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1921. La « démobilisation des morts »

À la fin de la Première Guerre mondiale, d’innombrables familles ont opté pour le retour au pays de leurs proches morts au champ d’honneur, de préférence aux nécropoles d’État. Un droit acquis de haute lutte qui a conduit à la mise en place, fin 1920, d’une organisation spécifique dans laquelle le chemin de fer joua un rôle essentiel.

Bruno Carrière


Avant d’aborder le cœur de notre sujet – qui est l’organisation mise en place fin 1920 pour le rapatriement des corps des soldats morts au combat ou des suites de leurs blessures, depuis l’ancienne zone des armées jusqu’aux lieux de sépulture désignés par les familles – il n’est pas inutile de rappeler brièvement comment les autorités, tant civiles que militaires, d’abord résolument hostiles à l’idée d’une restitution des corps, ont fini par céder aux sollicitations (1).


1914-1920 : tout transfert de corps est prohibé


En août 1914, lorsque la guerre éclate, l’exhumation et le rapatriement des corps des soldats morts au combat ne font l’objet d’aucune réglementation. Des restitutions sont donc accordées aux familles dans les premiers mois. Toutefois, face à la multiplication des demandes, le général Joffre, par une note du 19 novembre 1914, interdit tout transfert de corps depuis la zone des armées, à savoir les territoires situés au nord de la ligne de rocade jalonnée par les gares du Havre, Rouen, Corbeil, Melun, Moret, La Roche, Dijon, Arc-et-Senans, Besançon et Morteau.


Cette mesure est justifiée par la nécessité de consacrer, dans cette zone, tous les moyens de transport par voie ferrée exclusivement aux besoins militaires. Elle est également guidée par le souci de ne pas porter atteinte au moral des troupes par la multiplicité des douloureuses cérémonies auxquelles les exhumations et transferts de corps donneraient lieu. Enfin, il convient de rappeler que l’accès à la zone des armées est sévèrement réglementé et qu’on ne peut y permettre la venue des familles.


La mesure ne s’étend toutefois pas à la zone de l’intérieur où les familles continuent d’être autorisées à rapatrier les corps de proches décédés dans les hôpitaux de l’Arrière tant par la route que par le rail, mais, dans ce dernier cas, « à la condition de n’emprunter aucune partie du réseau ferré des Armées » (lignes stratégiques).


Si d’aucuns n’hésitent pas à transgresser l’interdiction qui touche la zone des armées, dans leur très grande majorité les familles endeuillées s’inclinent avec le ferme espoir de voir leur attente cesser avec la fin des combats. Au lendemain de l’Armistice, le gouvernement (notamment Georges Clemenceau, président du Conseil et ministre de la Guerre) craint que, une fois la paix signée, la suppression de la zone des armées n’entraîne ipso facto la fin de l’interdiction imposée en 1914. Aussi dépose-t-il préventivement, le 4 février 1919, un projet de loi relatif « à l’interdiction des exhumations et transports de corps par voie ferrée des militaires et marins français, alliés ou ennemis, tués ou décédés pendant la guerre ». S’appuyant sur les difficultés que rencontrent les transports et la faible probabilité d’une amélioration à court terme, il demande la reconduction pour trois ans des mesures prises antérieurement par Joffre et confirmées par une instruction du 20 octobre 1917 (2).

S’ensuivent de vifs débats à la Chambre et au Sénat, qu’attise la signature, le 28 juin 1919, du traité de paix de Versailles. Ceux qui pensent « que le véritable champ de repos du soldat doit être le « champ d’honneur » où il est tombé en plein combat, au milieu de ses frères d’armes, face à l’ennemi » s’opposent à ceux qui soutiennent que les corps doivent être restitués aux familles. Ces derniers ont beau jeu d’ironiser sur les soi-disant difficultés de transport. Ainsi, le 19 septembre 1919, Raoul Pacaud, député de la Vendée, interpelle à la Chambre Léon Abrami, sous-secrétaire d’État à la Guerre, en ces termes : « J’estime, quant à moi, que cette objection ne tient pas ou bien, si elle tient, il y a des choses qu’il faut modifier. Il vous suffit de vous rendre dans les gares du Nord et de l’Est, et même dans les autres gares de Paris, pour voir des affiches coloriées resplendissantes annonçant des trains de plaisir et des voyages d’excursion vers le front. Si vous avez des moyens de transport pour amener des promeneurs sur le front, vous devez en avoir pour ramener les morts. »


Tous, par contre, sont unanimes à reconnaître que si rapatriement des corps il doit y avoir, il ne pourra se faire qu’aux frais exclusifs de l’État afin de ne pas léser les familles privées de capacités financières : « À l’égalité du sacrifice doit correspondre l’égalité du traitement (3). »


1920 : l’interdiction est levée sous conditions


En définitive, c’est La question du rapatriement des corps des soldats américains, promis par leur gouvernement lors l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, qui change la donne. En dépit des interventions des autorités françaises pour obtenir un fléchissement de l’opinion américaine, l’autorisation est accordée le 2 avril 1920 pour les corps inhumés dans l’ancienne zone des armées, avec application effective au 15 septembre (4).


Le 28 avril 1920, Alexandre Israël, député de l’Union républicaine de l’Aube, présente au nom de la commission de l’administration générale, départementale et communale de la Chambre des députés une proposition de loi tendant à respecter les volontés des familles pour la restitution gratuite des corps ou leur conservation dans les cimetières du front. Reçue positivement par le Sénat et la Chambre, elle est concrétisée par l’article 106 de la loi de finances promulguée le 31 juillet 1920, ainsi rédigé : « Les veuves, les ascendants et les descendants des militaires ou marins morts pour la France ont droit à la restitution et au transfert, aux frais de l’État, des corps desdits militaires ou marins. Un décret, rendu sur la proposition du ministre de l’Intérieur et du ministre des Pensions, déterminera dans quelles conditions les transferts des corps seront effectués à partir du 1er décembre prochain. »


Le décret d’application « relatif au transfert des corps des militaires morts pour la France et des victimes civiles de la guerre » est promulgué le 28 septembre 1920.


L’article 1 précise que le transfert des corps sera fait « aux frais de l’État » et qu’il s’applique aux militaires et marins morts pour la France entre le 2 août 1914 et le 24 octobre 1919, ainsi qu’aux victimes civiles de la guerre décédées pendant cette même période et aux réfugiés des départements envahis. Il précise par ailleurs que le transfert des corps comporte les opérations suivantes : « exhumation, mise en bière hermétique, transport collectif par route et par voie ferrée du premier lieu d’exhumation jusqu’au cimetière désigné par la famille, réinhumation dans ce cimetière. »


L’article 3 spécifie que seules les veuves, ascendants ou descendants sont autorisés à solliciter le transfert des corps de leurs proches. Sont donc notamment exclus les « collatéraux », frères ou sœurs (5). La demande devra être établie sur un document pré imprimé et « légalisée » par le maire (à défaut par le commissaire) de la commune sur le territoire de laquelle le corps devra être transporté (6). Le maire devra, en outre, assurer sur le même document que le cimetière désigné par la famille est, en fait et en droit, en état de recevoir le corps. La demande devra être adressée par leur auteur en deux exemplaires, sous pli recommandé, au ministre des Pensions, bureau des sépultures militaires, 14, avenue Lowendal, Paris 7e.


L’article 4 porte que, pour les corps inhumés en France et en Belgique, « et dont les sépultures sont actuellement identifiées », les demandes devront être produites dans un délai de trois mois à compter de la publication du présent décret au Journal officiel (soit le 2 octobre 1920 (7) ). Le délai est porté à six mois pour les corps inhumés hors de France et de Belgique. Les familles des militaires et des marins dont les restes seraient identifiés par la suite pourront présenter leur demande de transfert de corps dans un délai de trois mois, à compter du jour où elles auront reçu notification de l’identification, de six mois si hors de France et de Belgique.


L’article 5 précise que les opérations de transfert s’effectueront à partir du 1er décembre 1920, successivement, par zone de champ de bataille. Une commission, présidée par le ministre des Pensions, déterminera l’ordre dans lequel elles seront effectuées. Il spécifie que les familles sont libres de faire effectuer, à leurs frais, le transport des corps de leurs proches décédés sur présentation d’une autorisation spéciale de transfert. Mais, dans ce cas de figure, l’utilisation du chemin de fer leur sera interdite. Aux contestataires, André Maginot, ministre des Pensions, rétorque que le rail est réservé aux transports collectifs et que déroger à cette règle aurait pour conséquence « de compliquer considérablement le service des chemins de fer ». Les articles suivants (de 6 à 9) se rapportent à l’organisation des opérations de transfert proprement dites.

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1921 : les opérations de transfert


Les opérations de transfert intéressent les corps dont l’identité a été établie et les lieux d’inhumation dument répertoriés. Elles intéressent en priorité l’ancienne zone des armées fractionnée pour l’occasion en neuf zones de champ de bataille, chacune d’elles étant subdivisée en plusieurs secteurs d’état civil. Pour chacun de ces secteurs, un programme nominatif des exhumations est arrêté dix jours à l’avance, c’est-à-dire le 9 pour les travaux à exécuter du 21 au 30-31, le 19 pour la période du 1er au 19, le 30 pour celle du 11 au 20. Outre les cimetières concernés et l’état nominatif des exhumations projetées, chaque programme dresse la liste des lieux et dates d’approvisionnement en cercueils et désigne les « gares de groupement », première étape vers laquelle diriger les corps réclamés par les familles. L’ordre des cimetières à parcourir et des tombes à rouvrir tient compte de la nécessité de regrouper les corps en fonction de leur destination finale.


Les programmes décadaires ont pour autre fonction de pouvoir informer individuellement les familles qui en ont fait la demande de la date d’exhumation de leurs proches. Elles peuvent ainsi, si elles le désirent, se rendre sur place le jour dit afin de participer à la reconnaissance des corps. Pour ce faire, elles peuvent bénéficier du voyage gratuit annuel auquel elles ont droit pour se rendre sur la tombe de leurs morts. La demande doit en être faite au réseau qui dessert leur commune. Elle doit être accompagnée d’un document établissant le degré de parenté avec le disparu et d’un certificat établissant son décès, deux pièces à retirer auprès des services de la mairie. En leur absence, et si elles n’ont pas désigné un tiers, les familles sont représentées par des « délégués » volontaires accrédités dans chaque secteur d’état civil.


Les opérations de transfert se font sous la direction de représentants du Service de la restitution des corps (SRC) nouvellement créé au sein du Service de l’état civil, des successions et des sépultures militaires. Les premières portent sur la zone de champ de bataille formé des neuf secteurs d’état civil de Senlis, Maignelay, Noyon, Conty, Nesles, Ressons-sur-Matz, Chauny, Pierrefonds et Ailly-sur-Noye, à cheval sur les départements de l’Oise et de l’Aisne. Elles débutent au 1er janvier 1921 et non, comme escompté, le 1er décembre 1920.


La procédure est immuable : exhumation du corps, identification, mise en bière, fermeture du cercueil, acheminement par la route vers la gare de regroupement. Ces opérations sont, pour l’essentiel, le fait d’entrepreneurs privés retenus au terme d’adjudications. Ceux-ci mettent à disposition la main-d’oeuvre divisée en « fossoyeurs » (ouverture des tombes et extraction des cercueils) et « exhumateurs » (manutention des corps et remise en bière), assurent l’acheminement des cercueils depuis les lieux d’approvisionnement et, une fois la mise en bière terminée, fournissent les camions pour leur transport jusqu’à la gare de regroupement désignée. Ils doivent être en mesure d’assurer au moins 40 exhumations par jour. La fabrication des cercueils fait, elle aussi, l’objet d’adjudications, toute liberté étant laissée aux candidats quant au choix des modèles. En juillet 1921, les autorités finissent par imposer trois types de cercueils : en chêne de 1,70 m, en chêne de 1,90 m et doublés à l’intérieur de métal. Tous doivent être munis de quatre poignées métalliques et remplis aux deux tiers « de sciure de bois sèche criblée ou de toute matière légère et absorbante ». Les familles restent libres, néanmoins, de fournir un autre modèle de cercueil, pour peu qu’il soit livré le jour dit.


Dans un cas ou dans l’autre, les entrepreneurs ont très vite été montrés du doigt pour s’être enrichis de façon peu recommandable, et leurs exactions sont régulièrement dénoncées. Le cynisme des « mercantis de la mort », terme dont les fustige la presse, a été dépeint avec force par Pierre Lemaitre, lauréat du prix Goncourt 2013, dans son roman Au revoir là-haut. « Spéculer sur les morts », c’est une réalité que Béatrice Pau a su aussi mettre en lumière, tout en établissant les responsabilités des uns et des autres. L’une des principales conséquences de ce scandale porté en justice a été la suppression, en 1925, de toute adjudication au profit d’une régie directe par l’État.


Le rail au retour comme à l’aller


Une fois le cercueil refermé, le contrôleur du SRC vérifie que la plaque nominative a bien été fixée sur sa face verticale côté pieds, et que le nom du secteur d’état civil et le numéro d’enregistrement, inscrits au pochoir côté tête, concordent avec les indications qui figurent sur son carnet à souches. Le pointage terminé, le contrôleur remet au chef d’équipe qui accompagne le camion les bulletins individuels des cercueils emportés. Sont également du voyage, soigneusement répertoriés et empaquetés (en théorie), les éventuels objets-souvenirs placés sur les tombes par les familles lors de visites antérieures.


Parvenus à la gare de regroupement, les cercueils sont hissés et arrimés à bord du wagon désigné à cet effet. Là s’arrêtent les obligations des entrepreneurs.


Les compagnies de chemin de fer prennent alors le relais. Elles ne peuvent décemment refuser, mais imposent, semble-t-il, leurs conditions : mise en route de trains spéciaux avec, pour chacun, un chargement minimum. Il n’est pas question de travailler dans la dispersion. On sait qu’elles ont accepté de calculer leurs dépenses sur la base du demi-tarif, sans plus de précision. Il est probable qu’il est fait allusion ici au coût ordinairement demandé avant la guerre pour le transport d’un corps, soit une taxe générale de 0,30 franc à 1 franc le kilomètre selon qu’il s’agit d’un train omnibus ou express et une taxe de transit entre réseaux fixée à 2 francs, celui de l’État formant toujours deux réseaux. En avril 1922, elles consentent le quart du tarif sur la base du transport de 350 cercueils par train avec chargement minimum de 25 cercueils par wagon.


Une fois complété, ses portes fermées et scellées, le wagon sera réexpédié à sa gare d’attache – l’une des deux « régulatrices » de Creil (Oise) et de Brienne-le-Château (Aube) – par le premier train du service régulier. À son arrivée, il est dirigé sur la voie dédiée qui dessert le dépôt mortuaire dans lequel les cercueils sont entreposés le temps de la formation d’un train spécial.


Une rame est formée chaque fois que le dépôt mortuaire contient un nombre de corps suffisant à destination d’une même région de corps d’armée ou de deux régions voisines. Cette exigence du transporteur est une source de retards mal vécus par les familles. Henri Auriol, député de Haute- Garonne, qui s’est rendu sur place, en fait la remarque au ministre des Pensions (lettre du 10 mars 1921) : « Il paraît que la faute provient des gares régulatrices, en l’espèce la gare de Creil, qui doivent attendre d’avoir des wagons complets pour effectuer le transport des cercueils. Ainsi, pour qu’un wagon puisse être mis en route, il faut que sept cercueils appartenant à une même région se trouvent groupés. Et si les hasards de la guerre […] font qu’un cercueil appartenant à une contrée lointaine ne puisse être réuni à d’autres cercueils de la même région, il faudra donc attendre des semaines (8). » Réponse du ministre (lettre du 22 mars 1921) : « Dès l’origine de l’organisation du transfert de nos morts, il fut admis qu’on procéderait nécessairement à des transports collectifs par trains spéciaux dirigés sur des lignes de transport particulières, fixées par les réseaux et desservant chacune un certain nombre de départements. Toutefois, les Compagnies de chemins de fer, malgré les objections de mes services, exigèrent pour la constitution d’un train spécial un chargement minimum de 1 000 à 1 200 cercueils. La répartition, par destination définitive, des corps dans les cimetières du front est telle que, pour réunir les éléments devant être transportés par un semblable train spécial sur une ligne de transport déterminée, il a été nécessaire et indispensable d’accumuler à la gare régulatrice plusieurs milliers de cercueils. Devant les inconvénients devenus évidents d’un pareil régime, M. le ministre des Travaux publics a pu, sur mes pressantes instances, obtenir des Compagnies de chemins de fer de réduire à 350 le nombre minimum des cercueils devant justifier la mise en marche d’un train spécial. Il est même actuellement prévu que des rames de wagons empruntant les trains normaux d’exploitation pourront être exceptionnellement utilisées. Les mesures de réalisation ont été aussitôt prises. Par un intense travail de jour et de nuit les trains ont été organisés et on a pu ainsi faire partir de Creil un train spécial par jour depuis le 16 courant (9). Dans l’avenir, il est vraisemblable que les cercueils ne séjourneront pas plus d’une semaine au dépositoire mortuaire de la gare de Creil (10). »

La démarche du député Auriol a eu du bon puisque, le 18 mars, en début après-midi, Toulouse (siège du 17e corps d’armée) réceptionne un premier lot de trois wagons acheminés par le train parti de Creil deux jours plus tôt. À leur bord, les cercueils de 73 poilus morts pour la France originaires de la région, dont 24 Toulousains. Leur accueil se fait dans les emprises de la gare de Toulouse-Lalande, devant un grand bâtiment « transformé en vaste dépositoire et orné de drapeaux cravatés de crêpe ». Piquet d’honneur, Marseillaise, discours, Marche funèbre de Chopin, défilé des autorités civiles et militaires devant les cercueils, rien n’est oublié. Soigneusement alignés dans le « dépositoire », les cercueils attendent d’être rendus aux familles, exception faite de ceux des Toulousains, transférés le lendemain au cimetière de Terre-Cabade pour recevoir un dernier hommage de la municipalité fixé au mardi 22.


« La ronde des convois » commence donc effectivement le 16 mars. Au départ des deux gares régulatrices de Creil et de Briennele- Château, les wagons sont disposés selon un plan de chargement rigoureux de façon à réduire au maximum les manœuvres à effectuer dans les « gares régionales », première étape vers la destination finale que sont les « gares départementales » vers lesquelles ils sont acheminés isolément par des trains du service régulier. Prenons pour exemple le premier train parti de Creil. Suivant la ligne n° 7, il dessert quatre gares régionales, lesquelles alimentent à leur tour onze gares départementales (voir tableau).


À leur arrivée dans les gares départementales, les wagons mortuaires sont garés à l’écart. Le transbordement des cercueils doit se faire le plus discrètement possible afin de ne pas choquer la population. Les wagons ne doivent être ouverts qu’en présence du délégué du préfet, qui surveille l’ensemble des opérations. Il faut les libérer au plus vite car, passé les délais fixés par les compagnies, des frais de


Desserte des rames mortuaires de la ligne n° 7 au départ de la régulatrice de Creil stationnement sont facturés. Le déchargement des cercueils est le fait de manutentionnaires (agents municipaux ou employés de maisons de pompes funèbres) convoqués par les autorités civiles. Une fois débarqués, les cercueils sont entreposés, par commune, dans un dépositoire créé à cet effet. Les compagnies perçoivent un loyer en retour (11). Si, pour la majorité, l’acheminement jusqu’au cimetière désigné se poursuit par la route, pour quelques-uns un nouveau convoyage par chemin de fer s’impose. La responsabilité du transfert incombe aux maires, avertis à l’avance de l’arrivée d’un convoi et de l’identité des corps. À charge pour eux de réceptionner personnellement les cercueils (ou de désigner un représentant) et d’assurer leur transport jusqu’aux cimetières communaux. Les frais inhérents à la manutention en gare, au transport de la gare au cimetière, au creusement de la tombe et à l’inhumation sont du ressort de l’État, y compris le remboursement des frais de déplacement des édiles (un aller-retour en 3e classe si le trajet est effectué par le train). Les familles qui effectuent elles-mêmes ces opérations sont indemnisées suivant les mêmes barèmes. Les restitutions par trains spéciaux se poursuivent sans discontinuité jusqu’en 1923, excepté lors des trêves estivales. Audelà, elles se font par wagons isolés. Quoique relativement limitées, les erreurs d’aiguillage sont bien réelles : corps qui arrivent sans être annoncés ou, inversement, attendus en vain car dirigés sur un autre point. Dans tous les cas, les compagnies ferroviaires n’ont rien à se reprocher, leurs agents ne faisant qu’appliquer les instructions données au moment de la remise des wagons entrant dans la composition des rames.


(1)- Ces pages doivent beaucoup à l’ouvrage de Béatrix Pau, Le Ballet des morts. État, armée, familles : s’occuper des corps de la Grande Guerre, publié par La librairie Vuibert en janvier 2016. Nous n’aborderons pas ici les restitutions des corps en provenance de l’ancienne zone de l’intérieur et de l’étranger qui obéissent à d’autres critères.

(2)- Pour bien marqué sa volonté, Clemenceau la pérennise par une nouvelle instruction « provisoire » en date du 15 juin 1919.

(3)- Ministère de la Guerre, Note sur le projet de loi interdisant l’exhumation et le transport des corps militaires français, alliés et ennemis sur le territoire français pendant une période à déterminer, 1919, 16 p. (Gallica)

(4)- L’exhumation et le transport des corps américains localisés dans l’ancienne zone de l’intérieur avait été donnée dès le mois de décembre 1919.

(5)- En décembre 1920, André Maginot, ministre des Pensions, fait savoir que les demandes formulées par les frères et sœurs seront « exceptionnellement » admises en l’absence avérée de toute veuve, ascendants ou descendants.

(6)- À Paris, la demande doit être visée par la préfecture de la Seine, bureau des inhumations.

(7)- La date butoir du 2 janvier 1921 sera repoussée au 15 février 1921 par suite d’une pénurie de formulaires.

(8)- « Les Exhumations des soldats morts pour la France », L’Express du Midi, 17 mars 1921.

(9)- Des trains ont été toutefois expédiés de façon aléatoire avant cette date. Bordeaux reçoit ainsi un premier lot de cercueils dès le 9 mars.

(10)- « Les Exhumations des soldats morts pour la France », L’Express du Midi, 30 mars 1921 Le 17 mars, un second train suit la ligne n° 3 (Seine-Inférieure, Eure, Calvados, Manche) ; le 18, un troisième la ligne n° 9 (Yonne, Côte d’Or, Jura, Doubs, Saône-et-Loire, Indre, Haute- Savoie, Savoie, Isère, Hautes-Alpes, Basses-Alpes) ; etc.

(11)- Ainsi, le 5 octobre 1921, le conseil général des Alpes-Maritimes loue « la bienveillance » du PLM qui a mis un « local » à la disposition de l’Administration moyennant « un loyer minime ». À cette date, et depuis le 24 mars, 209 cercueils ont été reçus en gare de Nice, arrivés par sept convois.


Pour quel bilan ? En mars 1936, dans une circulaire adressée aux préfets, Alain Sarraut, président du Conseil, affirme que, « en exécution de l’article 106 de la loi de finances du 31 juillet 1920, les restes de 250 000 militaires morts pour la France inhumés dans l’ancienne zone des armées ont été restitués aux familles qui en avaient fait la demande dans les délais légaux ». En tenant compte des restitutions en provenance de l’ancienne zone de l’intérieur et de l’étranger, ce chiffre pourrait atteindre 300 000, soit 30 % des pertes.

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