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L’âge d’or des Trains Bonnet (1904-1914)

Dernière mise à jour : 20 juil. 2023

Par Bruno Carrière


Chantre, en son temps, de la communauté auvergnate parisienne, directeur du journal L’Auvergnat de Paris et de la Ligue auvergnate, Louis Bonnet (1856-1913) est surtout connu pour avoir obtenu du PO et du PLM, en 1904, l’organisation de trains à tarif réduit réservés à ses « compatriotes » soucieux de renouer avec le pays.

Louis Bonnet (1856-1913). Photo publié par L’Auvergnat de Paris le 19 avril 1913 à la suite de son décès.
Louis Bonnet (1856-1913). Photo publiée par L’Auvergnat de Paris le 19 avril 1913 à la suite de son décès.


L’exemple des « trains Chautemps » octroyés aux Savoyards

En-tête de L’Auvergnat de Paris, journal créé par Louis Bonnet en 1882 (L’Auvergnat de Paris, 12 août 1906)
En-tête de L’Auvergnat de Paris, journal créé par Louis Bonnet en 1882 (L’Auvergnat de Paris, 12 août 1906)

Le 16 août 1903, L’Auvergnat de Paris, « organe de la colonie auvergnate paraissant de dimanche », publie une lettre ouverte de son directeur, Louis Bonnet [1]. Cette lettre s’adresse au docteur Paul Trapenard, son médecin traitant, à l’origine de cette démarche, par ailleurs secrétaire du Conseil général du Cantal. Bonnet y expose, entres autres sujets, son idée de trains spéciaux à prix réduits réservés aux Auvergnats de Paris soucieux de rentrer au pays la belle saison venue. Notre homme appuie sa requête sur l’exemple des trains mis en marche depuis quelques années par la compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée (PLM) en faveur des Savoyards de Paris. Désignés sous le sobriquet de « trains Chautemps », du nom de leur initiateur, Emile Chautemps, ancien ministre des Colonies, aujourd’hui député de la Haute-Savoie, ceux-ci prennent, poursuit Bonnet, « des voyageurs de toutes classes et leur consent des rabais de cinquante et même de soixante pour cent ; les voyageurs partent ensemble, mais reviennent à leur volonté, dans un délai de trois mois ». Il révèle qu’il s’est adressé dans ce sens au PLM et au PO. Au premier, il a sollicité, en vain, la création de trains qui, sur le modèle de ceux de Chautemps, auraient conduit les Auvergnats de Paris à la station d’Aumont-Aubrac « si fréquentée pendant l’été » et auraient desservi en passant la Limagne et Saint-Flour. Au second, il a demandé, toujours sans succès, l’organisation de tels trains en direction du Cantal, notamment sur Vic-sur-Cère. Bonnet comprend que, « très infime journaliste », il n’a pu peser sur les grandes Compagnies autant que l’honorable Chautemps.Il lui paraît, cependant, qu’un vœu du Conseil général du Cantal, relayé par les assemblées départementales voisines, et principalement par celle de l’Aveyron que préside Emile Maruéjouls, ministre des Travaux publics, aurait peut-être plus de chance d’être pris en considération par les compagnies.


Deux semaines plus tard, Bonnet crie victoire : « Bonne nouvelle » titre L’Auvergnat de Paris du 30 août. Il annonce à ses lecteurs que le PO, cédant à sa sollicitation, s’est engagé à mettre à la disposition des Auvergnats de Paris, dès le printemps prochain, des trains spéciaux identiques à ceux circulant sur le PLM. A l’en croire, sa démarche a abouti sans appui extérieur : « Je sais bien, écrit-il, que ce que j’ai obtenu là, pour notre Colonie, d’autres l’auraient pu obtenir aussi, puisqu’il m’a suffi de le demander, sans même faire appuyer ma requête par des signatures influentes ; mais qu’on me permette cependant de ne pas montrer trop de modestie pour l’heureux résultat que je viens d’atteindre et dont tous nos compatriotes, à Paris comme au pays, sont appelés à profiter. » Concrètement, plusieurs trains seront mis en marche à des dates arrêtées de concert entre les deux parties. Les voyageurs partiront ensemble, mais leur billet d’aller et retour leur permettra, s’ils le désirent, de prolonger leur villégiature pendant trois mois et de revenir à Paris individuellement et quand ils le voudront par l’emprunt des trains du service ordinaire, y compris les express. Ces trains ne prendront aucun voyageur en cours de route afin d’arriver au plus vite à destination. Rien à voir donc avec les trains de plaisir qui circulent lentement et, imposant un retour à dates fixes, ne permettent qu’un court séjour sur place. Au surplus, on restera entre-soi : « Dans les trains de plaisir, on est gêné parce qu’on voyage avec des gens qu’on ne connaît pas. Dans nos trains d’Auvergnats de Paris, nous diviserons nos wagons par cantons : il y aura le wagon de Salers, celui de Vic, celui de Mur-de-Barrez, celui d’Entraygues, celui de Ste-Geneviève, celui de St-Amans-des-Cots et même celui de Laguiole. On voyagera en famille. » La réduction octroyée par le PO sera de 40 %. « C’est déjà bien, professe Bonnet, le mieux viendra facilement ensuite. »


Le 7 février 1904, Bonnet prend la plume pour répondre aux attaques dont il fait l’objet, notamment celles diligentées par certaines « sociétés » d’essence auvergnate habituées à faire voyager collectivement leurs adhérents. Il lui est reproché d’avoir fait cavalier seul et de s’être attribué injustement le mérite de l’accord en gestation. A quoi il réplique que les sociétés en question se sont méprises sur ses intentions, oubliant qu’elles pourront elles-mêmes bénéficier des avantages consentis par le PO. Quant à sa démarche, elle a été guidée parce qu’aucune voix, autrement plus influente que la sienne, n’avait osé, ou voulu, s’adresser aux compagnies. Il nous apprend ainsi que la question des trains spéciaux n’avait pas été débattue au Conseil général du Cantal – son rapporteur, le docteur Trapenard, n’ayant pas osé l’aborder après avoir été raillé sur une autre de ses propositions[2] – et que, de ce fait, il avait été contraint d’approcher lui-même le PLM et le PO. Pour finir, il invite ses compatriotes à plus de retenue : « … il faut éviter l’éclosion des mesquines jalousies, les querelles de boutiques ; c’est pour la Colonie tout entière que j’ai demandé l’organisation de ces trains spéciaux à prix réduits ; c’est à la Colonie tout entière, et non pas telle ou telle chapelle, qui doit en profiter ; pour moi c’est un seul bénéfice moral que j’en retirerai, celui d’avoir rendu encore un service à notre Colonie et au pays natal. »


Le 3 avril 1904, Bonnet informe ses lecteurs qu’un premier train sera mis en marche vers le 21 juin, dirigé depuis Paris sur Neussargues via Bort, à charge pour les camarades de l’Aveyron de se manifester au plus vite pour obtenir à la même date un second train en direction de Rodez via Figeac. De fait, dans son édition du 29 mai, L’Auvergnat de Paris annonce deux trains, le mardi 21 juin en direction de Neussargues, le 28 juin en direction de Rodez. Entretemps, le succès rencontré par le premier – les billets, dont la vente devait se poursuivre du lundi 13 au samedi 18, avaient été « enlevés presque d’assaut » dès le jeudi – avait conduit Bonnet à demander, et obtenir, un nouveau train pour le mercredi 22 juin, également en direction de Neussargues.


Ces trains, et ceux qui suivent jusqu’à la fin de l’année, partent de Paris-Austerlitz à 7 h 40 du soir. Ceux dirigés via Bort arrivent à Neussargues à 11 h 10 du matin, ceux acheminés via Brive touchent Rodez à 8 h 23 du matin.


Bien entendu, Bonnet n’aurait manqué pour rien au monde le départ, ce 21 juin 1904 au soir, du premier train spécial de L’Auvergnat de Paris dont il gardera « un souvenir ému », quoique terni par la réminiscence des critiques soulevées par sa démarche, dont certains subodoraient l’échec. « Mais le train était là, écrit-il le 26 juin, deux fois plus long que tous les autres, locomotive en tête [3] ; chacun y prenait sa place : les employés, sur des chariots, y portaient d’innombrables bagages ; il fallait bien se rendre à la réalité. Et celui qui avait mis tout cela en mouvement était là aussi ; il partait avec ses compatriotes ; il les accompagnait dans leur premier voyage ; tous devaient bien se rendre à une aussi palpable vérité. Aussi l’enthousiasme, quoique peu bruyant, était manifeste ; ce n’est pas la première fois que j’ai connu la popularité ; je ne l’ai jamais connue aussi intense, aussi empoignante. » Chemin faisant, les voyageurs, lui expriment toute leur satisfaction : « Ils se sont trouvés plus à l’aise que dans les trains ordinaires […]. On leur avait bien raconté partout que notre train spécial ressemblerait à ces trains dits de plaisir, mais en réalité de déplaisir, où l’on vous entasse comme des moutons et qui mettent vingt-quatre heures pour vous conduire au pays. Mais ce qu’on leur avait raconté, cela et bien d’autres choses encore, ce n’était que mensonge, et celui qui avait dit vrai, celui qui tenait ses promesses, c’était Louis Bonnet, l’ami qui voyageait avec eux, qui se trouvait au milieu d’eux. » Consécration, à l’arrêt à Vic-sur-Cère, les édiles locaux, trouvant trop long le vocable « trains spéciaux de L’Auvergnat de Paris », décident d’une autre dénomination : « … désormais on les appellera tout court trains Bonnet. Va pour les trains Bonnet ! » (L’Auvergnat de Paris, 26 juin 1904).


Le train du 28 juin, le premier dirigé sur Rodez, emporte encore plus de voyageurs que celui du 21, mobilisant pas moins de 34 voitures : « L’embarquement s’est opéré dans l’ordre le plus parfait ; mais, à cause de l’encombrement prévu, la Compagnie n’a pu permettre l’accès sur le quai aux familles et aux amis qui accompagnaient les voyageurs » (L’Auvergnat de Paris, 3 juillet 1904).


Si le PO se montre relativement affable, le PLM est plus réticent à accepter la proposition de Bonnet d’établir des trains spéciaux à tarif réduit à destination des régions auvergnates desservies par ses lignes et ne lui accorde qu’un seul train appelé à circuler le 4 août.



Gare de Neussargues.
Gare de Neussargues.


Fraudes à grande échelle

Qu’un seul train ait été programmé à destination de Clermont-Ferrand provoque une demande largement supérieure à l’offre (3 000 requêtes pour 1 000 places) et, par contrecoup, une intense spéculation sur les billets mis en vente. En effet, l’accès aux trains Bonnet reste subordonné à l’achat de billets aller et retour qui s’apparentent à ceux traditionnellement établis par les compagnies : dits au porteur, ils ne précisent pas le nom de l’acheteur et peut donc, à ce titre, être librement cédés. Aussi, leur raréfaction – accentuée par le fait que leur nombre est strictement limité à l’offre des places disponibles pour donner l’assurance aux voyageurs de ne pas voyager debout – est-elle propice au tripotage : leur réduction de 40 %, attire vite la convoitise des aigrefins qui trouvent là l’occasion d’engranger un bénéfice en les revendant à un prix inférieur à celui des billets à plein tarif. De fait, le 25 juillet, à peine la vente officielle des billets ouverte, les bureaux de L’Auvergnat de Paris, chargé de leur distribution, sont assiégés. Quelques jours plus tard, Bonnet révèle que les billets « ont été enlevés en peu de temps, et d’assaut pourrait-on dire ». Et de poursuivre : « Des scènes regrettables se sont même produites cher moi, à ce sujet. La foule est inconsciente et par conséquent excusable […]. Ce n’est pas précisément une raison pour qu’ils traitent mon domicile en pays conquis, envahissant l’escalier commun à tous les locataires, cassent les vitres, molestent le concierge et mon personnel » (L’Auvergnat de Paris, 31 juillet 1904). Mais, curieusement, il ne donne pas les raisons profondes de cette ruée. Il le fait en 1905, lorsque revenant à plusieurs reprises sur l’événement[4], il avoue que les agissements frauduleux de certains n’avaient pas échappé à sa vigilance : « J’avais, du reste, remarqué l’an dernier, vers le mois d’août, et surtout pour la délivrance des billets sur la ligne de Lyon, que, beaucoup qui ne faisaient point partie de la Ligue auvergnate, et qui sans doute n’étaient pas Auvergnats du tout, venaient prendre les billets par paquets de quinze, vingt et même de trente. Ce qui fit que les membres de la Ligue, les vrais Auvergnats, en furent pour la plupart privés » (L’Auvergnat de Paris, 14 mai 1905).



Des cartes nominatives en lieu et place des billets

Bien sûr, le PO et le PLM ne manquent pas de chapitrer Bonnet. Ils lui rappellent notamment que les billets à prix réduit, dont la vente relève de sa responsabilité, doivent être exclusivement réservés aux membres de la colonie auvergnate. Bonnet saisit la menace sous-jacente. Il en informe ses lecteurs : « … il ne faudrait pas non plus nous exposer à la suppression de [nos] trains en en favorisant l’accès à des individus qui se prévaudraient de certaines organisations pour acheter les billets en bloc ou par série et pour en majorer ensuite les prix » (L’Auvergnat de Paris, 26 mars 1905). La solution au problème passe par la délivrance de « cartes nominatives » en lieu et place des billets. Bonnet s’en explique : « Nous avons voulu, les Compagnies et moi, parer aux inconvénients de la fraude. La Compagnie de Lyon, qui agit d’ailleurs ainsi pour les Savoyards, et la Compagnie d’Orléans, m’ont demandé de ne plus délivrer des billets comme l’an dernier, mais des cartes nominatives ; elles m’ont demandé aussi de certifier l’authenticité du bénéficiaire de la carte. J’ai acquiescé à cette double demande […]. Les cartes seront nominatives, délivrées à un compatriote que nous connaîtrons, dont nous pouvons garantir l’authenticité ; quiconque voyagerait avec un billet ne lui appartenant pas s’exposerait à des peines d’amende et même de prison » (L’Auvergnat de Paris, 14 mai 1905).


Chaque carte est délivrée sur présentation soit d’une pièce prouvant l’appartenance à la Ligue auvergnate, soit la quittance d’abonnement à L’Auvergnat de Paris ou une bande d’envoi du journal. Elle porte obligatoirement le nom, l’adresse et la signature du récipiendaire. Peuvent y prétendre, outre les affiliés, leur épouse, leurs enfants, leurs parents et leurs employés[5]. Auxquels s’ajoutent les membres de sociétés « amies » approchées par Bonnet dès 1904, tant par solidarité avec la communauté auvergnate que pour faciliter le remplissage de ses trains : « Lorsque, l’an dernier, L’Auvergnat de Paris fonda pour sa clientèle, c’est à dire pour la Colonie avec qui elle se confond dans la Ligue auvergnate, ses trains spéciaux à prix réduit, je m’empressai de communiquer tout d’abord cette utile innovation à toutes nos Sociétés, leur demandant de m’aider, parce que j’étais tout disposé à favoriser, pour l’admission dans nos trains, leurs divers membres au même titre que ceux de la Ligue » (L’Auvergnat de Paris, 14 mai 1905). Pour les séduire, Bonnet va jusqu’à leur proposer de leur réserver un ou plusieurs wagons. Fraîchement accueillie – « Les Sociétés parurent ne pas me comprendre, ni même m’entendre » –, sa démarche finit par séduire, aidée par le succès rencontré par ses trains. Parmi les sociétés ayant répondu à l’appel, citons, entre autres, la Société des Enfants d’Aurillac (Gooudots), la Société de la Gentiane, la Société des Enfants de la Haute-Loire, la Société amicale des Enfants de Boisset, le Groupe des socialistes de la Haute-Loire, la Société amicale des Enfants du canton de Laroquebrou, l’Amicale du canton de Montsalvy, la Société des Enfants du canton de Maurs, etc.


Si elle les réduit, les cartes nominatives n’empêche pas pour autant les fraudes, qui portent essentiellement sur les coupons de retour. Le 23 juillet 1905, L’Auvergnat de Paris rappelle que ceux-ci ne peuvent être ni vendus ni cédés : « Nous avons été prévenu [par le PO] que plusieurs, de trop nombreux même procès-verbaux avaient été dressés au retour. Si de pareilles fraudes se continuaient, la Compagnie est décidée à supprimer, l’an prochain, nos trains à tarifs réduits. » Le 30 juillet, le journal fait état de plus de 150 procès-verbaux établis par les agents du PO pour ce motif. Le 10 septembre, Bonnet consacre au sujet une grande partie de son éditorial, incitant ses lecteurs à plus de moralité : « En effet, quand il fait, avec sa carte, voyager un autre que lui-même, [le fraudeur] occasionne à la Compagnie une réelle perte d’argent ; il commet un acte absolument répréhensible et que les tribunaux correctionnels ont le devoir de réprimer (…). Est-ce que nous pourrions raisonnablement demander aux Compagnies de nous continuer nos trains si nous émettions la prétention de leur créer une concurrence et de leur enlever leurs voyageurs ordinaires ? »


Billets de zones

Un exemple de la tarification par zones appliquée aux trains Bonnet (L’auvergnat de Paris, 19 août 1909).


Pour plus de compréhension du texte, nous conserverons le terme de « billet » de préférence à celui de « carte ».


Comme indiqué plus haut, les billets Bonnet portent une réduction uniforme de 40 % qu’elle que soit la classe choisie, contrairement aux trains des Savoyards pour lesquels le PLM applique une remise différenciée (40 % 1re classe, 50 % en 2e classe). Une option que Bonnet a réclamée par souci d’équité, avec la promesse d’obtenir 50 % en cas de bons résultats. La première année, les tarifs sont calculés en fonction de la distance parcourue : à chaque gare desservie son tarif. En 1905, changement de politique, sans doute par souci de simplification : « Les prix pour les billets seront établis par zones et non par gares, c’est-à-dire, par exemple, qu’on paiera à Mauriac comme à Loupiac ou à Vendes, à Marcillac comme à Rodez, etc. » (L’Auvergnat de Paris 26 mars 1905). Cinq zones sont créées avec pour corollaire cinq tarifs s’échelonnant entre 27 F (première zone : gares comprises entre Eygurande, Bort et Largnac) et 38 F (cinquième zone, gares comprises entre Marcillac et Rodez). Le billet de Paris à Neussargues en 3e classe revient ainsi à 32 F (par comparaison 60,60 F au tarif plein et 36,40 F au tarif réduit de 1904) ; celui de Paris à Rodez à 38 F (contre respectivement 65,50 F et 39,30 F). Par ailleurs, il est perçu sur chaque billet 10 centimes pour droit de timbre.


Les enfants de 3 à 7 ans jouissent, en lieu et place de l’avantage des 40 %, de la réduction de 50 % du tarif général. Ils peuvent également emprunter les trains Bonnet avec un simple billet d’aller, avantage obtenu par la Bonnet « pour les enfants que leurs parents doivent laisser au pays » (L’Auvergnat de Paris, 10 juillet 1904).


A la question d’un compatriote qui s’interroge sur la présence d’un « fourgon pour chiens », les compagnies répondent positivement, mais précisent que ceux-ci « paieront comme dans les trains ordinaires et n’auront droit à aucune réduction » (L’Auvergnat de Paris, 29 mai 1904).


Rappelons que les billets Bonnet donnent droit au transport gratuit de 30 kg de bagages pour les adultes et 20 kg pour les enfants. Leur validité est de de 90 jours (trois mois). Soumis à un départ groupé, leurs détenteurs peuvent regagner la capitale individuellement, à la date de leur convenance, en empruntant les trains du service ordinaire, y compris les express. Seul impératif, le retour ne peut s’effectuer qu’au départ de la gare indiquée sur le billet, ou encore de l’une quelconque des gares pour lesquelles il est payé le même prix ou pour lesquelles il est payé un prix inférieur.


Début 1914, L’Auvergnat de Paris informe ses lecteurs d’une modification importante apportée à la tarification par zones : « Les prix ont été cette année calculés par la Compagnie d’Orléans d’après la distance kilométrique, et toutes les gares comprises dans un même rayon kilométrique se voient appliquer le même tarif. Par ce fait, un certain nombre de prix ont été diminués, d’autres augmentés, d’autres enfin sont restés les mêmes » (L’Auvergnat de Paris, 14 mars 1914). Les gares sont désormais réparties entre dix zones kilométriques affichant chacune son tarif : 1re zone, de 346 à 372 km de Paris, 23,20 F ; 10e zone, de 630 à 661 km de Paris, 37,20 F. Les augmentations de prix dont pâtissent certaines suscitent des interrogations auxquelles répond le journal : « … nous nous permettrons de faire simplement remarquer que les nouveaux tarifs ne sont pas le fait de la Compagnie d’Orléans, mais du ministère des Travaux publics. Les bureaux de l’Etat ont en effet remarqué (au bout de neuf années) que certains voyageurs effectuant 600 kilomètres payaient moins cher que d’autres qui n’en effectuaient que cinq cent cinquante, et ils ont voulu faire une homologation des tarifs. Nous avons protesté avec vigueur et nous mettons au défi les colporteurs intéressés de certains racontars de prouver que nous ne sommes pas intervenus énergiquement pour que les prix ne soient augmentés en aucun cas. Nous nous sommes heurtés à un refus formel de revenir sur les décisions prises » (L’Auvergnat de Paris, 6 juin 1914).



La délivrance des billets : montrer patte blanche


L’accès aux trains Bonnet est subordonné à l’achat de billets aller et retour dont le nombre, rappelons-le, est strictement limité à l’offre des places assises. L’obligation de réunir un minimum de voyageurs pour qu’un train soit mis en marche (500 sur la ligne de Bort, 600 sur la ligne de Rodez, pour une limite supérieure théorique respective de 1 000 et 1 200 personnes) conduit à délivrer les titres de transport suffisamment tôt afin de laisser le temps aux compagnies de composer les rames en fonction des besoins.


Bonnet ayant obtenu l’exclusivité de la vente des billets de ses trains, c’est à son domicile, siège des bureaux de L’Auvergnat de Paris, au 13, boulevard Beaumarchais que s’opère originellement celle-ci. Elle y est assurée par un agent du PO, qui aidé par son épouse et son fils Louis, tient une permanence temporaire de 3 à 5 heures de l’après-midi. Les billets des premiers trains pour Neussargues et Rodez des mardi 21 et 28 juin 1904 sont mis en vente du lundi au samedi de la semaine précédant leur départ. Pour les trains suivant des 19 et 20 juillet, Bonnet craignant une affluence accrue, « l’époque étant plus propice pour les voyages », décide de satisfaire en priorité les lecteurs de son journal et les membres de la Ligue auvergnate, en leur offrant la possibilité de réserver leurs places dès le 4 juillet, soit une semaine avant la date d’ouverture de la vente, sous la forme d’une simple « demande d’inscription » dont il sera tenu compte pour les servir en premier (L’Auvergnat de Paris, 3 juillet 1904).



Gare de Rodez.
Gare de Rodez.

En 1905, consécutivement aux incidents du 4 août qui ont émaillés la vente des billets du train du 4 août 1904 pour Clermont-Ferrand, Bonnet, en butte aux de plaintes des éconduits, exige que les réservations soient désormais accompagnées d’un engagement ferme : « Les inscriptions à l’avance et par lettre ayant entraîné, l’an dernier, des inconvénients et quelques mécomptes, nous avons décidé de n’en plus recevoir. Ceux de nos compatriotes et clients qui voudront recevoir un billet n’auront qu’à nous en expédier le montant, en y joignant le prix d’une lettre recommandée pour la réponse » (L’Auvergnat de Paris, 9 avril 1905). Pour couvrir les frais, il leur est demandé la somme de 50 centimes pour un billet, de 25 centimes pour chacun des autres billets[6].


La période de réservation des billets est étendue à deux semaines, la « distribution générale » n’intervenant qu’une semaine avant le départ des trains. Ainsi pour celui du 21 juin à destination de Neussargues : « … cinq ou six jours avant la mise en marche du train, nous mettrons à la disposition de tout le monde les billets qui nous resteront, mais nous espérons qu’il ne nous en restera que fort peu » (L’Auvergnat de Paris, 28 mai 1905). Une autre mesure a pour objet d’étendre la plage horaire de la permanence assurée par l’employé du PO les jours de distribution générale au 13, boulevard Beaumarchais : « : « Sur ce que les heures de distribution n’étaient pas suffisantes et provoquaient un encombrement journalier, dont nous-même, d’ailleurs, avions subi les principaux désagréments, il sera paré à cet inconvénients par une distribution durant toute la journée, c’est-à-dire de neuf heures du matin à six heures du soir » (L’Auvergnatde Paris, 21 mai 1905).



Une Agence de voyages indépendante pour plus de clarté

En 1906, à la suite de la protestation de plusieurs locataires, le propriétaire du 13, boulevard Beaumarchais, informe Bonnet qu’il ne l’autorise plus à transformer ses bureaux « en gare ouverte au public ». Toutefois, l’affluence se produisant surtout l’après-midi, il accepte que ceux-ci continuent temporairement à distribuer les billets le matin de 9 h à midi, même le dimanche. Les après-midi (sauf le dimanche), la clientèle est donc invitée à se rendre au bureau de placement de la Mutuelle cantalienne, sis au 53, boulevard Beaumarchais, « c’est-à-dire tout à fait à côté de chez nous », ouvert de 2 à 6 heures (L’Auvergnat de Paris, 8 juillet 1906). Un mot ici sur la Mutuelle cantalienne. Créée à l’automne 1904, cette société de retraites et de placement, était installée depuis le 3 janvier 1905 au 11, rue de Rome, à proximité de la gare Saint-Lazare. C’est à la demande de Bonnet – qui l’avait convaincue de se muer en « mutuelle auvergnate » sous la raison sociale de Mutuelle cantalienne et des départements limitrophes – que ses bureaux se sont déplacés, le 12 février 1906, boulevard Beaumarchais, « en plein centre auvergnat », contre la promesse de la prise en charge du loyer. Avec pour contrepartie, comme indiqué plus haut, l’autorisation d’héberger un local affecté à la vente des billets, en appui à celui maintenu au siège du journal. Une autre clause de la transaction a été l’extension à tous les adhérents de la Mutuelle cantalienne des avantages des trains Bonnet.


En novembre 1906, Bonnet fait part à ses lecteurs que la Ligue auvergnate, abritée jusqu’alors dans les bureaux de L’Auvergnat de Paris, allait bientôt disposer de ses propres locaux. Elle pourra ainsi, dit-il, mettre en œuvre les « services » promis lors de sa constitution et jamais concrétisés, à commencer par un bureau de placement « général et gratuit pour tous, qu’ils fassent ou non partie d’une de nos sociétés » (entendez auvergnates). Il s’agissait pour Bonnet de lutter contre les officines payantes qui, bien qu’officiellement interdites, s’étaient reconstituées sous des formes différentes, voire contre les sociétés d’entraide qui, à l’exemple de la Mutuelle cantalienne, réclamaient un droit d’inscription. Ouvert le 26 novembre 1906, le siège de la Ligue auvergnate occupe, au 64 du boulevard Beaumarchais, « une vaste et confortable boutique » prise en location par Bonnet (L’Auvergnat de Paris, 18 novembre 1906). Outre le bureau de placement, le local abrite une librairie (livres, cartes postales) et l’« Agence de voyage » à qui incombe désormais la distribution de l’ensemble des billets des trains Bonnet. En vertu d’une convention passée avec le PO, l’agence fonctionne désormais comme bureau de ville de cette compagnie et délivre également, à ce titre, « tous les divers billets » en usage sur son réseau, du billet simple ordinaire au billet de voyages circulaires. Elle limite cependant son périmètre aux voyages ou excursions en Auvergne. Elle est ouverte tous les jours de 9 h à 11 h le matin et de 2 à 6 h le soir, le dimanche le matin seulement (L’Auvergnat de Paris, 28 avril/26 mai 1907).


Les raisons de cette agence ? Bonnet nous en révèle le secret en 1913 dans un édito titré « Chaque chose à sa place » qui fait le point sur ses activités passées et à venir au sortir de sérieux problèmes de santé : « Les Trains-Bonnet, qui sont dus à mon initiative, constituaient, depuis longtemps déjà, une administration absolument distincte du journal ; au début, lorsque je les ai obtenus, non sans peine, les billets étaient distribués au bureau du journal, par ma femme, par mes enfants, par mes divers collaborateurs qui leur venaient en aide ; ce travail, nous le faisions pour rien ; si des erreurs de caisse se produisaient, nous les réparions de nos derniers. Ces trains s’étant multipliés, les voyageurs ayant quintuplé, décuplé, ne pouvant plus les recevoir dans nos bureaux, nous avons demandé aux compagnies de nous décharger du soin et de la responsabilité de la distribution des billets ; une agence a été créée au numéro 64 du boulevard Beaumarchais ; elle a été agréée par les compagnies , qui l’ont aidée à couvrir ses frais de location et d’employés. Cette agence fonctionne, depuis plusieurs années, sous la direction de M. Bonnet fils ; elle vient d’être transférée au numéro 26 de la rue de La Cerisaie, près de la place de la Bastille et du boulevard Henri-IV, et elle a pris pour titre : Office du Tourisme en Auvergne. M. Louis Bonnet fils la dirigera toujours, mais elle reste indépendante du journal, qui se contente de lui faire la publicité nécessaire » (L’Auvergnat de Paris, 29 mars 1913).


Par cet édito, Bonnet continue aussi de répondre aux accusations d’enrichissement par prélèvement d’une dîme sur chaque billet vendu qui n’ont cessé de l’assaillir les années précédentes, et dont il s’est déjà vigoureusement défendu, en 1912 notamment : « Ce n’est que, lorsqu’au bout de quelques campagnes, mon propriétaire, sur la plainte des autres locataires, incommodés par l’affluence de nos clients, m’eût envoyé du papier timbré et m’eût menacé d’une expulsion sans délai, et que je fusse moi-même décidé à prendre en location, au numéro 64 du boulevard Beaumarchais, un magasin que je transformai en agence, qu’il fut question d’une indemnité à recevoir de la Compagnie. Nos compatriotes ont le sens pratique très aiguisé : admettraient-t-ils que j’eusse loué un magasin, que je l’eusse agencé, que j’y eusse installé des employés, le tout à mes seuls frais, afin d’y placer des billets de chemin de fer au bénéfice d’une Compagnie à qui nous versons, chaque année, plus d’un million de recettes et qui aurait tout laissé à ma charge ? Non ; cela eût été injuste, inadmissible, sot. La Compagnie me verse une indemnité avec laquelle je puis payer local et employés. » (L’Auvergnat de Paris, 23 mars 1912). Il en est de même, poursuit-t-il, de la publicité faite régulièrement par son journal pour les trains Bonnet : « Est-ce que mon fermier d’annonces, qui perçoit une somme d’argent pour toute annonce qu’il insère pour la vente d’un fonds ou d’une propriété, pour faire connaître une marque ou un produit, devrait abandonner gratuitement une ou plusieurs de ses colonnes à la réclame de Compagnies dont notre publicité même assure les recettes ? » (L’Auvergnat, 23 mars 1912).



Une montée en gamme : l’Office du tourisme en Auvergne


Ce sont ces mêmes jalousies qui, en 1912, conduisent Bonnet à transporter l’agence à une autre adresse sur le fait qu’elle présentait, aux yeux des malveillants, le tort de fonctionner dans les locaux de la Ligue auvergnate : « Cet inconvénient, explique-t-il, nous allons l’éviter, le supprimer. L’Agence des Trains-Bonnet abandonne son installation du numéro 64 du boulevard Beaumarchais. Elle prendra d’autres locaux ; elle se fondra dans un office du Tourisme en Auvergne ; elle ne pourra plus être considérée comme une succursale ou une annexe d’un journal quelconque. Ainsi, je l’espère, les évaluations aussi malveillantes que fantastiques qui me faisaient prélever sur chaque carte de voyage des gains formidables, s’évanouiront ; on se convaincra que jamais le prix des billets n’a été majoré chez nous, et il ne viendra à l’idée de personne de chicaner l’office du tourisme en Auvergne : on ne discutera pas plus cette organisation qu’on ne discute l’Agence Cook ou l’Agence Duchemin ; et chacun continuera à bénéficier des réductions que nous avons obtenues, sans se troubler la cervelle en calculs vains et sots » (L’Auvergnat de Paris, 17 août 1912).


Aménagés au 26 de la rue de La Cerisaie, les bureaux de l’Office du tourisme en Auvergne ouvrent le 3 novembre 1912. L’occasion pur Bonnet de rappeler que « comme les années précédentes, pendant les mois de novembre et de décembre, nos compatriotes trouveront, exposés dans les bureaux […] un grand choix d’articles de maroquinerie et de coutellerie pour les étrennes du jour de l’An » (L’Auvergnat de Paris, 2 novembre 1912).


On notera que sous cette appellation d’Office du tourisme en Auvergne, l’agence de voyages Bonnet organise depuis l’été 1912 des « excursions » de plusieurs jours en Auvergne (gîte et couvert compris), service inauguré par un circuit autour du Mont-Dore du 11 au 18 août.


En 1913, Bonnet fils se fend d’un article titré « Une Œuvre Nouvelle. Nos excursions », qui vise à expliquer les raisons de ce choix : « En dehors des milliers de "pays" qui utilisent nos trains pour se rendre en Auvergne et passer leurs vacances au milieu de leurs parents ou de leurs amis, il existe une catégorie de compatriotes qui ne peuvent profiter de notre organisation des trains à prix réduits, et cela pour des motifs très divers. Les uns, partis de bonne heure du pays natal, n’y ont plus de famille, presque plus de relations, et répugnent à loger à l’auberge ; d’autres, pour des raisons quelconques, n’ont pu réunir l’argent nécessaire pour faire bonne figure au pays, et, avec un sentiment de dignité fort naturel, ils préfèrent ne pas s’exposer à vivre chichement à côté de camarades plus chanceux. D’autres, encore, par suite de leurs occupations, ne peuvent s’absenter pendant plusieurs jours consécutifs, et en sont réduits à se contenter de la seule journée du dimanche pour se reposer de leur labeur quotidien. Pour tous ces compatriotes, non moins intéressants que ceux qui peuvent se payer le luxe d’un peu de loisir durant l’été, il appartenait à l’Auvergnat de Paris de créer une œuvre spéciale qui leur permit de se voir, de se réunir, de s’amuser, de parler ensemble du pays natal » (L’Auvergnat de Paris, 24 mai 1913). Dans cette optique, le nouvel Office du tourisme en Auvergne promeut une première « excursion exceptionnelle » d’un ou deux jours en Belgique (les dimanche et lundi du 22 et 23 juin) « par train spécial à marche rapide », en 2e ou 3e classes, avec pour points de chute Ostende (une journée), Ostende, Bruges et Gand (deux journées). Une seconde excursion, de trois jours, est proposée pour les fêtes de l’Assomption avec au programme Ostende, Bruges, Gand, Anvers et Bruxelles[7]. Ce 15 août toujours, les plus pressés ou les moins fortunés peuvent opter pour les bords de Seine, « splendide excursion champêtre » qui les conduira en bateau de Paris au Pecq, puis à pied (ou en tramway pour les moins courageux) jusqu’à Poissy à travers la forêt de Saint-Germain-en-Laye (piquenique), avec retour par la voie d’eau.


Du 15 au 18 octobre 1913, présidés par Joseph Thierry, ministre des Travaux publics, se tiennent à Paris, au Palais de la Sorbonne, les « Etats généraux du tourisme » réunissant, à quelque 2 500 délégués venus de toute la France. De cette manifestation, destinée à promouvoir le développement les activités touristiques, est née début 1914 une Fédération du tourisme national et international (association déclarée à la préfecture de Police de Paris le 10 janvier) ayant pour objet de « favoriser le développement du tourisme et des sports sous toutes leurs formes ». Domiciliée au 26 de la rue de La Cerisaie, elle a pour secrétaire général Louis Bonnet fils. Sous son égide, l’Office du tourisme en Auvergne organise de multiples excursions tant en France (Côte d’Azur, Savoie, Normandie, Bretagne) qu’à l’étranger (Belgique, Hollande, Suisse).


Des itinéraires dédiés pour des trains directs


Les trains Bonnet sur le PO (réduction de 40 %) et le Midi (tarif plein en complément de la réduction).
Les trains Bonnet sur le PO (réduction de 40 %) et le Midi (tarif plein en complément de la réduction).

Le PO avait initialement prévu d’acheminer les trains Bonnet par deux itinéraires dédiés n’imposant aucun changement aux voyageurs : l’un dirigé sur Neussargues via Orléans, Vierzon, Bourges, Montluçon, Eygurande, Bort, Mauriac, Aurillac ; l’autre sur Rodez via Orléans, Vierzon, Châteauroux, Limoges, Uzerche, Brive, Saint-Denis-sous-Martel, Figeac, Capdenac. Afin de renforcer la desserte de Neussargues, Bonnet obtient que l’itinéraire de Rodez soit complété par une antenne prenant son origine à Saint-Denis-près-Martel. Mesure aussitôt appliquée au train du 28 juin 1904 : « Au matin, à l’arrivée à Saint-Denis-près-Martel, plusieurs wagons d’arrière ont été détachés et dirigés sur la ligne d’Aurillac-Vic-Neussargues » (L’Auvergnat de Paris, 3 juillet 1904). Pour l’occasion, Bonnet a persuadé le PO de lui consentir deux cents billets de plus.


Un troisième itinéraire dédié est créé en 1908 suite à l’ouverture de la ligne de Bort à Neussargues par Riom-es-Montagnes. Il permet d’abréger le trajet Paris-Neussargues en évitant le long détour par Miécaze. Parvenus à Bort, les trains sont scindés en deux, une partie continuant sa route par l’ancien itinéraire, désormais limité à Vic-sur-Cère (nouveau terminus), l’autre partie étant directement acheminée sur Neussargues : « Jusqu’à aujourd’hui, la Compagnie d’Orléans ne pouvait desservir la gare de Neussargues qu’en faisant subir à ses voyageurs de longs détours par Limoges-Brive ou par Miécaze-Aurillac. On arrivait péniblement à Neussargues vers neuf heures du matin, alors que l’express de Béziers en était parti un peu avant huit heures. Les trains de la Compagnie du Midi ne correspondant plus avec les nôtres, on les attendait jusque vers midi, pour arriver à Saint-Flour à midi et demi, jusqu’à quatre heures pour arriver à cinq heures à Saint-Chély ou à Aumont, où on devait parfois coucher. Maintenant, il n’en sera plus ainsi. La voie bifurquera à Bort ; et, en vertu de cette vérité géométrique qu’un côté d’un triangle est toujours plus court que les deux autres, la partie du train Bonnet qui se dirigera sur Neussargues y arrivera aussi tôt qu’arrivera à Aurillac la partie du train qui se dirigera vers cette ville. Nos voyageurs parviendront à Neussargues à six heures cinquante-deux exactement, avant l’express de Paris-Béziers » (L’Auvergnat de Paris, 4 avril 1908). Le premier des trains directs à utiliser ce nouvel itinéraire est mis en marche le 14 mai. Ceux-ci permettent d’attraper l’express de Béziers et d’atteindre Saint-Flour à 7 h 53, Saint-Chély à 8 h 43, etc.


Un quatrième itinéraire dédié voit le jour en 1910. Il emprunte la ligne de Lapeyrouse à Volvic (point de rencontre avec la ligne de d’Eygurande à Clermont-Ferrand), livrée à l’exploitation par l’achèvement, à l’automne de l’année précédente, du célèbre viaduc des Fades. Le retard pris par sa construction avait compromis l’ambition de Bonnet, annoncée dès la fin 1908, d’y faire circuler des trains directs de Paris à Clermont-Ferrand via Montluçon : « A partir de cette date [le 1er juillet 1909, jour prévu initialement pour son inauguration], nous prendrons des voyageurs à destination de Clermont-Ferrand pour le prix de vingt-trois francs, aller et retour ; nos trains arriveront très rapidement à Clermont ; ils tiendront, dans cette direction, le record de vitesse. Ainsi, nos amis du Puy-de-Dôme n’auront rien perdu pour avoir si longtemps attendu. Désormais, ils seront tout aussi favorisés que leurs voisins des autres départements du Massif Central » (L’auvergnat de Paris, 26 décembre 1908). Ce n’était que partie remise. Bonnet obtient du PO, non sans « quelque peine », la mise en marche de cinq trains pour 1910 (le 12 juillet pour le premier) : expédiés à 7 h 20 le soir, ils arrivent à Clermont à 3 h 45 le matin, « c’est-à-dire à temps pour que les voyageurs puissent prendre tous les trains [PLM] qui partent de bon matin dans la direction de Thiers, d’Ambert, d’Arlanc, d’Issoire, du Breuil, de Brioude et du Puy » (L’Auvergnat de Paris, 13 août 1910). Cette desserte est supprimée en 1912 suite à la décision du PLM de renforcer l’offre des trains Bonnet autorisés à circuler sur son réseau.


On notera qu’en 1904, les trains empruntant deux itinéraires dédiés en direction de Rodez pour l’un, de Neussargues pour l’autre, ne desservent pas toutes les gares : pour le premier, arrêts à Saint-Denis-près-Martel, Figeac puis à toutes les gares de Capdenac à Rodez, avec cette précision d’importance : « Avec les trains express, on change à Capdenac, mais pas avec les nôtres » (L’Auvergnat de Paris, 4 juin 1904) ; pour le second, arrêts à toutes les gares de Bort à Miécaze et de Miécaze à Neussargues. Les gares de l’antenne de Saint-Denis près-Martel à Miécaze sont également toutes desservies.


En 1905, l’arrêt est observé à Brive et à Eygurande, et à toutes les gares entre Eygurande et Bort.


En 1906, l’arrêt est marqué, en amont de Figeac, à Gramat et à Assier. Inversement, les gares comprises entre Eygurande et Bort et entre Saignes et Mauriac ne sont plus directement desservies, à charge pour les voyageurs à destination de ces gares d’attendre à Eygurande et à Saignes le passage des omnibus trains du service régulier du PO. : « … les trains, qui passeront par Montluçon, gagneront au moins trois heures par la suppression des arrêts à diverses gares, pur lesquelles nous n’avions placé, l’an dernier, qu’un nombre infime de billets ; ils arriveront aux gares de Murat et de Neussargues vers neuf heures du matin et permettrons aux voyageurs, pour l’arrondissement de Murat et celui de Saint-Flour, de prendre les diverses correspondances » (L’Auvergnat de Paris, 8 avril 1906). L’arrivée à Neussargues est fixée à 9 h 14 du matin contre 11 h 10 précédemment.



Gare de Figeac.
Gare de Figeac.

En 1907, l’arrêt est étendu, à la gare de Giat (en amont d’Eygurande) et à toutes celles comprises entre Uzerche et Brive. Sont également directement desservies toutes les gares entre Brive et Figeac.


En 1910, c’est au tour de toutes les gares entre Auzances et Eygurande d’être élues.


Attention cependant, bien que situées sur les itinéraires dédiés, toutes les gares ne sont pas directement desservies par les trains expédiés depuis Paris. Ainsi, en 1909, les voyageurs pour les gares comprises entre Giat et Eygurande (exclu), les voyageurs changent à Montluçon pour prendre le premier omnibus régulier disponible. Il en est de même de ceux à destination des gares comprises entre Eygurande, Bort et Vendes (inclus), invités à descendre Eygurande, et ceux à destination des gares comprises entre Brive et Saint-Denis-les-Martel (exclu) invités à descendre à Brive.



Lignes éligibles au tarif réduit et billets combinés


Afin d’irriguer au maximum le territoire desservi par les trains des itinéraires dédiés, Bonnet convainc le PO d’étendre l’éligibilité des billets à tarif réduit à certaines lignes en correspondance. Outre la réduction, les voyageurs n’avaient plus à se rendre au guichet de la gare de bifurcation pour prendre un second billet, récupérer leurs bagages et les faire de nouveau enregistrer pour leur destination finale. La première ligne à en profiter a été, dès 1904, celle de Viescamp-sous-Jallès à Figeac via Maurs (tant au départ de Viescamp pour la correspondance des trains en provenance de Bort qu’au départ de Figeac pour celles des trains en provenance de Brive[8]).Ont suivi, en 1906, les lignes de Miécaze à Saint-Denis-près-Martel[9], d’Eygurande aux Rosiers-d’Égletons (inclus) et l’antenne de Viviez à Decazeville ; en 1907, les lignes de Brive à Cahors par Souillac et Gourdon et d’Eygurande à Clermont-Ferrand avec antenne de Laqueuille au Mont-Dore ; en 1908, les lignes Brive aux Rosiers-d’Égletons (exclu), de Capdenac à Cahors, de Capdenac à Lexos et l’antenne d’Ussel à Sornac-Saint-Rémy ; en 1910, de la ligne de Volvic à Lapeyrouse ; en 1911, des lignes à voie étroite de Uzerche à Treignac et d’Uzerche à Tulle et à Argentat ; en 1912, de Meymac à Bugeat. Parmi les bénéficiaires, apparait aussi la ligne de Brive à Lubersac, dont on ignore la date de l’ajout mais qui est évoquée en 1911 lorsqu’il est décidé que les voyageurs pour cette destination, qui devaient attendre à Brive leur correspondance plusieurs heures, pourraient désormais descendre à Limoges et passer par Saint-Yrieix.



Gare de Capdenac.
Gare de Capdenac.

Les voyageurs désireux de poursuivre leur route au-delà des limites du réseau du Paris-Orléans en empruntant les lignes du Midi étaient contraints, aux gares de Rodez et de Neussargues, terminus des trains Bonnet, d’y acquérir un nouveau billet, au risque de louper leur correspondance. Pour remédier à ce désagrément le PO accepte de s’entendre avec le Midi pour l’établissement de billets directs portant la réduction de 40 % sur le réseau du PO et le tarif plein sur celui du Midi. Ces billets permettent aux voyageurs des trains Bonnet non seulement d’attraper leur correspondance en toute quiétude, mais aussi de n’avoir pas à se soucier de leurs bagages automatiquement enregistrés pour la gare de leur destination finale.


Des billets directs sont ainsi établis en 1908 : pour les gares des lignes du Midi de Rodez à Tournemire (par Séverac et Millau) et de Neussargues à Séverac (par Saint-Flour, Aumont-Aubrac, Marvejols, et Le Monastier). La mesure est étendue en 1909 aux gares de la ligne de Tournemire à Saint-Affrique, et en 1911 à celles de la ligne de Rodez à Carmaux.


Des accords identiques sont passés en 1905 avec le PLM pour les voyageurs des trains Bonnet poursuivant leur route sur le réseau du PO (omnibus d’Arvant à Neussargues) ou du Midi (express d’Arvant à Neussargues, Saint-Flour, Aumont-Aubrac), ou encore sur son propre réseau (à partir de Brioude, terminus des trains Bonnet).


Le PLM, oui aux trains Bonnet mais sans plus

Les trains Bonnet sur le PLM. Les voyageurs des trains éligibles se voyaient remettre des billets combinant la réduction de 40 % (gares comprises entre Saint-Germain-des-Fossés et Brioude), le tarif plein du PLM, voire du Midi.
Les trains Bonnet sur le PLM. Les voyageurs des trains éligibles se voyaient remettre des billets combinant la réduction de 40 % (gares comprises entre Saint-Germain-des-Fossés et Brioude), le tarif plein du PLM, voire du Midi.

Approché le 27 mars 1904, le PLM se dit prêt à collaborer. Il y met cependant trois conditions :

  • que la réduction soit limitée à 40 % (Bonnet réclamait 50 %) ;

  • que le PO et le Midi acceptent qu’il lui soit permis de délivrer des billets directs pour les gares situées sur leur réseau respectif, étant entendu que la réduction ne s’appliquerait que sur le sien ;

  • que la tarification obéisse pour plus de commodité et de clarté à une logique de « zones » (tarif identique pour l’ensemble des gares situées dans un même espace géographique) par opposition à la tarification kilométrique adoptée par le PO.

Prudent, il limite cependant son offre à un seul train. Programmé pour le jeudi 4 août, il est appelé à circuler entre Paris (départ à 6 h 20 le soir) et Arvant (arrivée à 5 h le matin) via Saint-Germain-les-Fossés, Gannat, Riom, Clermont-Ferrand, Coudes-Saint-Nectaire et Issoire. L’arrivée matinale à Arvant conditionne la correspondance avec l’omnibus ordinaire du PO pour Neussargues et celle avec l’express du Midi à destination de Saint-Flour, Saint-Chély et Aumont-Aubrac. Le train prend des voyageurs pour toutes les gares situées entre Saint-Germain-des-Fossés (exclu) et Arvant[10]. Cependant, l’obligation qui lui est faite d’arriver tôt à Arvant fait que l’arrêt n’est pas assuré dans toutes les gares. Les voyageurs sont donc invités à descendre dans la gare desservie la plus proche pour y attendre le premier omnibus ordinaire. Les candidats au voyage bénéficient des mêmes avantages que ceux du PO : voitures de 2e et 3e classes, réduction uniforme de 40 %, séjour de trois mois, 30 kg de bagages, retour au gré du voyageur par les trains du service ordinaire.

Les billets sont délivrés, là encore, au siège de L’Auvergnat de Paris, au 13 boulevard Beaumarchais, par un employé du PLM présent les après-midis précédant le départ de 1 heure à 3 h 30. Le fait qu’un seul train ait été programmé provoque un afflux incontrôlé de personnes lors de la mise en vente des premiers billets le 25 juillet. Une décision incompréhensible dénoncée par Bonnet lors de la mise en marche de ce premier et unique train : « Le train de la compagnie de Lyon fut long comme un boulevard ; on n’en voyait pas la fin. Et, cependant, si cette compagnie l’avait voulu, elle aurait pu en faire partir, le même soir, deux ou peut-être trois semblables. Les voyageurs étaient ébahis ; mais les employés de la compagnie l’étaient bien davantage ; il n’avait jamais rien vu de pareil » (L’Auvergnat de Paris, 7 août 1904).


Pour 1905, le PLM promet deux trains. Bonnet en espérait trois. Les interventions auprès du directeur de la compagnie, Gustave Noblemaire, d’élus du Cantal – les sénateurs Eugène Lintilhac et Clément Monestier et le député Pierre Hugon – lui permet d’en obtenir quatre (18 juillet, 1er, 4 et 8 août). A l’exemple du PO, le PLM supprime la deuxième classe et adhère à la carte nominative en lieu et place du billet au porteur. Bonnet obtient que le terminus des trains bénéficiant de la réduction de 40 % soit reporté d’Arvant à Brioude. Des billets directs sont disponibles pour les voyageurs qui, descendus à Arvant, entendent poursuivre leur chemin jusqu’à Neussargues (ligne PO), Saint-Flour, Ruines, Saint-Chély et Aumont-Aubrac (ligne Midi). Afin d’éviter que les incidents de l’année précédente se renouvèlent, le PLM se charge de la vente des billets qu’il confie à l’un de ses bureaux urbains (au 64, rue Tiquetonne) comme il le fait pour les trains des Savoyards. Bonnet encourage cependant ses compatriotes à passer par lui pour réserver leurs places ; il s’engage à communiquer les demandes au PLM et à leur remettre les billets huit jours avant le départ du train choisi. A l’issue de la saison, encourageante aux yeux de Bonnet, le PLM émet des doutes quant à la reconduction en 1906 du train du mois de juillet en raison de bénéfices insuffisants. Bonnet l’accuse alors d’être responsable de cette situation pour avoir voulu assurer lui-même la publicité des trains en question, source de dépenses inutiles et inefficaces.


A l’aube de la saison de 1906, le PLM n’annonce qu’un seul train fixé au 16 juillet et exige qu’il emporte au moins 900 voyageurs pour que l’attribution de trains supplémentaires puisse être envisagé. Celui-ci ayant été plébiscité par plus de 1 000 personnes, trois autres sont programmés (26 juillet, 2 et 9 août). A la demande de Bonnet, ces trains prennent cette année des voyageurs pour Thiers (correspondance à Clermont), Ambert (correspondances à Clermont et Pont-de-Dore), Le Puy (correspondance à Saint-Georges-d’Aurac), Langogne, et toutes les gares intermédiaires (pour ces destinations, les cartes ne sont délivrées que pour l’aller). Par précaution, les voyageurs qui envisagent de poursuivre leur route au-delà d’Aumont-Aubrac (limite de validité des billets directs) sont invités à n’acquérir au départ de Paris qu’un billet pour Arvant : « A cette gare, ils auront un arrêt suffisant pour prendre un billet [au tarif plein] pour leur gare de destination et pour faire, au besoin, enregistrer leurs bagages. Ils risqueraient, à la gare terminus d’Aumont, de n’avoir pas le temps nécessaire » (L’Auvergnat de Paris, 15 juillet 1906).


En 1907, Bonnet réclame six trains, le PLM ne lui en accorde que quatre (15 et 25 juillet, 4 et 8 août). Si ceux du mois de juillet n’atteignent pas le quota demandé (porté à 1 000 voyageurs), les trains du mois d’août remplissent largement le contrat.

En 1908, le PLM n’octroie que trois trains (23 juillet, 4 et 7 août), limités à Brioude. Il supprime par ailleurs les billets directs à destination de Neussargues, Saint-Flour, Saint-Chély et Aumont-Aubrac, devenus inutiles depuis l’ouverture de la ligne PO de Bort à Neussargues qui permet désormais d’attraper l’express du Midi se dirigeant sur Saint-Flour et ses au-delàs sans passer par Arvant. La distribution des billets est de nouveau confiée à Bonnet.


En 1908 toujours, Charles Dupuy, sénateur de la Haute-Loire et ancien président du Conseil des ministres demande au PLM que les trains spéciaux à destination de Brioude « soient sectionnés à Saint-Germain-des-Fossés pour continuer partie sur Brioude et partie sur Thiers, Ambert, Arlanc et le Puy ». En vain : « La réalisation de cette mesure, répond la compagnie, aurait, il est vrai, pour avantage de réduire quelque peu la durée du trajet des voyageurs à destination des au-delàs de Clermont dans la direction du Puy et de leur éviter, d’autre part, un changement de train à Clermont ; mais elle serait par trop dispendieuse pour notre compagnie, étant donnée la réduction du tarif dont bénéficient ces voyageurs » (L’Auvergnat de Paris, 27 juin 1908). Le PLM rejette aussi la demande de Bonnet de repousser le terminus des trains à tarif réduit de Brioude à Saint-Georges d’Aurac.


En 1909, le PLM refuse une nouvelle fois l’idée d’une desserte de la ligne Thiers-Ambert-Le Puy tout en laissant entendre qu’il pourrait l’envisager en 1910. Malgré ses efforts, Bonnet n’obtient encore que trois trains (27 juillet, 4 et 10 août).


En 1910, le PLM accorde quatre trains (18, 22 et 27 juillet, 9 août), prolongés pour une part de Brioude à Saint-Flour (ligne PLM ouverte en juin), pour une autre de Brioude à La Bastide-Saint-Laurent-les-Bains (avec desserte du Puy via Saint-Georges-d’Aurac). Mais leur départ tardif depuis Paris (11 h 05 du soir) se traduit par l’impossibilité d’attraper les correspondances du matin au grand dam des voyageurs. Autre sujet de discorde, le refus réitéré du PLM d’assurer la desserte de Thiers et ses au-delàs. Bonnet exprime son mécontentement : « Je crois qu’il sera difficile de faire revenir la Compagnie de Lyon sur sa décision. Elle s’imagine, tout à fait à tort à notre avis, que les voyageurs qui prennent des billets pour les trains spéciaux à tarif réduit partiraient quand même, en payant le tarif plein, et qu’elle subit un préjudice certains en organisant les trains que nous lui demandons. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas compter qu’elle nous accordera des trains plus nombreux que précédemment. Les Compagnies sont maîtresses chez elles. » Faute d’obtenir gain de cause, il soumet l’idée d’un retour aux billets directs depuis Clermont-Ferrand (atteint depuis Paris-Austerlitz en 1909 par la ligne PO Montluçon-Lapeyrouse-Volvic-Clermont) jusqu’à Thiers, Ambert, Arlanc, Issoire, Brioude, Le Puy : « Il s’agirait donc tout simplement d’obtenir que la Compagnie de Lyon nous permît de délivrer des billets sur les gares de son réseau. Sans doute, sur son parcours, elle exigerait le plein tarif ; mais nos voyageurs profiteraient toujours bien de l’économie réalisée sur le voyage de Paris à Clermont ; et ce serait-là un résultat très appréciable. La Compagnie de Lyon ne veut pas organiser des trains nombreux à tarif réduit dont profiterait notre colonie : c’est son droit ; mais elle aurait mauvaise grâce en ne permettant pas à une autre Compagnie ce qu’elle se refuse à essayer elle-même » (L’Auvergnat de Paris, 13 août 1910). Sans réponse, Bonnet revient sur sa proposition : « La Compagnie de Lyon voudra-t-elle, comme le fait le Midi sur la ligne de Neussargues, Saint-Flour, Saint-Geniez et sur celle de Rodez, Séverac, Millau, Saint-Affrique, nous accorder des billets à tarifs complets permettant à nos voyageurs d’atteindre leur gare de destination sans avoir à prendre un nouveau billet à la gare où ils changent de Compagnie, soit à Clermont ? Nous adresserons au Paris-Lyon une demande à cet effet ; mais au cas, improbable cependant, ou nous n’obtiendrons pas satisfaction, nous aurions toujours la possibilité de faire enregistrer pour leur gare de destination les bagages de nos voyageurs. Ainsi, ne pouvant délivrer à un voyageur qu’un billet pour Clermont, nous avons le droit de faire enregistrer ses bagages jusqu’à Thiers, Ambert, Arlanc, Issoire, Le Breuil, Brioude, Saint-Georges d’Aurac, le Puy, Langogne, etc. Le voyageur, arrivant à Clermont à quatre heures moins le quart [du matin], dispose de tout le temps nécessaire pour prendre un nouveau billet pour la gare où il se rend exactement » (L’Auvergnat de Paris, 3 septembre 1910).


Pour 1911, le PLM annonce s’en tenir à quatre trains (19 et 25 juillet, les 4 et 10 août). Cependant, début juillet, Bonnet fait part à ses lecteurs d’un changement d’attitude de la compagnie : « Aujourd’hui, le PLM est animé de meilleurs sentiments à l’égard de notre colonie ; il nous en a informé, et nous l’en remercions. A la suite d’un accord que nous a proposé le PLM, et que nous avons été heureux d’accepter, notre colonie pourra, à l’avenir, mettre en marche, sur la Compagnie de Lyon, tous les trains qu’elle désirera, à la condition toutefois – et cette condition nous est, du reste, imposée aussi par l’Orléans – qu’ils contiennent un minimum de cinq cents voyageurs. » (L’Auvergnat de Paris, 8 juillet 1911).


Bien que la saison soit déjà bien avancée, Bonnet pense pouvoir fournir un nombre suffisant de voyageurs pour obtenir deux ou trois autres trains vers la fin août et le commencement de septembre. Un appel à candidatures est lancé. Mais le résultat n’est pas à la hauteur de l’attente : « … on criait et tonitruait beaucoup contre la Compagnie PLM lorsqu’elle ne voulait pas nous donner des trains, admoneste Bonnet, et voici que maintenant où elle consent à nous en donner, la Colonie, au lieu de se montrer reconnaissante et satisfait, paraît ne pas entendre les appels qui lui sont adressés. Nous demandions des inscriptions pour deux trains fin août, pour un autre, peut-être, en septembre […]. Nous attendions mille à quinze cents adhésions ; nous n’en avons pas reçu cent. Nous prévenons, très sérieusement, nos compatriotes, que, si dans le courant de cette semaine, ils ne sortent pas de leur indifférence et ne font pas preuve d’une complaisance plus active, nous n’insisterons plus auprès de la Compagnie pour le départ des trains de fin août et du commencement de septembre, que nous savions pouvoir obtenir » (L’Auvergnat de Paris, 22 juillet 1911). En dépit d’un nombre insuffisant d’adhésions, le PLM accepte de donner satisfaction à Bonnet et lui accorde deux trains supplémentaires (22 et 31 août) : « Comme les précédents, ces trains se dirigeront sur Clermont, Issoire, le Breuil, Arvant, Brioude et Saint-Flour ; ils prendront des voyageurs sur la direction du Puy et sur celle de Mende, par Langeac, Langogne et La Bastide ; ils en prendront aussi sur Ruines, Saint-Chély et Aumont. Mais, nous avons obtenu, de la Compagnie, un avantage très important et sur lequel nous appelons l’attention de nos nombreux lecteurs des arrondissements de Thiers et d’Ambert : les trains des 22 et 31 août prendront des voyageurs pour la ligne de Thiers et pour la ligne d’Ambert-Arlanc ». Dernière précision : les trains seront exclusivement formés de wagons couloirs bogie » (L’Auvergnat, 5 août 1911).


En 1912, le PLM programme six trains (18 et 25 juillet ; 7, 13, 20 et 29 août). Un moment envisagé, l’éventualité d’un septième train pour septembre est abandonnée faute d’adhésions suffisantes. Nouveauté, la deuxième classe refait son apparition.


En 1913, l’offre est encore de six trains (18, 23, 28 juillet ; 3, 7, 18 août), de même qu’en 1914 (17, 21 et 29 juillet ; 5, 7 et 18 août).



Des trains toujours plus nombreux


La diminution du nombre des circulations à partir de 1912 est liée à la suppression des « trains de retour » établis en 1907.
La diminution du nombre des circulations à partir de 1912 est liée à la suppression des « trains de retour » établis en 1907.

Le 3 avril 1904, Bonnet informe ses lecteurs des détails du programme arrêté trois jours plus tôt avec le directeur de l’Exploitation du PO. Deux trains sont d’ores et déjà programmés, mais, à son idée, il est raisonnable d’en espérer cinq à six. En définitive, dix trains sont mis en marche cette première année : deux en juin (les 21 et 28), deux en juillet (les 19 et 20), six en août (les 2, 3, 4, 10, 19 et 23). Les dates des trains des mois de juillet et des deux premiers trains du mois d’août ont été arrêtées après la tenue d’un « référendum » auprès des lecteurs de L’Auvergnat de Paris. Ceux des 10, 19 et 23 août ont été ajoutés ultérieurement pour répondre à la demande.


Le nombre des trains mis en marche en avec le concours du PO ne cesse de se renforcer au cours des années. Leur nombre passe ainsi du simple au double par l’introduction en 1907, aux côtés de ceux expédiés depuis Paris, des trains dits « d’Auvergne » ou « de retour » qui permettent au PO de rapatrier en soirée sur Paris, à bon compte, les rames arrivées au pays le matin même. Nous reviendrons plus loin sur leur création.


Si les périodes les plus chargées sont, par ordre d’importance, les mois d’août et de juillet, dans une moindre mesure de septembre et de juin, une minorité de trains circulent en dehors des mois d’été. Les uns, liés aux grandes fêtes religieuses, sont institués : à partir de 1906 pour l’Ascension (22 mai), en 1909 pour Pâques (5 et 6 avril avec retour les 6 et 7) et pour Noël (15 décembre au départ du pays – pour permettre la participation au grand banquet annuel de la Ligue auvergnate du 19 – et 22 décembre au départ de Paris)[11]. D’autres, proposés en octobre 1910 et 1911, répondent au vœu des Auvergnats de Paris de regagner le pays pour participer aux vendanges.

Le calendrier des mises en marche est arrêté de concert avec le PO en début d’année. Cependant, lorsque les trains programmés sont dans l’incapacité d’absorber tous les candidats au départ, Bonnet n’hésite pas à réclamer à la compagnie la création de trains supplémentaires, ce que celle-ci accepte généralement pour peu que la demande soit exprimée dans un délai acceptable et le quota de voyageurs exigé soit atteint. Reconnaissons à notre homme un certain culot : « A l’Orléans, rapporte-t-il en août 1905, où l’on vivait encore sous l’heureuse impression du succès remporté l’an dernier, sans autre réclame que celle de l’Auvergnat de Paris, sans la moindre dépense de publicité, on m’avait un peu laissé carte blanche et donné à entendre que l’on s’en rapporterait à moi sur le nombre de trains à former. Mais lorsque, à son retour d’Amérique, M. le directeur de l’Exploitation apprit que, en son absence, j’avais commandé dix trains pour le mois d’août, dont huit pour les onze premiers jours, il m’envoya un de ses collaborateurs pour me prier de renoncer à cette entreprise de folle témérité et me proposa de ne pas me tenir compte des engagements que, selon lui, j’avais pris à la légère, si je voulais consentir à réduire le nombre de ces nouveaux trains. Je tins bon ; j’exigeai mes dix trains. L’événement me donna raison ; grâce à mes trains d’août, encore des milliers et des milliers d’Auvergnats seront allés goûter en Auvergne un repos mérité » (L’Auvergnat de Paris, 13 août 1905).


La demande est parfois si forte que la compagnie est contrainte de dédoubler en urgence les trains au départ : en août 1910, pas moins de 7 trains sont ainsi dédoublés et expédiés de façon à se suivre de près (départs à 6 h 32 et à 6 h 55 du soir).


En 1906, Bonnet ne peut s’empêcher de mettre en exergue la supériorité de son organisation comparée à celle des trains Chautemps : « Les trains-Bonnet par l’Orléans, pour les Auvergnats et les Limousins, présentent encore plus d’avantages que les trains-Chautemps pour les Savoyards. En effet, la colonie auvergnate étant, de beaucoup, la plus nombreuses de Paris, on a pu organiser beaucoup plus de trains-Bonnet que de trains-Chautemps. L’an dernier, vingt-trois trains-Bonnet furent mis en marche, dont dix-neuf sur l’Orléans ; il en partira trois ou quatre, peut-être cinq, de plus cette année. Au lieu d’être mis en marche, comme les trains-Chautemps, dans un court intervalle de temps, quinze ou vingt jours, ils sont échelonnés sur une durée de plus de trois mois ; il en part chaque semaine au moins un pendant les mois de juin, juillet et août (fin juillet et commencement d’août, ils sont plus fréquents) ; cette année ils ont commencé le 22 mai et ils ne se termineront que vers le milieu de septembre » (L’Auvergnat de Paris, 10 juin 1906).


La réduction de 40 % exige des contreparties. Les trains Bonnet sont ainsi calés en semaine, avec une prédominance pour les mardi, mercredi et jeudi. De plus, ils roulent la nuit, les départs depuis la gare d’Austerlitz ayant lieu en début de soirée : 9 h 00 (1904), 7 h 40 (1905), 7 h 20 (1906), 7 h 17 (1907-1908), 6 h 55 (1909-1913).


Ne marquant aucun arrêt intermédiaire sur leur trajet d’approche, sauf ceux exigés pour le changement de locomotives, les trains Bonnet marchent rapidement, avec, pour les voyageurs, la certitude « de n’être pas dérangés, pendant la nuit, par l’arrivée de nouveaux venus dans leur compartiment » (L’Auvergnat de Paris, 5 mai 1907). En 1904, ils partent une heure après le train express régulier et arrivent « immédiatement après lui aux gares de destination » (L’Auvergnat de Paris, 10 juillet 1904. Cette option a pour conséquence, outre un départ tardif, d’être tributaire de la marche de l’express qui, à l’approche du pays, fait souvent tampon. En 1905, il est donc décidé de faire partir les trains Bonnet avant le train express : « Sur beaucoup de points de détail, le service sera amélioré. Les trains partiront plus tôt, mais ils arriveront aussi à destination, bien avant les express qu’ils devanceront, alors que l’an dernier, ils étaient gênés par eux » (L’Auvergnat de Paris, 26 mars 1905).


A leur descente de quelques-unes des gares les plus importantes, les voyageurs des trains Bonnet peuvent compter sur des services d’autobus, généralement renforcés pour répondre à la demande. Les besoins sont évalués en amont en fonction des billets que l’agence Bonnet propose à la vente, quelques-uns accompagnés d’importantes ristournes. En 1914, L’Auvergnat de Paris cite pour mémoire les services de Neussargues-Laguiole, Neussargues-Lieutadès-Cantoin, Neussargues-Chaudes-Aigues-Lacalm, Neussargues-Pierrefort, Saint-Flour-Saint-Urcize, Saint-Flour-Chaudes-Aigues-Laguiole, Saint-Flour-Pierrefort, Aurillac-Montsalvy-Entraygues-Saint-Aman-des-Cots et Cassuéjouls, Aurillac-Raulhac-Mur-de-Barrez-Sainte-Geneviève et Cassuéjouls, Espalion-Saint-Chély-Aubrac.


Combien de voyageurs transportés ? L’auvergnat de Paris ne donne jamais de chiffres globaux, sauf pour 1904 où il estime les noms des voyageurs portés sur un registre à près de 12 000. Toutefois si l’on se bases sur l’information publiée par ce dernier en 1908 – « Nos conventions avec la Compagnie d’Orléans stipulent que nos trains doivent contenir un minimum de cinq cents voyageurs par train. Ce minimum a été, chaque fois, dépassé. Bien que nous ne puissions, dès aujourd’hui, avoir en mains le chiffre tout à fait exact de nos voyageurs, nous pouvons évaluer leur nombre à peu près de neuf cents par train » (L’Auvergnat de Paris, 26 septembre 1908) –, on peut estimer que cette année-là il a été transporté quelque 60 000 personnes (67 trains) et en 1910 près de 100 000 autres (année record avec 111 trains).


En 1909, L’Auvergnat de Paris souligne la bonne santé des trains Bonnet : « Les journaux ont publié, ces jours derniers, une statistique du trafic -voyageurs de toutes les compagnies françaises pendant l’été dernier ; cette statistique accuse un déficit général, qu’explique, du reste, très justement, la température désagréable et pluvieuse de l’été de cette année. Trains de bains de mer, trains de montagne, trains de stations thermales, trains de vacances ou d’excursions ont marqué un diminution très sensible sur les périodes correspondantes des années précédentes. Les trains-Bonnet constituent l’heureuse exception qui confirme les règles. Notre excédent de recettes sur l’année 1908 se chiffre par cent-six mille francs, environ trois mille cinq six-cents voyageurs en plus. Ce résultat, qui est en même temps un extraordinaire succès, nous cause une satisfaction et nous encourage aussi. Lorsque nous avons créé nos trains, nous avions vu juste : nous connaissions nos émigrants patriotes et nous savions que, seule, la cherté des voyages les empêchait de partir, en masse, chaque été, vers le pays natal. Dès que nous avons pu obtenir, pour eux des prix réduits, ils ont pris rapidement le goût et l’habitude des voyages ; pour un qui partait autrefois, vingt partent aujourd’hui. Aux émigrants, nous avons procuré santé et distraction ; à l’agriculture, pendant les mois où elle en a besoin, nous avons envoyé des bras ; nous avons aussi, et plus que quiconque, apporté la fortune au pays natal ; c’est plus de dix millions de francs qu’y laissent chaque année, nos voyageurs » (L’Auvergnat de Paris, 2 octobre 1909). La même constatation revient en 1912.



La suppression de la 2e classe


En 1905, le PO la suppression de la 2e classe. Bonnet approuve l’initiative et s’en explique : « La compagnie nous a demandé de supprimer les billets de deuxième classe ; elle nous a donné de son désir une raison qui nous a paru excellente : très peu de billets de seconde, en moyenne cinq ou six par train, ont été pris l’été dernier ; or, pour loger ces cinq ou six voyageurs, il faut ajouter au train une voiture qui en contient soixante-dix ; puisque, l’an dernier, nous avons dû refuser des voyageurs à presque tous les trains, ne vaut-il pas mieux supprimer les secondes et donner satisfaction, à chaque train, à soixante-dix voyageurs de troisième ? Du reste, nos trains sont surtout organisés pour les compatriotes qui désirent voyager à bon marché » (L’Auvergnat de Paris, 26 mars 1905).


En 1912, des voix s’élèvent pour réclamer le retour de la 2e classe. Bonnet fils intervient auprès du PO qui, au printemps de 1913, se dit prêt à répondre favorablement à leur revendication. Il y met cependant une condition : que le nombre de postulant à la 2e classe pour chaque train soit au minimum de quarante. Il précise, par ailleurs, que les billets de 2e classe seront majorés de 50 % sur toutes les destinations. Exemples, le billet pour Aurillac passera de 31,30 F en 3e classe à 46,60 F en 2e classe ; celui pour Rodez de 35,20 F à 52,50 F. De qui refroidir les tenants de la 2e classe, invités à se manifester par écrit auprès du journal. Le constat de Bonnet fils est sans appel : « … après deux appels faits à leur bonne volonté, nous sommes obligés de constater qu’ils se désintéressent beaucoup plus que nous de la réforme qui semblait tant leur tenir à cœur. Nous avons reçu exactement trois lettres à ce sujet, représentant un total de huit adhésions » (L’Auvergnat de Paris, 17 mai 1913).


A défaut de 1er classe, les voyageurs disposent depuis 1910 de « wagons-couloirs », progressivement substituées aux traditionnelles voitures à compartiments fermés et portières latérales. Cette disposition est inaugurée le 9 juin, limitée dans un premier temps aux trains dirigés sur Vic-sur-Cère et Neussargues via Eygurande. Elle est étendue le 12 avril 1911 aux convois expédiés sur Rodez via Brive. Une révolution saluée comme il se doit par les usagers : « … maintenant, répétaient-t-ils, grâce aux trains Bonnet, nous pouvons nous payer des vacances en Auvergne à très bon compte, et, cependant, nous voyageons plus rapidement et plus confortablement que ceux qui, autrefois, étaient obligés de prendre des premières classes » (L’Auvergnat de Paris, 8 juillet 1911).



Les Trains d’Auvergne dits « de retour » : du pays vers la capitale


A la mi-août 1906, Bonnet publie dans L’Auvergnat de Paris la lettre qu’il vient d’adresser à Eugène Lintilhac, sénateur et président du Conseil général du Cantal, pour lui fait part d’une importante amélioration qu’il vient d’obtenir du PO : « Nous avions organisé des trains pour amener nos Parisiens en Auvergne, commodément, à bon marché, plus rapidement que les express ordinaires ; il fallait compléter notre œuvre en procurant des avantages identiques aux Auvergnats d’Auvergne que leurs affaires, leur travail, le désir d’embrasser leurs enfants inciteraient à un voyage à Paris. C’est chose faite. A partir de l’an prochain – et l’expérience sera probablement tentée en septembre pour la rentrée des classes – les Auvergnats d’Auvergne auront leurs trains rapides et à bon marché tout comme les Auvergnats de Paris, et dans les mêmes proportions. Vous comprendrez tous le bénéfice que tireront de ce va-et-vient fréquent le pays natal et sa colonie parisienne » (L’Auvergnat de Paris, 19 août 1906).


Las, deux semaines plus tard, le PO fait savoir que le délai entre l’annonce du projet et sa réalisation est trop court pour envisager une mise en route du train promis avant 1907. En compensation, il propose l’organisation, pour le 13 septembre, d’un « train spécial de retour » au départ de Rodez (6 h du soir) et d’Aurillac (8 h23) avec jonction des deux tranches à Saint-Denis-près-Martel (10 h 54) et arrivée à Paris via Brive à 8 h 21 du matin. Les voyageurs en provenance de Neussargues sont invités à prendre l’omnibus régulier 1011 (départ à 5 h12) jusqu’à Aurillac) et ceux en provenance de La Capelle-Viescamp l’omnibus régulier 1039 (départ à 6 h35) jusqu’à Figeac. Ce train, précise le PO, exclut les villégiateurs de la ligne de Miécaze à Bort et à Eygurande, et n’est accessible qu’aux personnes ayant emprunté un train Bonnet pour rejoindre l’Auvergne.



Gare de Bort.
Gare de Bort.

Bonnet fait contre mauvaise fortune, bon cœur : « Mais, commente-t-il, les voyageurs qui prendront le train aux gares […] indiquées, réaliseront un double avantage, celui de marcher plus vite que les camarades qui seront montés dans les express ordinaires et celui encore que nous allons leur indiquer et qui leur paraîtra à la fois original et inédit […]. Les compatriotes venus en Auvergne par les trains Bonnet, et qui voudront profiter de notre train de retour pour revenir à Paris, ne feront pas que bénéficier, gratuitement, de la rapidité de notre train ; ils toucheront à la seule vue de leur billet, à leur gare d’embarquement, une remise en argent que leur délivrera, aimablement et la bouche en cœur, le gracieux chef de ladite gare. Ça ne se sera jamais vu […]. Ils ne paieront plus pour revenir à Paris ; c’est eux que l’on paiera » (L’Auvergnat de Paris, 2 septembre 1906). La remise en argent se traduit par une réduction supplémentaire de 10 %, soit 3, 20 F pour les porteurs de billets de la 3e zone, 3, 50 F pour ceux de la 4e zone et 3,70 F pour ceux de la 5e zone.


On remarquera que, programmé le 13 septembre, le train spécial prend le relai de celui parti la veille de Paris à destination de Neussargues (via Saint-Denis-près-Martel) et de Rodez. Il est évident que le PO a trouvé là une solution avantageuse au rapatriement des matériels entrant dans la composition des trains Bonnet à l’aller, lesquels remontaient jusqu’alors à vide sur la capitale. Avec pour autre corollaire de diminuer l’encombrement des trains express réguliers.


En fait, ce train, dit « de retour », sert de plateforme aux futurs « trains d’Auvergne pour Paris » dont le nombre programmé pour 1907 est de 27, soit le même que celui des trains dirigés de Paris sur la province expédiés la veille. Mais s’ils offrent les mêmes avantages que les trains Paris-province, les trains d’Auvergne – rapidement renommés trains de retour – sont soumis à deux restrictions : un, les bénéficiaires de ces billets ne peuvent prétendre au retour emprunter un des trains Bonnet Paris-province : « Les voyageurs qui sont venus d’Auvergne à Paris n’ont droit à aucune prime [maintenue pour les voyageurs isolés]. Ils n’ont même pas droit de prendre les trains Bonnet, qui, à leur départ de Paris sont toujours au complet. Néanmoins et exceptionnellement, les voyageurs d’Auvergne à Paris, qui accompagneraient des personnes de leur famille, notamment des enfants, pour un voyage en Auvergne, pourraient être admis dans un train Bonnet d’aller, mais à la condition expresse de s’être fait délivrer une autorisation spéciale au siège de notre agence, 64 boulevard Beaumarchais » (L’Auvergnat de Paris, 2 juin 1907) ; deux, il n’est pas établi de billets directs de retour au départ des gares situées au-delà de Neussargues et de Rodez.


Les billets sont en vente tant au 64 du boulevard Beaumarchais que dans chacune des gares desservies.



Gare de Saint-Denis-Martel.
Gare de Saint-Denis-Martel.

Pendant du train Paris-Neussargues-Rodez du 15 mai 1907, le premier train d’Auvergne du 16 est annoncé à 1 h 35 de l’après-midi au départ de Neussargues, à 3 h 53 au départ de Rodez, avec réunion des deux tranches à 8 h 01 au passage à Saint-Denis-près-Martel et une arrivée à Paris à 5 h 48 du matin. Commentaire de Bonnet : « Le train de retour (…) avait amené, le vendredi matin, une quantité considérable de compatriotes à la gare. En effet, c’étaient les vieux parents qui arrivaient, dont beaucoup n’avaient jamais vu Paris ; et leurs enfants étaient venus les attendre avec une émotion et une joie bien compréhensibles. Tous se félicitaient du voyage » (L’Auvergnat de Paris, 19 mai 1907).


Pendant du train Paris-Bort-Neussargues du 5 juin, le premier train d’Auvergne du 6 est annoncé à 12 h 55 au départ de Neussargues, à 7 h 17 au départ de Bort, à 9 h au départ d’Eygurande, avec une arrivée à Paris à 5 h 51 du matin. Ce train est autorisé à prendre à Viescamp-sous-Jallès (via Maurs) et à Miécaze (via Saint-Denis-près-Martel) les voyageurs acheminés par omnibus du service régulier depuis Figeac (départ 11 h 09 du matin), et à Eygurande ceux venus depuis Clermont (départ 3 h 30 de l’après-midi) et le Mont-Dore (départ 3 h 42).


La formule des trains d’Auvergne à Paris semble promise à un bel avenir : « Jusqu’ici, le succès des trains de retour a dépassé les prévisions, même les plus optimistes » (L’Auvergnat de Paris, 9 juin 1907).


L’ouverture en 1908 de la ligne de Bort à Neussargues se traduit par de nouveaux horaires. Les trains de retour au départ de Rodez (3 h 53 de l’après-midi) et de Vic-sur-Cère (3 h 25) font leur jonction à Saint-Denis-près-Martel (départ 8 h 03) pour une arrivée à Paris à 5 h 48 du matin. Ceux au départ de Neussargues (5 h 35) et de Vic-Sur-Cère/Mauriac (3 h 25) font leur jonction à Bort (départ 8 h 13) pour une arrivée à Paris à 5 h 51 le matin.



Gare de Vic-sur-Cère.
Gare de Vic-sur-Cère.

Cette même année, cependant, le PO fait remarquer que les voyageurs de la réduction supplémentaire de 10 % empruntent le plus souvent encore les express ordinaires pour rejoindre la capitale au terme de leur séjour. Ce qui conduit Bonnet à leur rappeler l’autre avantage qu’il y a de les emprunter : « Nous conseillons vivement à nos voyageurs de les prendre. Ces trains sont, en effet, les plus agréables qu’on puisse imaginer : ils marchent au moins aussi rapidement que les express et sont peu encombrés ; cela se comprend du reste : ils comportent le nombre de wagons suffisants qu’il leur fallait la veille pour amener environ douze cents voyageurs et, au retour, ils en prennent beaucoup moins, quelquefois deux cents à peine ; c’est dire que chacun peut posséder une banquette et quelquefois un compartiment à lui tout seul » (L’Auvergnat de Paris, 8 août 1908).


Après enquête, la vraie raison de cette désaffection est mise à jour : « La Compagnie et nous-même avons donc dû rechercher la cause de cet insuccès relatif, et nous avons constaté qu’il provenait de ce que les divers courriers [autobus] qui correspondent aux gares du réseau n’y arrivaient presque jamais à temps pour que les voyageurs puissent prendre les trains-Bonnet qui, jusqu’ici, partaient quelques heures avant les express ordinaires. Dans ces conditions la Compagnie a décidé de retarder les heures de départ de nos trains de retour d’Auvergne à Paris, sur la direction d’Eygurande, et de les faire partir quelques minutes après les express » (L’Auvergnatde Paris, 29 août 1908). Les horaires modifiés en conséquence, entrent en vigueur le 2 septembre : départ de Vic-sur-Cère à 5 h 44 du soir, de Neussargues à 7 h 40, de Bort après jonction à 10 h 14, d’Eygurande à 11 h 22 pour une arrivée à Paris à 6 h 14 du matin. En 1909, après un nouvel ajustement, il est dit que ce train « part de Neussargues une heure après l’express et arrive à Paris une heure avant l’express » (L’Auvergnat de Paris, 20 mars 1909).


Un autre grief est l’attitude de certains chefs de gare qui refusent d’appliquer la réduction de 10 %. Scandalisé, Bonnet incite les victimes à déposer plainte : « Quand un chef de gare, comme celui de M…, par exemple, prétend qu’il n’a pas à s’occuper, ni des avis contenus dans l’Auvergnat de Paris, ni des affiches apposées dans les gares par les soins de la Compagnie, il ne faut pas hésiter à nous le signaler. Certains chefs de gare, en effet, peu nombreux il est vrai, ne dissimulent pas leur fureur contre le succès de nos trains, qui se multipliant chaque année, leur donnent certainement plus de travail : mais la Compagnie, nous le savons, frappera sévèrement ceux de ses agents dont elle connaitra la mauvaise volonté ou simplement le manque de complaisance » (L’Auvergnat, 5 septembre 1908).


Si l’on excepte la réticence des « Parisiens » à reprendre le chemin de la capitale par les trains de retour, ceux-ci restent, semble-t-il, très prisés des gens du cru pressés de monter à Paris : « … les trains de retour de mardi et de mercredi [des 6 et 7 avril 1909], surtout celui de mardi, ont amené à Paris de très nombreux compatriotes d’Auvergne. Le spectacle de leur arrivée à la gare d’Orléans-Austerlitz était tout à fait pittoresque : la plupart apportaient de gros paquets, des paniers, des provisions, quelques-uns des poulets, oies, dindons et autres volatiles vivants ; ils trouvaient difficilement leurs enfants, leurs parents, qui étaient venus les attendre, mais qu’on avait empêché de pénétrer sur les quais, par crainte d’encombrement. Les trains d’Auvergne à Paris, pour le mois de mai, promettent aussi d’être complets » (L’Auvergnat de Paris, 10 avril 1909).


Une autre raison qui pourrait expliquer la faveur des Auvergnats rentrant à Paris pour les trains réguliers est la possibilité qui leur est donnée en 1909 de descendre à la gare d’Orsay : « Un grand nombre de nos compatriotes nous avaient demandé d’obtenir pour eux de débarquer au quai d’Orsay, et non à Austerlitz. Cette autorisation leur sera accordée ; mais, à leur gare de départ d’Auvergne, ils auront à payer un petit supplément de trente centimes par place. Ainsi la Compagnie donne satisfaction à tous nos voyageurs du centre et de l’ouest de Paris, ainsi qu’à bon nombre de ceux de la banlieue » (L’Auvergnat de Paris, 27 février 1909). La mesure est étendue l’année suivante aux Auvergnats rentrant au pays par les trains réguliers.


Au printemps 1911, coup de tonnerre : « Nous avons une désagréable nouvelle à apprendre à nos amis : la Compagnie a décidé de supprimer jusqu’à nouvel ordre les trains d’Auvergne à Paris. Néanmoins, M. Louis Bonnet a obtenu que, par exception, les trains soient maintenus pour le mois d’avril. Il y aura donc deux trains qui viendront d’Auvergne à Paris le 12 et le 13 avril » (L’Auvergnat de Paris, 11 mars 1911). Deux autres lui sont attribués pour les fêtes de la Pentecôte, les 2 et 3 juin. Mais si la réduction supplémentaire de 10 % pour les ayants droit est maintenue, la validité des billets d’Auvergne est ramenée de trois à quinze jours pour les trains d’avril et à un mois pour ceux de juin. Toutefois, revenant sur sa décision, sans plus d’explications que pour celle ayant conduit à leur suppression, les trains de retour sont restaurés à partir du 24 juillet et ce jusqu’au 4 octobre en réponse au dernier train de la saison parti de Paris la veille. Un train d’Auvergne à Paris est encore mis en marche le 15 décembre à l’occasion du traditionnel banquet annuel de la Ligue auvergnate.


En 1912 et 1913, le nombre des trains de retour est drastiquement réduit (il est ramené à 6 en 1912 contre 40 en 1911). Ceux maintenus correspondent pour la plupart aux fêtes religieuses et aux manifestations du 14 juillet. De plus, les billets ne peuvent plus être achetés en province mais uniquement aux guichets de l’agence parisienne.



La publicité et l’Indicateur Bonnet


Louis Bonnet avait obtenu l’exclusivité de la promotion de ses trains. Elle faisait l’objet d’une rubrique spéciale en une de L’Auvergnat de Paris.
Louis Bonnet avait obtenu l’exclusivité de la promotion de ses trains. Elle faisait l’objet d’une rubrique spéciale en une de L’Auvergnat de Paris.

Outre le monopole de la distribution des billets, Bonnet obtient, dès 1904, celui de pouvoir lui-même assurer la promotion de ses trains, dans un premier temps à titre grâcieux, puis à partir de 1906 moyennant une indemnité de la part du PO et du PLM. C’est ainsi que la une de L’Auvergnat de Paris publie régulièrement, sous la têtière « Les Trains Bonnet », tous les renseignements utiles aux voyageurs : dates des départs, itinéraires, horaires, prix et délivrance des billets, heures d’ouverture des bureaux, et., ainsi que toutes les informations ponctuelles utiles.


En 1905, le PLM croit devoir faire lui-même la promotion des trains Bonnet appelés à circuler sur son réseau. Aussi, lorsque la compagnie lui refuse la mise en marche d’un quatrième train prétextant un manque de rentabilité en dépit du succès rencontré par les trois premiers, Bonnet est persuadé que la raison est plutôt à rechercher dans les frais d’une publicité qui ne s’imposait pas : « … on peut se demander pourquoi la Compagnie a eu recours, cet été, à une publicité supplémentaire et superflue et pourquoi elle a fait couvrir Paris d’affiches inutiles, plutôt nuisibles mêmes, et qui lui ont coûté fort cher ? Elle pouvait fort bien s’épargner des dépenses qui ont d’autant diminués ses bénéfices. L’Orléans a agi plus prudemment ; on n’y a pas hasardé un sou de dépense, on n’y a pas payé une ligne de publicité, on n’y a pas fait poser une affiche, on s’est contenté de recevoir de nos mains les voyageurs à qui nous avions, dans nos bureaux, délivré des billets, ainsi que le montant de ces billets. Donc tout bénéfice » (L’Auvergnat de Paris, 10 septembre 1905).


En 1908, croulant sous les demandes de précisions touchant notamment les horaires et les tarifs, Bonnet décide la création d’un « indicateur ». Prévu pour être inséré dans les pages du journal, sa publication est repoussée d’une année[12]. L’annonce aux lecteurs en est faite en mars 1909 : « A la demande d’un grand nombre de nos compatriotes, nous allons éditer un indicateur des Trains Bonnet, qui contiendra tous les renseignements pouvant intéresser un voyageur : arrivée des trains aux diverses gares ; heure de départ, à chaque gare, des trains de retour ; correspondances, droits et devoirs de chaque voyageur, commodités pour les touristes et excursionnistes, etc. Ce guide ou indicateur sera vendu au siège social de la Ligue auvergnate et dans les bibliothèques de gares, au prix de 50 centimes. Il contiendra aussi des annonces au prix de 30 francs la page, de 20 francs la demi-page et de cinq francs seulement pour les hôtels, cafés, restaurants, maisons de location qui désirent se faire recommander. Nous estimons que les hôteliers de tout le Massif Central trouveront de sérieux avantages à cette publicité. – S’adresser pour traiter, à la Ligue auvergnate, 64 boulevard Beaumarchais, jusqu’au 15 mars » (L’Auvergnat de Paris, 6 mars 1909). En 1912, un message incitatif envers les hôteliers fait mention d’un tirage à 20 000 exemplaires.


La première édition est mise en vente le 20 mars 1909, spécialement pour les départs de Pâques. Elle est disponible à l’agence au prix de 0,50 F ou envoyés à domicile moyennant 0,70 F franco. Une deuxième édition est publiée le 20 avril, concernant, cette fois-ci, les départs des mois de mai, juin, juillet, août et septembre. La norme de deux tirages annuels est retenue pour les années suivantes, un en mars-avril (offre de mai à juin), un autre en juin (offre de juillet à septembre).


En 1911, l’indicateur innove : « On y trouvera, en outre, des renseignements sur tous les billets d’excursion et de famille, que nous tiendrons à la disposition de nos clients. Nous y avons enfin réservé une large place pour des vues photographiques, accompagnées de notices sur les principaux sites de notre grand Massif central » (L’Auvergnat de Paris, 18 mars 1911).

Bagages, retardataires et cabrettaïres


Chaque billet Bonnet donne droit à 30 kg de bagages. A l’occasion du tout premier train du 21 juin 1904, il est spécifié qu’il y aura « un guichet spécial » ou l’ « on pourra faire enregistrer ses bagages avant le départ du train » (L’Auvergnat de Paris, 19 juin 1904). Pour son unique train du 4 août 1904, le PLM impose d’enregistrer les bagages la veille du départ ou le jour du départ avant midi (L’Auvergnat de Paris, 24 juillet 1904). Suivant son exemple, et « pour éviter tout encombrement ou retard », le PO conseille aux voyageurs des train du 10 et 19 août de faire enregistrer leurs bagages au mieux la veille du départ, au pire dans l’après-midi précédant le départ (L’Auvergnat de Paris, 7 août 1904). Il faut attendre 1907 pour que le PO s’aligne entièrement sur le PLM : « Un tel encombrement s’est produit pour l’enregistrement des bagages, à nos derniers trains, que M. le chef de gare d’Orléans-Austerlitz est obligé de prévenir nos compatriotes qu’ils devront absolument faire enregistrer leurs bagages la veille du départ du train ou au moins avant midi le jour du départ. Les bagages apportés après cette heure ne pourraient trouver place dans notre train spécial » (L’Auvergnat de Paris, 7 juillet 1907). Les voyageurs sont avertis : Les bagages remis après 12 h le jour du départ ne seront acceptés qu’au tarif de la messagerie.


En 1909, un accord est passé avec l’Agence Duchemin : « Les voyageurs des trains Bonnet auront le droit de se faire inscrire, en prenant leurs billets, pour que leurs bagages soient enlevés à domicile. Ils réaliseront ainsi une économie de temps et même d’argent » (L’Auvergnat de Paris, 29 mai 1909). Les voyageurs des trains des 3 et 10 juin sont les premiers à pouvoir bénéficier de ce service. Limité à Paris (3 francs), il est étendu en 1910 aux communes de Levallois, Neuilly, Clichy et Saint-Ouen et en 1912 à celles de Saint-Mandé, Charenton et Vincennes jusqu’à la rue du Plateau (4 francs). Les bagages doivent être prêts à 8 h du matin la veille du départ. Leur nombre est strictement limité à trois colis par cellule familiale, « de quelque dimension et de quelque poids qu’ils soient ». Indispensables à l’enregistrement en gare, les billets sont confiés à la personne chargée de l’enlèvement contre reçu ; ils sont récupérés par leurs titulaires au moment du départ, au bureau des renseignements de la gare d’Austerlitz. Un service similaire est mis en place à partir du 25 août 1911 pour les voyageurs de retour d’Auvergne. Il leur suffit d’informer par écrit l’agence Bonnet du jour de leur arrivée à Paris.


Changement d’horaires au départ ou pas, les retardataires sont nombreux. Un constat qui oblige Bonnet à multiplier les mises en garde, comme en 1905 : « Plus de trente voyageurs ont manqué le train du 5 juillet. C’est à sept heures quarante, heure militaire, que partent nos trains par l’Orléans : à cause du départ de l’express qui les suit, ils ne peuvent subir une seule minute de retard » (L’Auvergnat de Paris, 9 juillet 1905), ou encore : « Mais pourquoi encore sommes-nous forcés d’adresser des reproches à quelques-uns de nos voyageurs ? Plus de cinquante, cette fois, sont arrivés en retard et ont manqué le train [du 8 septembre, le dernier de l’année]. Heureusement pour eux, nous avons pu obtenir qu’on les admette dans l’express » (L’Auvergnat, 10 septembre 1905). Un privilège révoqué en 1907 : « M. le chef de gare de Paris-Austerlitz prévient expressément les voyageurs qui arriveraient en retard au train, qu’il ne pourra pas les admettre dans l’express suivant. Leur carte sera donc perdue. Donc, que chacun sache bien que le train part exactement à sept heures dix-sept minutes, et qu’i faut se trouver à la gare à sept heures prière aussi de faire enregistrer les bagages à l’avance » (30 juin 1907).


Bonnet obtient du PO, dès 1904, qu’il accorde la gratuité à deux joueurs de cabrettes (instruments traditionnels auvergnats de la famille des cornemuses) chargés d’animer chacun de ses trains tout au long du trajet. La concurrence pour obtenir l’un des précieux sésames développe bientôt un climat délétère au sein des cabrettaïres, dont certains, une fois désignés, ne remplissent leur contrat qu’à minima. Des plaintes lui étant parvenues, la compagnie prononce en 1908 la suppression des « cartes de faveur » accordées jusqu’alors. Sollicitée par Bonnet, elle accepte cependant de revenir sur sa décision : « Ainsi que nous l’avons annoncé déjà, rappelle L’Auvergnat de Paris dans son édition du 6 février 1909, la Compagnie d’Orléans, à la suite d’abus qui avaient été commis et dont nous sommes bien obligés de constater aussi la fréquence et la gravité, avait résolu de supprimer purement et simplement les permis qu’elle accordaient généreusement aux Cabrettaïres pour accompagner les trains et pour leur faciliter à eux-mêmes un voyage de vacances en Auvergne. Après plusieurs démarches de M. Louis Bonnet, la Compagnie est revenue en partie sur sa décision. Elle donnera dix permis gratuits de voyage aux Cabrettaïres. » En contrepartie, elle entend que Bonnet prenne les mesures nécessaires pour remédier au problème.


Celui-ci a déjà prévu de régler l’affaire par l’organisation d’un grand concours de musette à l’issue duquel seraient élus les dix joueurs de musette devant bénéficier des largesses de la compagnie. « Ainsi, estime Bonnet, « il n’y aura […] pas de jaloux et toute fraude disparaîtra […] » (L’auvergnat de Paris, 19 décembre 1908). Le concours est fixé au 14 mars 1909 dans le cadre de la fête organisée par la Ligue auvergnate au profit de l’œuvre des Petits Parisiens en Auvergne. Le jour dit, trente cabrettaïres sont prêts à en découdre. Dans un premier temps, ceux-ci sont invités à désigner parmi eux les six membres du jury, dont un recevra d’office un des permis mis en jeu. Puis chacun est convié à exprimer son talent. Onze lauréats sont finalement retenus. Il ne semble pas, cependant, que le concours ait porté ses fruits à en croire l’entrefilet publié l’été venu : « Aux joueurs de musette – Les Compagnies ayant remarqué, l’an dernier, que les joueurs de musette à qui, sur notre demande, elles accordaient d’assez nombreux permis, négligeaient de jouer sur le quai de départ, décidèrent de leur retirer leurs faveurs. Sur notre intervention, elles revinrent en partie sur cette décision et la moitié, à peu près, des permis furent maintenus. Mais les joueurs de musette persistant, pour la plupart, dans leur mauvais vouloir, nous les prévenons que, l’an prochain, ils n’auront plus à compter sur les facilités de voyage dont ils étaient habitués à bénéficier. Tous ceux au moins dont la négligence a été notée, au cours de cet été, seront rayés de la liste des faveurs des Compagnies » (L’Auvergnat, 14 août 1909). Une chose est certaine, une nouvelle sélection se tient à l’occasion de la fête des Petits Parisiens en Auvergne du 13 mars 1910. Pour quel résultat ? Mystère.



La disparition de Louis Bonnet


Diminué par la maladie, Louis Bonnet décède à 57 ans le 12 avril 1913.


Né en 1856 à Aurillac, où son père, Louis (1827-1911), dirigeait Le Moniteur du Cantal, journal auquel il collabora dès 17 ans. Monté à Paris à 23 ans, il travailla pour plusieurs journaux avant de s’ériger en défenseur des Auvergnats de Paris, nombreux mais peu considérés. A cet effet, il créa en 1882 L’Auvergnat de Paris (hebdomadaire) et fonda en 1887 la Ligue auvergnate, union mutualiste qui réunit tous les Auvergnats et originaires des départements limitrophes de l’Auvergne « quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances » (elle s’interdit toute discussion politique ou religieuse). Admiré, il fut aussi la cible de nombreuses critiques visant l’orientation soi-disant mercantile de certaines de ses « œuvres » promues sous le couvert de la Ligue, notamment celle des trains Bonnet inaugurée en 1904. Parmi ses autres réalisations marquantes, il faut citer l’œuvre des Petits Parisiens en Auvergne laquelle, depuis 1907, permettait, à l’occasion des vacances, d’envoyer au pays des enfants qui, pour une somme modique, étaient accueillis au sein de familles s’étant portées volontaires.


Louis Bennet est inhumé le 17 au cimetière du Père Lachaise sous une pluie torrentielle, accompagné malgré tout depuis son domicile (il a refusé toute cérémonie religieuse) par une foule de quelque 15 000 patriotes. En tête du cortège, son épouse, son fils Louis (directeur de l’agence de voyages et successeur), sa fille Marcelle, son gendre (René Philippart, directeur de la publicité)[13] et Marcel Rey (nouveau directeur de la rédaction du journal). Fernand Brun, député du Cantal, et Charles Deloncle, député de la Seine, figurent parmi les personnalités invitées à prendre la parole.

Si la presse, petite et grande, rend compte comme il se dit à l’homme, c’est à l’écrivain et essayiste Camille Audigier (1867-1939)[14], originaire du Puy-de-Dôme, que l’on doit l’hommage le plus appuyé, rendu à l’occasion du premier anniversaire de sa mort : « … aussi ne tenterai-je pas de dire ici l’émotion qui dut les éteindre, lorsque les orateurs clamèrent sus la tempête le vocero [chant funèbre] de Luis Bonnet supprimant les distances et rejoignant par ses trains rapides notre province à la Capitale ; de Louis Bonnet infusant aux jeunes Parisiens anémiés, le sang généreux puisé dans l’air pur de nos montagnes ; de Louis Bonnet mutualiste averti, toujours avide de dévouement, toujours impatient de rendre service ; de Louis Bonnet polémiste passionné, styliste précis, orateur disert, causeur charmant, chroniqueur lettré, incisif, amusant, toujours aimablement spirituel, jamais volontairement méchant. » Audigier a également une pensée pour Louis Bonnet fils, que d’aucuns jugeaient inapte à poursuivre l’œuvre de son père, mais qui déploya « une souplesse, une vigueur, un talent que ses meilleurs amis n’auraient pas soupçonnés […]. Du jour au lendemain, directeur de L’Auvergnat de Paris, il se révéla journaliste et administrateur. Simple soldat le matin, grand chef le soir de la Ligue auvergnate » (L’Auvergnat de Paris, 11 avril 1914).


Les trains Cocula, à chacun son espace


Bien que déchu fin 1910 de son titre de délégué général des « Trains mutualistes », Cocula continua à affréter sous la même dénomination et à son compte des trains à prix réduits.
Bien que déchu fin 1910 de son titre de délégué général des « Trains mutualistes », Cocula continua à affréter sous la même dénomination et à son compte des trains à prix réduits.

Si les trains Bonnet à prix réduits règnent en maître en Auvergne, il en est d’autres qui irriguent tout le Sud-Ouest jusqu’aux Pyrénées : les trains Cocula. Mais loin d’être concurrents[15], les uns et les autres sont complémentaires. Les premiers contacts « professionnels » entre Louis Bonnet et Alphonse Cocula datent de 1907, année où ce dernier demande à son aîné d’intercéder auprès du PO afin que les gares de Gourdon, Souillac et Cahors (ligne de Brive à Cahors) soient éligibles aux billets Bonnet. Les rapports entre deux hommes ont toujours été cordiaux, Cocula ne manquant jamais de rappeler le rôle précurseur de Bonnet. L’entrefilet paru dans son journal Le Lot à Paris en 1911 à l’occasion du mariage de la fille de Bonnet reflète cette évidence : « Nous sommes d’autant plus heureux d’envoyer toute notre sympathie à M. Louis Bonnet, fondateur des Trains d’Auvergne, que nous nous sommes efforcés de suivre son généreux exemple en dotant le Sud-Ouest de trains à prix réduits semblables aux siens » (Le Lot à Paris, 26 mars 1911).

Il n’est pas inutile de retracer ici les débuts de l’entreprise Cocula et notamment ses déboires et rivalité avec les « Trains mutualistes » de l’Union des Sociétés du Sud-Ouest, une histoire où Bonnet père et fils ne sont pas tout à fait absents.

Le 29 mai 1907, se tient donc à Paris, à l’initiative de l’amicale « Lou Gorrit del Quercy » (Le Chêne du Quercy)[16], présidée par Alphonse Cocula, une réunion regroupant les représentants de sociétés régionales du Limousin, du Quercy, de la Gascogne, du Languedoc et des Pyrénées à l’effet de jeter « les bases d’une organisation ayant seulement pour but de faciliter à leurs sociétaires et à leurs familles des voyages collectifs au pays natal aux prix les plus réduits » (L’Eclair, 8 juin 1907).


Dans la foulée, L’Auvergnat de Paris informe ses lecteurs que, pour répondre à une demande des sociétés mutualistes du Lot « présentée par M. Cocula, président des Enfants du Gourdonnais, et appuyée par M. Louis Bonnet », son agence mettra en vente des cartes pour Souillac, Gourdon et Cahors (via Brive), cartes qui entreront en vigueur avec son train du 12 juin.


Le 11 août, Le Petit journal annonce que, la veille, plus de 700 mutualistes ont été transportés vers le Centre et le Sud-Ouest de la France par un train organisée conjointement par les sociétés Le Périgord (président Meynard) et Lou Gorrit del Quercy (président Cocula).


Le 29 juin 1908, Le Télégramme, journal de la démocratie du Midi, fait savoir que les « Sociétés philanthropiques du Sud-Ouest » proposent pour les 29 juillet, 13, 22 et 31 août des trains directs Paris-Montauban (trajet en onze heures) et le Midi. Les conditions faites aux voyageurs sont les mêmes que celles des trains Bonnet : 3e classe, tarif réduit (la réduction accordée par le PO est de 42 %, par le Midi de 20 %) ; 30 kg de bagages, départs collectifs et retours individuels, validité des billets 90 jours. Les personnes intéressées sont priées de s’adresser à A. Cocula fils au 61 de l’avenue du Maine.

Ces sociétés, regroupées depuis 1907, au sein de l’Union des Sociétés du Sud-Ouest, ont mandaté Cocula pour négocier avec le PO et le Midi en tant que délégué général des « Trains mutualistes ».

Le 29 avril 1910, La Dépêche de Toulouse souligne son action : « Un de nos compatriotes mutualistes, M. Cocula fils (233, boulevard Raspail, à Paris)[17] a eu l’ingénieuse idée – couronnée déjà d’un plein succès – de créer des « trains mutualistes » qui ont déjà emporté près de 4 000 Parisiens vers la petite patrie. Tout fait prévoir que ces trains seront utilisés cette année par 5 000 voyageurs. La réduction est de 45 % en troisième classe pour toutes les gares de la Dordogne, du Lot, du Tarn-et-Garonne, de l’Aveyron, du Tarn, de la Haute-Garonne, de l’Aude, de l’Hérault, des Hautes et Basses Pyrénées, des Landes, du Gers, du Lot-et-Garonne, de la Gironde. » Il annonce quatre trains en juillet, six en août et quatre en septembre.


En 27 octobre 1910, Cocula est convoqué devant les instances de l’Union des Sociétés du Sud-Ouest pour faire état des actions menées et des résultats obtenus depuis 1907. Profitant qu’il soit retenu chez lui pour raison médicale, une « minorité agissante » l’accuse « d’avoir d’une œuvre collective, voulu faire une œuvre personnelle » (Le Quercy à Paris, 22 janvier 1911). Également soupçonné de s’être fait nommer délégué général à l’insu d’une grande partie des membres de de l’Union, son mandat est remis en cause et une élection à bulletin secret est demandée. Par 7 voix contre 27, Cocula est écarté au profit trésorier du trésorier de l’Union, Casteix, des Montagnards pyrénéens.


Effrayé par les exigences financières du PO, notamment le dépôt d’une caution conséquente en son nom propre, Casteix démissionne rapidement, non sans avoir obtenu verbalement du PO sept trains pour 1911. Réuni en urgence, le bureau de l’Union propose le poste de délégué général à G. Rougier, directeur du Quercy à Paris, nomination entérinée le 17 janvier 1911 par l’Assemblée générale de l’Union. Honnête homme, Rougier déclare qu'il accepte « spontanément » la charge, estimant qu’il était de son devoir de ne pas laisser disparaître l’œuvre des Trains mutualistes. Et, à la différence de Casteix, consent à remplir sa mission « à ses risques et périls », refusant de surcroît toute rémunération et toute indemnité. En avril, son journal annonce officiellement la mise en marche de sept trains pour l’année (45 % de réduction), tout en regrettant que le PO n’ait tenu sa promesse d’une desserte directe de Bordeaux. Et précise : « L’œuvre des Trains mutualiste de l’Union des Sociétés du Sud-Ouest n’est pas une entreprise commerciale, mais une œuvre philanthropique de solidarité méridionale, dont les bénéfices doivent être intégralement appliqués à la collectivité des services de bienfaisance, d’aide et de protection mutuelles des Associations adhérentes » (Le Quercy à Paris, 23 avril 1911). Les billets sont délivrés à l’agence de l’Union au 50, rue des Mathurins.


Tout irait pour le mieux si Cocula, jugeant avoir été écarté illégalement, n’avait décidé, soutenu par une partie des Sociétés mutualistes du Sud-Ouest, de poursuivre son commerce et d’en faire la publicité à travers Le Lot à Paris, le journal qu’il vient de créer : « LE LOT À PARIS donnera "mois par mois", les dates des TRAINS MUTUALISTES. Ainsi, nos lecteurs seront tenus constamment au courant de cette organisation qui a rendu depuis 5 années de grands services à tous nos compatriotes habitant Paris et la région parisiennes » (Le Quercy à Paris, n° 1, 12 mars 1911). Ayant conservé ses entrées au PO, il obtient des trains directs pour Toulouse, Agen et Gaillac[18]. Les itinéraires suivis et les gares desservies sont exactement les mêmes que ceux des trains mutualistes de l’Union. Seuls diffèrent les dates et les horaires de départ.


Rougier réagit en s’adressant, au nom de l’Union, « à tous les Méridionaux ». Il met en garde ses compatriotes contre « certains personnages étrangers » qui cherchent « à amoindrir la portée morale » de l’œuvre des Trains mutualistes, qu’il réussit à maintenir à flot malgré « une concurrence effrénée et souvent déloyale » (Le Quercy à Paris, 11 juin 1911). Une réussite à laquelle l’Union associe le PO : « La Compagnie d’Orléans elle-même a tenu à bien faire les choses et a eu sa large part dans le succès de nos trains. La marche en a toujours été très rapide, les horaires parfaitement établis, et, pour la première fois, nos voyageurs ont eu la surprise d’avoir des trains uniquement composés de wagons-couloirs du modèle le plus moderne » (Le Quercy à Paris, 13 août 1911). Au point qu’elle charge Rougier de la remercier en son nom « pour cette bonne collaboration ». Grâce à l’obtention d’un train supplémentaire, celui-ci peut s’enorgueillir, à l’issue de cette première campagne d’avoir transporter quelque 4 000 compatriotes dans l’année : « On annonçait notre échec […]. Il a fallu déchanter. L’Union des sociétés existe, elle vient de démontrer sa vitalité et de quelle triomphale façon » (Le Quercy de Paris, 17 septembre 1911).


Mais il doit faire front aux critiques de plus en plus acerbes des Sociétés mutualistes restées fidèles à Cocula, celles-là même qui estiment, compte tenu de l’antériorité que son entreprise, « il n’y a aucune raison pour remplacer M. X…, par M. Y… » et qu’il est préférable de s’en tenir à une « organisation qui a déjà fait ses preuves » (Le Quercy à Paris, 3 décembre 1911). Rogier se défend. A l’organisation commerciale de son rival, il oppose l’œuvre « éminemment philanthropique » de l’Union et met en avant les bénéfices immédiatement versés à la caisse des « Petits enfants dans le Midi », œuvre nouvelle destinée à permettre aux gamins des compatriotes nécessiteux de séjourner au pays les mois d’été.

Au printemps 1912, Rougier lance un appel pressant à ses troupes : « Mettant rigoureusement à l’index toutes offres insidieuses d’agences de voyage[19], lesquelles tendent uniquement qu’à des bénéfices personnels, vous userez tous des SEULS Trains Mutualistes de l’Union, lesquels partiront cette année, comme d’habitude, en juillet, août et septembre » (Le Quercy à Paris, 17 mars 1912).


En mai, le PO lui accorde sept trains pour l’été, accessibles avec une réduction de 45 %. Bonne nouvelle, sauf que la compagnie en profite pour durcir ses conditions. En 1911, la fréquentation des trains autorisés, bien que célébrée par l’Union, a été inférieure aux quotas exigés : 3 455 voyageurs en tout, soit une moyenne de quelque 490 personnes par train. Le PO menace : en cas de résultats identiques dans les mois à venir, il exigera les indemnités portées au contrat, soit sur la base des chiffres de 1911 la somme de 12 983 F. Ce qui reviendrait à ponctionner l’intégralité de la caution de 10 000 F versée par Rougier à titre personnel, et plus encore. Inconcevable pour celui-ci qui, rappelons-le, ne perçoit ni revenu ni subvention pour le travail fourni. Partageant son indignation, le président de l’Union, Louis Julia, convoque une Assemblée générale. Tenue le 3 juin, elle décide l’envoi d’une délégation auprès du PO. Reçue le 17 juin par son directeur général, Alfred Mange, elle essuie une fin de non-recevoir : « A nos déclarations philanthropiques et mutualistes, la Cie d’Orléans oppose son "cahier des charges" et nous répond que la philanthropie et la mutualité lui sont indifférentes ; ce sont là, questions de sentiment, elle entend, pour sa part, ne traiter qu’affaires strictement financières à gros bénéfices » (lettre de L. Julia aux sociétés de l’Union en date du 20 juin / Le Quercy de Paris, 23 juin 1912). Dans ces conditions, Rougier remet sa démission le 22 juin.


Et voilà que Bonnet s’en prend à son tour aux Sociétés mutualistes pro-Rougier. « Récriminations injustifiées » titre L’Auvergnat de Paris dans son édition du 3 août 1912 en réponse à une circulaire des Sociétés des Cadets du Quercy et de la Grappe du Quercy, partisanes de Rogier, qui s’insurgent contre « les exigences injustifiées » du PO. S’il ne juge pas utile de revenir sur les raisons de la querelle qui a conduit à déposer Cocula « comme on faisait jadis de nos vieux rois »), il en regrette le résultat : « M. Rougier dirigea les trains-mutualistes ; M. Cocula continua à diriger les siens qui prirent le nom de trains Cocula ». Avec « une lutte fratricide » pour résultat : « … la Compagnie d’Orléans exige, pour mettre un train en marche, qu’il prenne au moins cinq cents voyageurs, et les trains vers le Midi, dont les voyageurs étaient maintenant divisés entre mutualistes et coculistes, si j’ose m’exprimer ainsi, ne fournirent plus que péniblement le contingent nécessaire […]. Dans cette lutte fratricide, il y eut des menaces, des coups de langue et de plume échangés, des blessures, surtout d’amour-propre. Mais l’avantage sembla rester à M. Cocula qui fit partir plus de voyageurs que M. Rougier. » Et de conclure : « Fallait-il donc qu’on les [les Sociétés mutualistes] fit bénéficier d’un traitement de faveur et qu’on leur fixât un minimum inférieur à celui qu’on exige du Limousin de Paris, de M. Cocula ou de l’Agence des Trains-Bonnet ? Non, les sociétés méridionales doivent tout simplement faire leur mea culpa et convenir que ce sont leurs prétentions qui sont injustifiées. » Bonnet a dès lors beau jeu d’inviter les clients des trains mutualistes à rejoindre les leurs.


Vainqueur Cocula ? Pas encore. Contre toute attente, le directeur du journal Le Rouergue, Vaysse, au nombre des délégués dépêchés auprès du PO, prend le risque d’accepter les conditions refusées par Rougier. Les pourparlers entre les deux parties traînant en longueur[20], l’Union ne peut proposer aucun train pour 1912, ce qui incite quelques-uns de ses membres, l’hiver venu, d’approcher Louis Bonnet fils pour une éventuelle reprise des trains mutualistes dans le cas où Vaysse ne parviendrait pas à trouver un accord pour 1913. Prudent, Bonnet fils demande une habilitation officielle avant de s’engager, ce que lui refuse Julia prêt à renouveler toute sa confiance à Vaysse.

Ce dernier finit par annoncer à grand renfort de presse un premier train pour le 30 mai 1913[21]. Train qui n’est jamais parti, laissant à leur sort plusieurs dizaines de candidats au voyage sans autre explication qu’une arrivée tardive des billets à l’agence qui aurait empêché leur distribution avant le départ du convoi. En fait, de billets il n’y a jamais eu, bloqués par le PO par suite du non-versement de la caution exigée. Acculé, il demande à être démis de ses fonctions, décision entérinée en son absence le 7 juin par l’Union réunie en Assemblée générale « en regrettant de ne pouvoir donner à cette démission d’autre sanction que celle d’un blâme très sévère ». Par cette sentence, l’Union entend dégager également toute responsabilité vis-à-vis du PO.


Présent, Bonnet fils a pris soin de ne pas prendre part au débat et s’est refusé, par souci d’apaisement, à publier le verdict dans L’Auvergnat de Paris « malgré le mépris que [lui inspiraient] les agissements de M. Vaysse ». C’est alors que, sous le titre « Tromperie », le Cocula publie dans le Lot à Paris un long édito à charge, rappelant notamment la volonté maintes fois exprimée par Vaysse de supplanter les trains Bonnet : « Il voulait […] d’une seule bouchée, avaler en travers Bonnet et son œuvre […]. Il faut des crocs solides, Monsieur, pour anéantir l’action d’un tel devancier. Le père Bonnet, qui nous disait quelque temps avant sa mort, que tous ces essais sombreraient dans le ridicule, avait prophétisé vrai » (Le Lot à Paris, 1er juin 1913). Vaysse lui répond en laissant entendre qu’il aurait été approché par des proches de Bonnet « pour une campagne commune ». Contre qui ? réplique Cocula, lui ou Bonnet père ? S’enferrant, Vaysse dit à demi-mot avoir été également contacté par Cocula pour œuvrer contre l’entreprise Bonnet. Sondé par Bonnet fils, Cocula lui affirme n’avoir jamais offert à Vaysse de tenter une action commune contre celle-ci. Le 28 juin, ne pouvant obtenir de Vaysse des réponses claires à ses interrogations, Bonnet fils, rompant le silence qu’il s’était imposé, révèle à ses lecteurs toute l’ampleur des turpitudes de Vaysse et met un terme définitif à l’affaire des trains mutualistes de l’Union (« Jésuitique étonnement », L’Auvergnat de Paris, 28 juin 1913).


La Grande Guerre, un coup d’arrêt brutal

A l’été 1914, l’imminence d’un probable conflit entre la France contre l’Allemagne est propice à la diffusion de rumeurs. Début août, le bruit court que les derniers trains du mois de juillet n’auraient pas été assurés. Faux répond l’agence Bonnet, ceux des 27, 28 et 29 juillet, tant du PO que du PLM, ont bien été expédiés : « Et au contraire de ce que l’on raconte, les Compagnies n’ont pas encore pris de mesures pour supprimer ces voyages ; elles ne se résoudraient à les interrompre momentanément que si les événements devenaient tout à fait graves, et à la dernière extrémité. Nos voyageurs peuvent donc se rassurer. Nous les prions seulement de se présenter aux guichets de l’agence avec le montant exact des billets. L’affolement qui a fait se terrer tout l’argent et l’or ayant absolument vidé nos réserves de pièces blanches et d’or, nous ne pouvons momentanément assurer le service de la distribution que si nos voyageurs font preuve de bonne volonté en ne nous demandant pas une monnaie que nous n’avons pas » (L’Auvergnat de Paris, 1er août 1914).


La déclaration de guerre du 3 août conduit L’Auvergnat de Paris à réduire sa pagination de huit à deux feuillets. Appelé sous les drapeaux, Bonnet fils confie les rênes de l’entreprise à sa mère (il sera hospitalisé en septembre, gravement atteint à la poitrine par un éclat d’obus). Les titulaires de billets épargnés par la conscription sont invités à attendre la fin de la mobilisation pour regagner Paris ou la province. Ceux pressés de retourner au pays sont invités à se rendre au bureau de placement de L’Auvergnat de Paris, officiellement mandaté à cet effet par les autorités publiques, pour bénéficier d’un bon leur donnant droit à un quart de place à bord de tous trains à destination du Massif Central via les lignes du PO, du PLM et du Midi. Enfin, compte tenu des circonstances, la validité des billets Bonnet est repoussée, quel que soit leur date d’émission, au 31 octobre, puis au 31 décembre 1914 et 30 avril 1915.


Ainsi se clôt les péripéties des trains Bonnet qui ne reprendront leur noria qu’en juillet 1920. Elle se poursuivra sans interruption jusqu’en 1939, en direction de l’Auvergne bien sûr, mais aussi de la Bretagne, de la Normandie, du Sud-Ouest, et même sporadiquement de la Côte d’Azur, toujours en collaboration avec le PO et le PLM, mais avec un nouveau venu, les Chemins de fer de l’Etat.


 

Notes de bas de page

[1] Fondateur en 1882 du journal L’Auvergnat de Paris, Louis Bonnet est élu en 1887 pour prendre la direction de la Ligue auvergnate, nouvellement créée. Démissionnaire en 1898, il est triomphalement reconduit à sa tête dès 1899. A la suite de cet épisode il décide que tous les abonnés du journal seront automatiquement affiliés à la Ligue.


[2] Dans sa lettre du 16 août 1903, Bonnet avait également suggéré que le Conseil général crée une ou plusieurs bourses pour aider les Auvergnats de Paris à mettre leurs enfants en pension au lycée d’Aurillac en lieu et place des écoles congréganistes parisiennes.


[3] Dans son édition du 25 juin 1904, Le Réveil de Mauriac se fait l’écho du départ de ce premier train dans lequel ont pris place près de 650 voyageurs.


[4] « Beaucoup de nos lecteurs, les habitants de notre quartier, surtout, se rappellent les assauts dont nos bureaux furent l’objet (…). Le premier jour, je ne pus même pas rentrer chez moi ; le deuxième, je n’en sortis qu’au moyen d’un déguisement ; ceux de nos lecteurs qui s’étaient fait inscrire, et même ceux qui avaient versé l’argent de leur voyage, durent, pour la plupart, se passer de billets ; leur colère fut vive ; elle était, du reste, bien légitime » (L’Auvergnat de Paris, 18 juin 1905).


[5]L’Auvergnat de Paris rappelle régulièrement que les billets Bonnet sont « rigoureusement personnel », qu’ils doivent être signés par le titulaire ou un membre de sa famille portant le même nom, qu’ils ne peuvent être cédés ni vendus sous peine d’annulation et de poursuite, qu’ils sont considérés comme nuls s’ils ne sont point timbrés aux gares de départ, à l’aller comme au retour.


[6] En 1910, 1 F pour la commande d’un à trois billets, 1,50 F pour quatre billets et au-dessus. En 1911, 1 F pour l’envi de 1 à 10 billets. En 1910, le prix de la carte est augmenté de 10 centimes pour frais de fabrication.


[7] Avec une option pour deux jours supplémentaires en Hollande (Rotterdam, Amsterdam, La Haye).


[8] Limitée de 1904 à 1905 à la gare de Viazac (au départ de Viescamp-sous-Jallès) et de 1904 à 1906 à la gare de La Capelle-Viescamp (au départ de Figeac).


[9] Pour les voyageurs des trains transitant par Bort : en descendant à Miécaze, ceux-ci peuvent attraper le l’omnibus régulier Aurillac-Saint-Denis-Près-Martel.


[10] A titre dérogatoire, le train Bonnet accepte des voyageurs pour Langogne : tarif réduit jusqu’à Arvant où ils attrapent un train ordinaire PLM pour Langogne (ligne de Paris à Brioude et Nîmes) au tarif plein.


[11] Faute d’un nombre suffisant de voyageurs le train de Noël au départ de Paris est supprimé en 1911. Par contre, dans l’optique du banquet annuel de la Ligue auvergnate, le train de Noël au départ du pays est maintenu jusqu’en 1913.


[12] « Nous nous proposons de publier un indicateur qui donnera, dans chaque numéro de notre journal, à partir du 1er mai, tous les renseignements utiles sur nos trains, sur le départ des courriers et des autobus, sur les dates de retour. Nous tiendrons cet indicateur à jour et nous y ferons figurer, en même temps, les observations, les critiques et les projets d’amélioration, que nous signaleront nos voyageurs et nos lecteurs » (L’Auvergnat de Paris, 4 avril 1908).


[13] Mariage célébré en 1911. Témoins de la mariée : Louis Puech, député de Paris, ancien ministre des Travaux publics, et le docteur Paul Trapenard, maire de Champs, conseiller général, ancien président du Conseil général du Cantal. Témoins du marié (ingénieur-électricien) : son beau-père, le statuaire J.B. Champeil, Grand Prix de Rome, et son oncle, M. Vuillaume, industriel.


[14] Originaire du Puy-de-Dôme, ami de longue date de L. Bonnet, il est l’auteur du dernier roman (Palavas de Bédarieux) que ce dernier ait lu avant sa mort. Il collabora épisodiquement à L’Auvergnat de Paris.


[15] Leurs itinéraires ne se confondent qu’entre Brive et Cahors via Souillac et entre Brive et Lexos via Capdenac, empruntés par les trains Cocula à destination d’Albi et de Toulouse).


[16] Société d’aide fraternelle des originaires de l’arrondissement de Gourdon créée en 1905 (JO déclaration d’association, 24 avril 1911).


[17] Comme Bonnet, Cocula a été contraint de déménager sous la pression des locataires de son immeuble dérangés par la vente des billets faite à son domicile.


[18] Départ de Paris à 6 h 55 du soir. Acheminement commun de Paris à Limoges pour les voitures à destination d’Agen, de Paris à Limoges et à Brive pour celles à destination de Toulouse et de Gaillac.


[19] Bonnet, Cocula et Quantin, directeur du Limousin de Paris, initiateur en 1910 des Trains du Limousin (agence du même nom au 30, rue du Bac).


[20] Vaysse revendiquait l’ajout aux lignes desservies par les trains de l’Union de celle de Capdenac à Rodez (et au-delà), ce que le PO lui refusa jusqu’au bout.


[21] On notera, qu’à la demande de ses lecteurs, Rougier accepta d’annoncer régulièrement dans son journal le programme des trains Cocula, chose faite à partir du 20 avril 1913.

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