Bruno Carrière
Lors de notre étude consacrée aux vols de colis perpétrés par les cheminots en 1940-1944 (Les Rails de l’histoire n° 4, avril 2013), nous avions évoqué le concours d’affiches lancé par la SNCF en 1944 auprès de son personnel sur le thème de la « Prévention des vols ». Le lauréat de ce concours, dont les Renseignements hebdomadaires de la SNCF s’étaient fait l’écho, nommé Forgeron, alors aide- contrôleur technique du Service Voie et Bâtiments à Paris-Nord, était présenté comme étant doté « d’un réel sens de la publicité ». Quelques mois après la parution de cette étude, nous avons été contactés par Nicole Forgeron, sa fille, qui se pro- posait de nous confier les archives de son père. L’occasion pour nous de découvrir que l’oeuvre de Georges Forgeron ne s’était pas limitée aux seules affiches présentées lors de ce concours.
Né à Cognac (Charente) le 4 décembre 1912, Georges (*) Forgeron a été élevé par sa mère, son père ayant été tué à l’ennemi le 6 septembre 1914. Titulaire du certificat d’études puis du brevet, il intègre l’École des arts appliqués à l’industrie, rue Dupetit-Thouars à Paris (surnommée les « Arts-A », prononcer Zarza), où il opte pour l’atelier « dessin appliqué aux tissus et papiers peints ». Bien qu’ayant prématurément interrompu sa formation au bout d’un an, c’est dans cette branche qu’il trouve à s’employer avant d’être appelé sous les drapeaux en avril 1934, versé au 6e groupe autonome d’artillerie basé à Saint-Cloud. Le 6e GAA est une unité spécialisée dans le repérage des batteries ennemies au son ou d’après la trajectographie. Georges y est affecté en tant que trompette (musicien, il joue également du violon et du saxophone), ce qui ne l’empêche pas d’être nommé 1er canonnier.
(*)- Officiellement Albert, mais Georges pour ses amis.
Renvoyé dans ses foyers en juillet 1935, il décide de changer d’orientation professionnelle et, bien que ne possédant aucune accointance cheminote, entreprend d’entrer au chemin de fer. Domicilié alors à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), c’est tout naturellement vers la Compagnie du chemin de fer du Nord qu’il se tourne. Conservé au Centre des archives multirégional SNCF de Béziers, principalement voué à la conservation des archives du personnel, son dossier précise qu’il a passé les tests d’aptitude physique et aptitude technique le 11 janvier 1937. Retenu, il fait ses premières armes au service Matériel et Traction comme expéditionnaire à La Chapelle. Sans doute las de recopier à longueur de temps les courriers destinés à l’expédition, il obtient en février 1939 d’être affecté au service Voie et Bâtiments en tant que calqueur en poste à la gare de Paris-Nord. Sa décision d’intégrer le chemin de fer, qui donne l’assurance d’un emploi stable, n’est sans doute pas étrangère à son mariage, célébré quelques mois plus tard. De son union avec Marthe, sa cadette d’un an, devait naître Jean, en 1938, et Nicole, en 1940.
Mobilisé le 2 septembre 1939, la veille de la déclaration de guerre à l’Allemagne, il est envoyé comme observateur sur les avants de l’ouvrage fortifié de Latiremont, élément de la ligne Maginot situé dans le département de Meurthe-et-Moselle. Durant les quelques mois de la « drôle de guerre », à laquelle la brusque offensive allemande de mai 1940 met fi n, il se fait remarquer pour ses talents artistiques, notamment auprès des officiers, friands de ses statuettes en bois sculpté et de ses portraits. Au service de la communauté, il peint également les décors de la troupe « Zatroa », qui se produit dans le cadre des matinées récréatives de l’ouvrage. Fait prisonnier le 21 juin 1940, il est retenu au « Frontstalag 160 » de Lunéville. Mis en congé de captivité le 27 août 1940 en tant qu’agent de la SNCF, il est officiellement démobilisé le 8 octobre 1941.
Rendu à la vie civile, il poursuit sa carrière au sein de la SNCF. Nommé sous-inspecteur en 1960, il prend sa retraite le 1er mars 1967. Près de trente ans de loyaux services pendant lesquels, outre ses obligations purement professionnelles, il n’a cessé de faire profiter l’entreprise de ses talents artistiques, spontanément ou à la demande de sa hiérarchie. En 1957, il est cité à l’ordre de la SNCF pour avoir participé au sauvetage des victimes d’un train déraillé dont il était lui-même le passager. Il est également titulaire de la médaille de l’ordre du Mérite social (actuel ordre national du Mérite) pour son engagement auprès du Secours National et de la médaille d’argent d’honneur des chemins de fer.
Il décède à Sens (Yonne) le 21 avril 1977, à 65 ans.
Un autre talent développé par Georges Forgeron est la sculpture sur bois et la menuiserie. Il figure notamment au nombre des fournisseurs de la Maison H. Lardy, fabricant de jouets implanté à Dortan, dans l’Ain, puis à Lavancia, dans le Jura. Parmi ses réalisations, la série des « Frigolos », personnages démontables aux combinaisons multiples, à l’origine de produits dérivés tels ces bouchons. Coll. Nicole Forgeron/Rails et histoire.
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