point. Il reconnaît qu’« il y a sans doute des récriminations, mais pas de réclamations écrites. » Et à la question de Grimpret sur le prochain rétablissement des trains supprimés, il répond : « Pas tout de suite. Vers le 25 février seulement, au moment du changement d’heure. Nous aurons quelques modifications à faire et nous pourrions supprimer d’autres trains omnibus. Je ne voudrais rétablir les express qu’en supprimant un nombre de trains omnibus qui me permette de ne pas augmenter la charge totale. Il ne s’agit pas d’ailleurs de remplacer kilomètre par kilomètre, car le km de trains omnibus revient plus cher. »
Le 13 février, il reconnaît que malgré toutes les mesures prises, l’intensité du trafic voyageurs ne diminue pas : « Il semble qu’au fur et à mesure que nous restreignons le nombre de trains, le nombre des voyageurs augmente. » Cela à un moment où une recrudescence du froid et de la neige est annoncée. Le trafic marchandises étant lui-même en hausse, une nouvelle indisponibilité des canaux serait catastrophique pour l’entreprise, elle signifierait encore plus de trains à faire rouler : « Alors, notre situation s’aggravera en ce qui concerne le charbon, car nos stocks continuent à décroître. Au début de janvier, nous avions 48 jours de stock, le 25 janvier, 34 jours, le 31, 32 jours, le 5 février, 31 jours et le 10 février, 30 jours. A l’heure actuelle, les stocks diminuent à raison d’un jour de stock tous les 5 jours. Un stock limité à 30 jours ne correspond d’ailleurs qu’à 18 jours pour le menu, dont nous manquons, alors que notre stocks de briquettes dépasse nos besoins. D’autre part, la répartition n’est pas égale entre tous les dépôts : ce stock de 30 jours ne représentent que 24 jours de consommation pour certains dépôts et parfois 6 jours seulement (…). En définitive, alors que nous avions 1 600 000 tonnes en stock au début de novembre, nous n’aurons plus que 700 000 tonnes fin février. Pour notre consommation mensuelle moyenne de 800 000 tonnes, nos réceptions mensuelles n’ont été que de 610 000 tonnes en novembre, 580 000 tonnes en décembre, 490 000 tonnes en janvier. »
Pour Le Besnerais, aucune échappatoire possible, l’entreprise ne peut agir, une fois de plus, que sur le service voyageurs : « En ce qui concerne le trafic voyageurs, nous avions, dès la fin du mois de janvier, diminué d’environ 12 000 kms par jour les parcours d’express et rapides, plus les dédoublements qui représentaient également une diminution de 12 000 kms par jour, soit 24 ou 25000 kms express et rapides. Nous avions, en première étape, réduit aussi de 10 000 kms les parcours journaliers des trains omnibus et nous allons proposer, à partir du 25 février prochain, une nouvelle réduction de 40 000 kms. Il faut s’attendre à des récriminations dans le public. Nous allons supprimer maintenant des trains dont l’utilité est certaine, par exemple pour les écoliers qui vont en classe. Il y aura aussi des ouvriers qui ne pourront plus aller dans les usines. Mais, à l’heure actuelle, c’est la seule mesure que nous puissions prendre. Les parcours des trains voyageurs seront ainsi ramenés à 50 % de ce qu’ils étaient au 15 mai 1939, compte non tenu des trains de permissionnaires qui sont à part. » Mayer s’interroge sur la possibilité de recourir aux automotrices pour assurer les trains omnibus et demande si leur alimentation en essence et gas-oil est rationnée. Le Besnerais répond que les trains en question sont tous tellement chargés qu’il est difficile leur substituer des engins de moindre capacité, et que, de ce fait, il y a déjà beaucoup moins d’automotrices en circulation. Et d’illustrer son propos : « J’ai été sur l’Est samedi, j’ai pris une automotrice normale qui a 50 places assises ; il y avait certainement 120 personnes ; les voyageurs s’asseyaient à 3 sur les banquettes de 2, à 4 sur les banquettes de 3, ou étaient debout entre les banquettes. » Berthelot clôt le chapitre : « Nous rencontrons certaines difficultés pour transporter dans les dépôts de l’intérieur de l’essence et des gas-oils. Quand nous aurons reçu les 2 000 wagons-citernes et les 2 600 chalands complémentaires, la situation pourra s’améliorer. »
Les suppressions annoncées entrent en vigueur le 25 février 1940, à la nouvelle heure comme précisée par Le Besnerais.
Si le retour à des températures plus clémentes se traduit par une intensification des trafics, elle s’accompagne aussi par une amélioration des moyens humains et techniques de l’entreprise qui laisse entrevoir la possibilité de revenir à un service voyageurs plus étoffé. Certes, les trains sont toujours aussi bondés. Le 5 mars, le comité de direction dénonce l’encombrement des convois à destination de la Côte d’Azur et pointe du doigt les officiers permissionnaires qui voyagent avec leur famille. D’un autre côté, Le Besnerais semble vouloir faire preuve de plus de souplesse : « « Nous avons réalisé une nouvelle étape de suppression des trains de voyageurs, mais nous avons constaté qu’il fallait la réviser sur quelques points. On nous a signalé, notamment, que, s’il était normal que nous supprimions des trains pour faire des économies de charbon, il était, par contre, anormal de supprimer en particulier le train qui mène les ouvriers mineurs à leur travail à Bruay. Nous rétablirons donc ce train, car sa suppression était évidemment une erreur. » Il est d’autant plus enclin à faire un geste que les informations relatives à l’approvisionnement en charbon laissent entrevoir, là aussi, une sortie du tunnel : « Pour la première fois, notre stock de charbon n’a plus baissé au cours de ces 5 derniers jours. Même, notre consommation ayant diminué du fait de le réduction des parcours, le stock a augmenté. Nous sommes à 27 jours au lieu de 26. Le stock est passé de 731 227 tonnes au 25 février à 733 677 tonnes à la fin du mois. J’espère que nous avons touché le point le plus bas. »
Le 11 mars, un communiqué radiodiffusé fait état du rétablissement le 15 d’un certain nombre de rapides et express en prévision des fêtes de Pâques. Au nombre de ceux-ci, le retour du Pyrénées-Côte d’Argent.
Le 12, Le Besnerais est pris à partie par Grimpret : « Pour quelles raisons avez-vous été amenés à rétablir le 15 mars des trains qui venaient d’être supprimés le 25 février ? Il faut éviter ces mouvements d’accordéon (…). Il y aurait intérêt à ne faire de suppressions qu’après mûre réflexion, de façon à ne pas revenir 15 jours après sur la décision qui a été prise. » Le Besnerais se défend : « Il ne faut pas perdre de vue que nous avons procédé à des essais. Et le maintien de certaines suppressions s’est révélé à l’expérience impossible (…). Il faut avouer que nous avons commis, dans les suppressions réalisées le 25 février, pas mal d’erreurs. On ne peut pas, brutalement, supprimer 10 % de nos trains omnibus, sans en commettre (…). Ce n’est que par expérience qu’on peut se rendre compte si certaines suppressions sont possibles. D’ailleurs, nos erreurs d’appréciations étaient minimes, puisque nous ne rétablissons que 3 trains express sur 150. »
Parmi les renforcements prévus, une décision fait débat, la création, à partir du d’une relation par train automoteur rapide (TAR) entre Paris et Lille. Moins la création que l’application de suppléments : 15 francs sur Paris-Amiens ou Amiens-Lille, 25 francs sur Paris-Arras, Paris-Douai ou Paris-Lille[11]. Le Besnerais doit, là encore se justifier : « C’est pour éviter que ces trains automoteurs ne soient surchargés et afin qu’ils soient utilisées que par les voyageurs pour qui ils présentent vraiment un intérêt (…). Il s’agit de trains à 4 éléments 1ère et 2ème classes. Cela représente 220 places environ. Cela suffit aux besoins, mais encore faut-il prendre des mesures appropriées. »
La réunion, le 13 mars, du conseil d’administration permet à Le Besnerais de porter un regard optimiste sur la situation : « La fin du mauvais temps a permis d’assurer le trafic, non sans difficultés certes, mais sans qu’il en résulte d’encombrements importants (…). L’adoucissement de la température a eu également une heureuse répercussion sur la circulation, qui est devenue meilleure. Le nombre de retards des trains express et rapides , supérieurs à 15 minutes, qui était de 27 % au début de février, n’est plus que de 12 % au début de mars. » Sur la question du rétablissement de trains à Pâques, il répond à Henri Deroy qui s’inquiète de leur pérennité : « Ce rétablissement a été décidé à partir des vacances de Pâques, période pendant laquelle le trafic voyageurs est beaucoup plus intense. Mais il faut reconnaître que la SNCF a été un peu loin dans la voie des suppressions, et l’expérience a montré que certains rétablissements étaient nécessaires. Ils seront donc maintenus. Il s’agit d’ailleurs principalement de trains à traction électrique, dont la circulation n’influera pas sur les stocks de charbon. Quant aux dédoublement de certains trains sur la ligne Paris-Marseille[12], sans doute accroîtrons-ils la consommation de combustibles, mais ils sont commandés par la recrudescence du trafic pendant la période d’été. »
Comme attendu, le trafic voyageurs explose à l’occasion des fêtes de Pâques. Les recettes de la 11e et 12e semaines (11 au 17 mars/18 au 24 mars) sont supérieures de 45,4 % et de 61 % à celles des semaines correspondantes de 1939. Un afflux auquel la SNCF semble avoir fait front. C’est ce dont il ressort des informations données par Berthelot le 2 avril : « La circulation a été relativement satisfaisante pendant l’ensemble des fêtes de Pâques. Pour les trains rapides et express, le pourcentage des retards de plus de 15 minutes a été de l’ordre de 15 %. La semaine dernière [25 au 31 mars], la situation s’est encre améliorée, ce pourcentage s’étant abaissé à 10 ou 12 % suivant les régions. » Un constat qu’il confirme le 23 – « La circulation est un peu plus satisfaisante. Sur certaines régions, les pourcentages de retard de plus de 15 minutes ne sont que de l’ordre de 2 %. C’est une situation qu’on n’avait pas vue depuis le début de la guerre » – et le 30 : « Pour le moment, la circulation est toujours aussi facile. » Enthousiasme que partage Le Matin, qui titre le 23 : « Les gares ont connu hier leur animation d’antan », précisant que si les voyageurs les plus favorisés furent naturellement ceux qui avaient pris la précaution de lourer leur place, « les retardataires purent tout de même se caser ».
Cette éclaircie est malheureusement de courte durée. L’invasion de la France le 10 mai va très vite contraindre la SNCF à s’adapter aux dictats de l’occupant et aux impératifs d’une économie de guerre. Toujours moins de trains, toujours plus de mesures pour en limiter l’accès et d’interdictions de circulation[13].
[1] Pendant des trains de nuit 511/512, deux trains rapides de jour 1re/2e cl. 509 et 510 sont créées entre Paris et Menton (1 WR) le 1er janvier 1940. [2] Nombre de wagons chargés par rapport aux mêmes périodes de 1938 : + 5,8 % du 3 au 9 décembre ; + 6,6 % du 10 au 16 décembre. [3] Non compris les nombreux autres trains du service ordinaires doublés voire triplés pour les fêtes. [6] Lors de la Première Guerre mondiale, es permissions n’ont étaient généralisées qu’en juillet 1915. [8]Si lors de la Première Guerre mondiale, la France avait largement recouru aux charbons étrangers livrés par voie maritime, en 1939-1940, l’essentiel des besoins étaient couverts par les seuls charbonnages français. [9] Comité de direction du 6 février 1940 : « On ne supprime pas les permissions de 24 et 48 heures ; mais on empêche les permissionnaires d’utiliser le train » (Guinand, 6 février 1940) ; « Les ordres avaient été donnés il y a 15 jours ; mais ce n’est que dimanche dernier [le 4] que nous en avons constaté les effets » (Le Besnerais). [10] Le conseil d’administration du 8 mai 1940 autorise de soumettre à l’homologation ministérielle une proposition comportant une majoration de 14 à 27 % des tarifs des suppléments WL pour pallier le manque à gagner de la CIWL. [11] Une disposition identique est appliquée aux autorails 81/82 toutes classes mis en marche le 19 mai entre Marseille et Nice. [12] Allusion à un second dédoublement du train 511/512 Paris-Menton. [13] Les derniers jours de la « drôle de guerre » sont endeuillés sur le plan ferroviaire par le déraillement, dans la nuit du 3 au 4 mai, du train 426 Montluçon-Paris par suite de l’effondrement d’un pont miné par une crue du Cher (33 morts, 25 blessés).
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