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Exposition en ligne

Ombres & Lumière

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Présentent

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Graphisme Marion Cochat, www.sea-shape.com

SOUS LE HAUT PARRAINAGE DE MONSIEUR SERGE KLARSFELD

Cette exposition est réalisée par l’association « Lille-Fives 1942 » avec le soutien de « Rails et histoire », association pour l’histoire des chemins de fer, ainsi que de l’« APHG », association des professeurs d’Histoire et de Géographie.

Elle présente l’action héroïque d’individus qui, lors de la rafle du 11 septembre 1942, se sont mobilisés spontanément pour sauver des juifs du Nord-Pas de Calais et les protéger jusqu’à la Libération, au prix de grands dangers pour eux-mêmes et leurs proches.

Le 11 septembre 1942, de nombreuses familles juives du Nord et du Pas-de-Calais sont arrêtées au petit matin par les soldats allemands et regroupées à la gare de Fives à destination du camp de regroupement de Malines, puis d’Auschwitz.

Dans l’état actuel des recherches, 496 juifs du Nord et du Pas-de-Calais ont réalisé ce sinistre périple décidé par les troupes d’occupation. Seuls 15 en reviendront.

Mais grâce à l’héroïsme de certains (cheminots et infirmières, communistes et gaullistes, protestants, catholiques et juifs, policiers et fonctionnaires d’état civil, et tant d’autres encore), de nombreux juifs purent être sauvés à la gare de Fives et protégés ensuite. Selon les témoignages, il y en aurait une soixantaine, dont 41 ont été identifiés à ce jour, en majorité des enfants.

Cet évènement constitue l’un des plus grands sauvetages de juifs en partance d’une gare française en partance pour Auschwitz.

© Lille-Fives 1942

COMITÉ DE PILOTAGE

Président : Dominique LESER

Emmanuelle BACQUET

Grégory CELERSE

Hélène PRIEGO

Laurence SCHRAM

Livret d’accompagnement réalisé par :

Emmanuelle BACQUET et Laurette MAROTEL

Graphisme : Marion COCHAT

Impression : SNCF, Centre édition - La Chapelle

Mise en ligne pour la version numérique  :

Association Rails & histoire, 2023

LÉGENDE

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En 1939, le Nord-Pas-de-Calais compte plusieurs communautés juives représentant environ 4 000 personnes.

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À la fin du XIXème siècle, des immigrés juifs fuyant les pogroms d’Europe de l’Est arrivent dans la région.

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Dans l’entre-deux-guerres, d’autres juifs, polonais, allemands, ou issus de l’ex-Empire ottoman immigrent en plus grand nombre. Les Polonais s’établissent surtout dans le bassin minier mais aussi dans les grandes villes de la région où ils ouvrent ateliers et boutiques.

Léon LESER est né en 1897 à Cracovie. Enrôlé dans l’armée austro-hongroise pendant la Première Guerre mondiale, il quitte la Pologne nouvellement créée pour Berlin que l’antisémitisme lui fait rapidement fuir.

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Léon LESER vient travailler comme manœuvre puis contremaître en Lorraine. Il épouse Rose THAU à Metz et a deux garçons. Naturalisé français en 1930, il s’installe à Lille en 1936 et devient commerçant en TSF. L’engouement pour la radio est grand et son commerce est florissant.

Coll. Famille LESER

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Fête de Pourim à Douai, 1934.

Coll. Famille REDLUS

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Photo du magasin de la famille THAU à Berlin.

Coll. Centrum Judaicum de Berlin

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Photo de Chana LERNER-REISS (à droite devant la maison), avec au premier plan sa jeune fille Henriette sur les genoux de leur jeune vendeuse. Juifs polonais, Simon et Chana sont confectionneurs dans le textile à Lens.

Coll. Famille LERNER

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Familles SIGAL et SCHARFMANN à Lens 1935/36.

Coll. Famille LESER

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Le 2 septembre à minuit, 5 millions de Français de 18 à 48 ans sont mobilisés. Plus de 40 000 étrangers installés en France, dont environ 25 000 juifs, s’engagent volontairement. Ils forment les Régiments de Marche de Volontaires Étrangers (RMVE).

Le Lensois Manek FAJNKUCHEN du 23ème RMVE, portant des lunettes au premier plan.

Coll. famille FAJNKUCHEN

Tract clandestin, juin 1940.

Coll. Musée de la Résistance, Bondues

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Poussés sur les routes par l’avancée allemande, les Français évacuent dans le chaos et la peur.

« Nous sommes partis de Lille le 10 mai 1940 [...] [Nous avons traversé] Rouen où nous étions dans les dernières voitures à traverser un pont sur la Seine qui a sauté tout de suite après, et nous nous sommes retrouvés, après avoir perdu ma grand-mère en route, à Dinard où les Allemands sont arrivés presque en même temps que nous. [...] Nous étions à la mise en place du régime de Vichy et mon père (Léon LESER) est revenu à Lille vers la mi-septembre, seul, pour constater que notre appartement avait été entièrement pillé, et revenir nous chercher à Dinard d’où nous sommes revenus autour de la rentrée scolaire. »

Témoignage d’Edgard LESER, fils de Léon LESER et Rose THAU

Le 28 novembre 1940, une ordonnance allemande interdit le retour des juifs dans la région Nord-Pas-de-Calais.

Certificat de décès de Berthe BEISER-THAU à Caudebec-En-Caux le 22 mai 1940. 

Coll. Famille LESER-THAU

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Lors de l’attaque de mai 1940, la défense française s’effondre et plonge le pays dans le désarroi. Le gouvernement, remanié autour de Philippe PÉTAIN, choisit de signer l’armistice le 22 juin, pour une application au 25 juin.

L’Alsace-Moselle est annexée, la moitié Nord du pays occupée, et la Somme délimite une « zone interdite » au sein de laquelle le Nord-Pas-de-Calais est décrété «Zone rattachée » au Commandement militaire allemand de Bruxelles (le MBB).

Alors que les troupes sont démobilisées, les soldats étrangers des RMVE sont rassemblés au camp de Septfonds (Tarn-et-Garonne), conçu au départ pour les réfugiés espagnols. Une loi de 1938 les contraint en effet à fournir une participation à l’effort de défense.

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Photo de Manek et ses compagnons du 23ème , probablement prise à Septfonds.

Coll. famille FAJNKUCHEN

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Dès le 22 juillet 1940 le régime de Vichy vote la révision des naturalisations obtenues depuis 1927. 15 150 personnes perdent la nationalité française, dont 6 000 juifs. Bien que le droit du sol prévale encore en théorie, cette loi permet de dénaturaliser également les enfants nés en France des personnes concernées.

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Copie du certificat de nationalité française du petit Robert ROSENBERG né en 1933 à Roubaix de parents hongrois.

Coll. famille ROSENBERG

Projet de loi annoté par PÉTAIN, découvert par Serge KLARSFELD.

Coll. Mémorial de la Shoah

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Le 3 octobre 1940, Vichy promulgue la « loi portant statut des juifs » qui le fait reposer sur une définition raciale, et limite les droits des personnes « issues de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si {leur} conjoint lui-même est juif » : fonctions publiques et mandats interdits, professions soumises à un quota...

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L’OFK 670 de Lille adopte le 18 novembre 1940 une ordonnance qui, comme celle du commandement de Paris, repose sur une définition confessionnelle (alors que le commandement militaire de Bruxelles dont dépend l’OFK 670 opte pour une définition raciale inspirée des lois de Nuremberg de 1935).

Affiche obligatoire à partir du 15 décembre 1940. Cette obligation résulte du recensement exigé des communes par l’OFK à l’automne 1940.

Coll. Musée de la Résistance, Fonds Paul ROSS

Cette loi est remplacée en juin 1941 par le « second statut des juifs », qui en donne cette fois une définition confessionnelle.

Le 7 octobre 1940, le décret Crémieux, qui en 1870 avait accordé la nationalité française aux juifs d’Algérie, est abrogé.

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Déclaration de Monsieur LESER concernant son entreprise.

Coll. Famille LESER

Dès décembre 1940, Léon LESER doit faire une déclaration d’activité et de patrimoine. En juin 1941, l’OFK 670 met en place l’aryanisation des entreprises juives, c’est à dire leur mise sous administration par un non juif.

Le commerce de Léon n’ayant plus d’activité depuis le pillage de l’appartement, l’administrateur nommé est rémunéré directement par le Commissariat aux Affaires juives, dont une antenne a été créée à Lille au printemps.

En juin 1941, l’invasion de l’URSS et l’entrée en guerre de celle-ci contre l’Allemagne a pour conséquence l’arrestation de juifs suspectés de communisme.

« Nous n’avions pas le droit par exemple de nous asseoir sur un banc public. Nous n’avions pas le droit de fréquenter la piscine. (...) Nous n’avions pas le droit de prendre le tramway ailleurs que sur la plateforme. Nous n’avions pas le droit d’avoir le téléphone (ou) un appareil de radio. Nous n’avions pas le droit d’entrer dans un café (hors ceux) tenus par des juifs... »

Témoignage d’Edgard LESER, fils de Léon LESER.

Les premières rafles commencent au printemps 1941, facilitées par les déclarations demandées aux familles juives.

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Entre février et août 1942, les ordonnances de l’OFK se succèdent, limitant la circulation (interdite après 20h) et les créneaux possibles pour faire ses achats (entre 15 et 16h uniquement).

En juillet 1942, le port de « l’étoile jaune » devient obligatoire en zone rattachée.

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Étoile d’Edgard LESER.

Coll. Famille LESER-THAU

Dans les mois qui suivent, les restrictions de liberté se multiplient : Interdiction de fréquenter hôtels, restaurants, jardins publics (septembre), obligation pour les restaurateurs d’apposer une affiche interdisant l’entrée aux juifs (novembre).

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Affiche.

Coll. Archives municipales de Lille

Déclaration sur le statut des juifs. 

Coll. Musée de la Résistance, Bondues.

Max THAU, frère de Rose et beau-frère de Léon LESER, est arrêté lors de l’une de ces rafles et interné à Drancy puis Compiègne.

Lettre écrite de Drancy à Léon.

Coll. Famille LESER-THAU

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Photo de rafle à Paris, août 1941.

Coll. BundesArchiv

« J’étais élève du lycée Faidherbe, en partie occupé par les troupes allemandes. Et le jour où je me suis pointé au lycée avec mon étoile (...) un copain de classe m’a dit « sale juif ». Pouf, mon poing est parti tout de suite. (...) L’instituteur nous a réunis après la récréation en disant « quatre de vos camarades sont obligés à partir d’aujourd’hui de porter un insigne que l’on veut dégradant et dont ils ont toute raison d’être fiers. C’était vos camarades hier, ce sont vos camarades aujourd’hui (...) je ne veux plus entendre de réflexion à ce propos. » Ce professeur c’était M. Douai, (dont) j’ai un souvenir radieux ».

Témoignage d’Edgard LESER.

Les Einsatzgruppen sont des groupes mobiles de SS et de policiers, chargés de suivre les troupes en campagne. Leur mission est de sécuriser les régions conquises. 

 

Mis en place dès 1938 à la suite de l’Anschluss, ils se transforment en meurtriers de masse après la conquête de la Pologne.

À partir de l’été-automne 1941, les juifs sont systématiquement assassinés. Ces massacres marquent le début de la Shoah et continuent après la mise en œuvre fin 1941 du centre de mise à mort de Chelmno.

Exécution d’un juif ukrainien par un membre des Einsatzgruppen en 1942.
Coll. USHMM

Photo de la villa Marlier à Wannsee.

Adam Jones

Le 20 janvier 1942, à Wannsee dans la banlieue de Berlin, 15 dirigeants nazis entérinent les modalités de la « solution finale de la question juive », c’est à dire la destruction systématique et totale des 11 millions de juifs d’Europe et d’Afrique du Nord.

Carte postale envoyée de Compiègne par Max THAU à son beau-frère Léon LESER. Il quittera ensuite Compiègne pour Auschwitz, où il meurt le 13 juillet 1942.

Coll. Famille LESER-THAU

Le 27 mars 1942, le premier « train spécial », quitte Compiègne (Oise) pour le camp de concentration d’Auschwitz auquel s’ajoute un centre de mise à mort en 1942. 1112 hommes, victimes des rafles de mai, août et décembre 1941, font partie du convoi. Carte postale Camp de Royallieu à Compiègne, D.R

Renée et Nathan ARON WOLF, au parc d’Anvers, peu avant leur déportation.

Coll. Kazerne Dossin/Fonds MARINOWER

Le 11 juin 1942, les responsables des Sipo-SD de Paris, Bruxelles et La Haye se réunissent à Berlin autour d’Adolf EICHMANN, afin de programmer l’assassinat des 100 000 juifs d’Europe de l’ouest. Le rythme des rafles s’y intensifie donc :

- Les 16 et 17 juillet 1942 a lieu à Paris la Rafle du Vel d’Hiv : 13 152 personnes sont détenues au vélodrome d’hiver, à Drancy et à Pithiviers. Pour la première fois des femmes et des enfants sont arrêtés en France et des enfants sont séparés de leurs parents dans la déportation.

- Au début du mois d’août, le gouvernement de Vichy commence à livrer des juifs étrangers aux Allemands depuis la zone non occupée. Le 26 août 1942 a lieu la grande rafle de la zone libre.

- Les 15 et 16 août se déroule la première grande rafle à Anvers, suivie de rafles en août et septembre à Bruxelles, Liège et Charleroi.

Dès le 10 septembre, l’Ortskommandantur 914 de Lille fait mettre 100 gardiens de la paix français à disposition pour le lendemain. Une date qui n’est pas choisie au hasard puisque les familles sont susceptibles d’être rassemblées pour Roch Hachana, le Nouvel An juif.

Le 11 septembre, vers 4h du matin, démarre à Lens, Lille, et leurs environs une rafle des juifs « étrangers » qui s’inscrit dans la continuité de l’opération «Vent printanier » (rafle du Vel d’Hiv).

Témoignage de Frieda THAU, ici au centre. Coll. Famille LESER-THAU

Principaux lieux d’arrestation à Lille et Lens. Google maps

Rapport du commissariat de police sur la rafle.

Coll. Archives départementales du Nord

Personnel de l’Ortskommandantur 914, boulevard de la Liberté à Lille.

Coll. Clyde Liénard

Frieda THAU en 2002.

Coll. Famille LESER-THAU

Certains déportés témoignent des manifestations de satisfaction de la foule au départ des personnes raflées.

Par contraste, Frieda THAU déclare :

« La dame chez qui je travaillais avait appris qu’on avait raflé tous les juifs. Elle est donc venue me voir. C’était touchant, on n’avait rien d’autre, elle m’a apporté un petit paquet avec des pralinés ».

En tout début de matinée, les juifs raflés dans l’agglomération lilloise sont amenés à la gare de Fives.

« Nous étions rue du Grand Balcon, avec mon amie Yvette Saint-Maxent lorsque nous avons aperçu des habitants du quartier s’approcher d’un grillage qui formait l’enceinte de la gare de Fives. Nous avons vu des personnes passer [de l’eau] et du pain à des juifs qui se trouvaient de l’autre côté de la gare. Puis un peu plus tard, alors que nous observions ce spectacle nous avons vu des cheminots autour d’un train récupérer deux enfants qui sont sortis par l’ouverture étroite des wagons. Je n’ai pas vu beaucoup d’Allemands à ce moment-là. J’ai vu deux nourrissons être sortis de cette façon. »

France NEUBERT, infirmière à la clinique Ambroise Paré.

Coll. Famille NEUBERT

Sac à dos.

Photo H. Priego

Témoignage de Paulette SMEKENS, fille de Paul SMEKENS qui avec son ami Louis SAINT-MAXENT est l’un des membres fondateurs du groupe Voix du Nord de Fives.

France NEUBERT, infirmière à la clinique Ambroise Paré. a été informée de la rafle par un policier. Avec l’accord de ses cheffes Thérèse MATTER et Eva DURRLEMAN, elle porte des vivres à la gare. Elle parvient à persuader Mme BARAN, qui a accouché trois mois plus tôt à la clinique, de lui confier son petit Michel. Ce dernier est caché dans un sac à dos de toile. France est aidée par un cheminot qui la fait entrer chez lui pour rafraîchir le bébé avant de l’accompagner sur la route de la clinique.

Plan de la gare de Lille-Fives.

Photo de M. et Mme BARAN, avec le petit Maurice.

Coll. BARAN-MARSZAK

Georgette FRANCHOIS, employée de maison chez les BARAN, leur apporte quelques effets personnels à la gare. Elle décide d’emmener le petit Maurice. Le prenant par la main, elle prétend l’amener aux toilettes. Une sentinelle ferme délibérément les yeux, et Georgette parvient à sortir l’enfant qu’elle amène dans un café des alentours. Plus tard, elle le conduit chez ses parents à Loon-Plage.

Azénia et Marcel DESCHRYVER.

Coll. Famille DESCHRYVER

Azénia et Marcel DESCHRYVER se trouvent plongés au cœur des événements. Marcel est cheminot et Azénia est la nourrice des enfants ADAMSKI, Eric et Fella. Lorsqu’elle apprend leur arrestation, Azénia se rend en gare au prétexte d’apporter son repas à Marcel, munie de l’uniforme d’écolier de son fils. Elle passe Éric au-dessus des urinoirs le long de la voie pour lui faire gagner la cabine d’une locomotive. Fella est vêtue de l’uniforme d’écolier, hissée sur le vélo d’Azénia puis cachée sous un bureau du bâtiment principal.

Des cheminots de Fives, pour certains déjà engagés en Résistance au sein de la Voix du Nord, décident spontanément de cacher ou d’évacuer un maximum de personnes.

Avec la complicité du chef de gare Jean MABILLE, les cheminots René DOUCE, Louis SAINT-MAXENT et Roger MILLIEN cachent une dizaine de personnes dans une salle servant de dortoir au premier étage du bâtiment principal.

« Le personnel des trois grands services du chantier de Fives, douloureusement ému du sort réservé à ces individus de toutes conditions et de tous rangs et de tous âges, dans un élan spontané de solidarité, s’est empressé de leur porter secours et a employé tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour soustraire ces infortunés à leurs oppresseurs qui devaient les emmener en fin de journée par un train spécial amorcé à Lens vers les bagnes nazis ».

Rapport de Jean MABILLE.

Coll. Musée du 5 juin 1944 Message Verlaine, Tourcoing

Originaire de Coudekerque-Branche (banlieue de Dunkerque, Nord), Marcel HOFFMANN sauve 16 personnes – principalement des enfants – qu’il évacue de la gare, notamment en les faisant passer par une fenêtre du bâtiment principal ou en détournant l’attention d’une sentinelle allemande.

Coll. Famille HOFFMANN

Jean et Oscar STULZAFT, s’échappent ainsi grâce à HOFFMANN et sont recueillis par un ami de leur père, originaire de la Tchécoslovaquie de 1942. Après s’être assurée que les enfants ont pu fuir, leur mère accepte également l’aide de HOFFMANN.

Coll. Famille STULZAFT

Jean MABILLE.

Coll. Musée du 5 juin 1944 Message Verlaine, Tourcoing

Arrêté avec ses parents et ses quatre frères et sœurs, Abraham KEJNIGSMAN a la vie sauve grâce à Marcel HOFFMANN qui lui permet de fuir par la fenêtre du bâtiment principal. Coll. Famille KENIG

Arrivée l’après-midi dans le train spécial amenant les juifs de Lens, Valenciennes et Douai, la petite Henriette LERNER est emmenée par la main par HOFFMANN qui a réussi à convaincre ses parents. Ils passent ensemble sous une locomotive à l’arrêt et de là hors de l’enceinte ferroviaire. Henriette témoigne qu’alors qu’elle se retourne pour voir ses parents, elle croise le regard d’un Allemand qui pourrait la trahir mais choisit de se taire.

 

Après l’arrivée de ce train, les Allemands resserrent le dispositif de sécurité. Seules quelques personnes de Lens et ses environs peuvent désormais être évacuées ou s’enfuir.

Henriette avec sa maman.

Coll. Famille LERNER

À la nuit tombée, René DOUCE, Louis SAINTMAXENT et Roger MILLIEN se réunissent chez Marcel SARAZIN, un débitant de boissons.

Avec l’aide du garde-barrière Paul BANQUART, ils installent une échelle contre le mur d’enceinte de la gare, depuis la rue du Grand Balcon, afin de faire sortir la dizaine de personnes cachées toute la journée dans le dortoir.

Parmi elles se trouve Hélène ZUPNIK et sa mère Chaja.

Coll. Famille ZUPNIK

En ce 11 septembre 1942, les 25 cheminots dont la participation est connue à ce jour parviennent à sauver au moins 41 personnes - dont 28 enfants - de la déportation.

« Le lendemain, les cheminots Mrs (sic) René DOUCE et Louis St. MAXENT organisent les premiers secours pour les enfants sauvés, hébergés provisoirement dans des familles. Ils font une quête parmi leurs camarades de travail auprès de qui ils trouvent le meilleur accueil. Des quêtes sont faites également parmi les juifs épargnés, ce qui permet aux cheminots de porter aux familles dévouées les subsides nécessaires ».

Extrait d’un rapport écrit par le rabbin Joseph M. BRANDRISS, Léon LESER, et Suzanne LE GRY.

Coll. Famille LESER

Un Comité de secours est constitué entre juifs et non-juifs, comprenant au départ les cheminots René DOUCE, Louis SAINTMAXENT et Paul SMEKENS et les juifs Léon LESER, Simon PRECHNER et Alexandre RABINOWITCH, plus connu sous le nom de RABY.  Le Comité est discrètement aidé par l’épouse du préfet CARLES, née dans une famille juive.

Très vite, les bonnes volontés s’organisent : Louis SAINT-MAXENT approche son voisin Simon PRECHNER, un juif naturalisé français. Ils habitent tous deux rue des Brigittines à Lille.

Simon PRECHNER au milieu en bas avec son chat, Louis SAINT-MAXENT en bas à gauche, René DOUCE debout au milieu de la rangée du haut. Coll. Famille DOUCE

Dès octobre 1942, Paul SMEKENS est arrêté par la GFP de Lille pour ses activités de résistance au sein du mouvement Voix du Nord. René DOUCE est à son tour arrêté en décembre 1942 pour «menées communistes».

Extrait du rapport sur le Comité de secours présentant son organisation.

Coll. Famille LESER

Le Comité s’appuie notamment sur un réseau de fonctionnaires municipaux et de policiers sympathisants comme :

- M. HAUTCŒUR et TRICOTEUX, chefs de service du ravitaillement de la Mairie de Lille, pour les tickets de rationnement.

- Les Commissaires de police AUTEM et PETIT et les Inspecteurs DURIBREUX et HONNART ainsi que M. CARETTE et DELVALLÉE pour les faux papiers d’identité, faux cachets ou fausses déclarations.

 

- M. DESMARAIS, employé à l’état-civil de la Mairie de Lille, pour les faux certificats de naissance.

Après-guerre, Léon LESER établit la liste des nombreuses personnes aidées par le Comité de secours.

Coll. Famille LESER

Les rescapés, en particulier les enfants, sont dispersés dans la région par différents moyens.

À côté de sauvetages individuels, comme celui de Maurice BARAN, se mettent en place de véritables         « filières ».

LA « FILIÈRE CATHOLIQUE »

Afin de sauver les enfants juifs, Léon LESER sollicite l’aide du cardinal LIÉNART, qui ne donnera jamais suite à sa démarche.

Il est mis en relation avec l’abbé Robert STAHL qui accepte d’accueillir de nombreux enfants sortis par les cheminots, mais aussi des enfants dont les parents ont échappé à la rafle. Ils seront disséminés dans les trois institutions qu’il dirige dans la région de Lille : au Buisson à Marcq-en-Barœul, à l’école Notre Dame de Loos et à l’orphelinat Saint-Pierre de Bouvines (Nord).

Léon LESER apprend que l’abbé STAHL a aussi discrètement accueilli dans ces institutions une trentaine d’autres enfants juifs de Paris, venant de la Fondation Rothschild et de l’Orphelinat de la rue Cadet.

David BUGAJSKI avec sa mère, sa sœur Sarah, Maurice BLANK, et une fillette inconnue devant l’orphelinat du Buisson.

Coll. Famille BUGAJSKI

À droite, l’Abbé STAHL.

Coll. Yad Vashem

Edgard et Charles-Henri, les enfants de Léon LESER, sont eux-mêmes cachés à l’orphelinat Notre Dame à Loos. « De bons petits catholiques ! », témoignera plus tard Edgard.

Photo de Maurice et Michel BARAN, réunis à la Libération et adoptés par la famille MARSZAK. Coll. Maurice BARAN-MARSZAK

LA « FILIÈRE PROTESTANTE »

La communauté protestante de la région Nord-Pas-de-Calais se mobilise également pour sauver les enfants juifs. Le pasteur Henri NICK en est la figure tutélaire en sa paroisse de Lille.

Il recueille lui-même des juifs, les place à Roubaix chez le pasteur PASCHE, dans des préventoriums à Trélon (dirigé par Jeanne ROUSSELLE et Anne-Marie CAPITAIN) ou à Saint -Jans- Cappel, et aide les infirmières Thérèse MATTER et Eva DURRLEMAN de la clinique Ambroise Paré de Lille.

C’est cette clinique qui accueille le petit Michel BARAN, sorti clandestinement de la gare de Fives dans le sac à dos de l’infirmière France NEUBERT.

Le pasteur PASCHE.

Coll. Famille PASCHE

Le fils du Pasteur, le Docteur Pierre-Elie NICK, réside dans un secteur plus sûr à Inchy près de Cambrai. Il y organise un réseau d’entraide, fait établir des faux papiers, et héberge lui-même des rescapés tandis qu’il trouve un lieu d’accueil pour d’autres.

Edgard LESER au centre en enfant Jésus,

Noël 1942 à l’orphelinat Notre-Dame.

Coll. Famille LESER

Pierre-Elie NICK (debout à gauche) ses deux frères et son père (assis à droite).

Coll. Famille NICK

Les 496 hommes, femmes et enfants juifs raflés dans le Nord-Pas-de-Calais ce 11 septembre 1942 sont emmenés à Malines en Belgique en fin de journée. Le camp de rassemblement a ouvert le 27 juillet 1942 dans la caserne Dossin avec le premier groupe de juifs arrêtés à Anvers. Ce lieu a été choisi pour sa situation stratégique à mi-chemin entre Anvers et Bruxelles ainsi que pour sa liaison ferroviaire avec l’Est de l’Europe.

 Coll. Musée de la Résistance, Bondues

Les documents personnels sont confisqués et les personnes arrêtées doivent signer une déclaration de cession de leurs biens au Reich allemand. Parmi elles se trouvent Mordka et Rachel GOTHELF de Valenciennes accompagnés de leurs deux enfants, Jacob (9 ans et demi) et Mathilde (2 ans).

Coll. Archives générales du Royaume

La caserne Dossin est dirigée successivement par les major SS Philipp Schmitt et Johannes Frank. Le personnel d’encadrement est constitué en majorité d’Allemands mais aussi de quelques auxiliaires flamands. Le lieu a comme particularité d’avoir été organisé dans le seul but d’emmener les juifs à l’est pour être assassinés. 351 tsiganes y transiteront également

En 1942, les détenus juifs restent quelques jours à Malines, le temps de former un convoi suite à d’autres arrestations. En 1943- 1944, plus de 2 000 personnes peuvent se trouver en même temps dans la caserne, en attente d’un convoi ou d’une décision car elles relèvent d’une situation administrative particulière. Les conditions d’hygiène et de ravitaillement sont déplorables, la promiscuité empêche toute intimité.

Les juifs religieux sont particulièrement persécutés et subissent diverses humiliations. Photo prise entre le 2 et le 8 août 1942, humiliation de rabbins et de Juifs orthodoxes, dans la cour de la Caserne.

Coll. Kazerne Dossin / Fonds Schmid

Convoi de Malines (Belgique) à Auschwitz (Pologne), 15-17 septembre 1942.

Le 1er convoi pour Birkenau part le 4 août 1942. Le 15 septembre, le convoi X, composé de voitures de 3ème classe, emmène les 1 048 détenus juifs raflés dans le Nord-Pas de Calais et en Belgique en direction du camp d’Auschwitz.

Le convoi X arrive à Auschwitz le 17 septembre. À cette date, les chambres à gaz n’ont pas encore été construites. 717 personnes sont assassinées dans les deux maisons situées au fond de Birkenau, transformées en chambres à gaz. 331 personnes entrent quant à elles dans les différents camps du complexe concentrationnaire. Parmi elles, Frieda THAU qui témoigne ainsi de son arrivée : « On ne se doutait pas de ce qui nous attendait ».

Certains déportés sont sélectionnés pour travailler. Un matricule leur est tatoué sur le bras. Ils connaissent la faim, le typhus et autres maladies, les brimades et les coups. Frieda THAU témoigne : « Quinze jours ou trois semaines après mon arrivée, il n’y avait plus personne de mon transport ».

Camp de concentration d'Auschwitz.

Photo E. Bacquet.

Remboursement des biens spoliés.

Coll. Musée de la Résistance, Bondues.

Le convoi X du 11 septembre 1942 ne compte que 15 survivants du Nord-Pas-de-Calais. Parmi eux, Frieda THAU est rapatriée par les Pays-Bas au printemps 1945 après être passée par Ravensbrück. Arrivée à Lille elle reçoit une carte de déportée et 2000 francs.

Survivants et rescapés tentent de retrouver une vie normale mais les difficultés sont nombreuses.

Roger ROOS, qui s’était caché à Moissac (Tarn-et-Garonne), rentre à Lille et multiplie les démarches pour récupérer ses biens dont l’immeuble de La Botte Chantilly à Lille. La procédure dure jusqu’en 1950.

Cet après-guerre est un temps de deuil. Les parents ROOS apprennent que leur fils Pierre, âgé de 15 ans et déporté le 30 juin 1944 par le convoi 76, est mort en Pologne après son internement à Monowitz.

Photo de Lili à Berck en 1946 et lettre de Robert ROSENBERG.

Coll. famille ROSENBERG

Les trois enfants ROSENBERG déportés en décembre 1943 à Ravensbrück puis Bergen-Belsen rentrent en France en avril 1945 par l’hôtel Lutétia sans leurs parents et à bout de forces. Placés par la Croix Rouge dans un préventorium à Hendaye, ils retrouvent leur mère mais pas leur père assassiné à Buchenwald peu de temps avant la libération du camp.

Henriette LERNER témoigne avoir appris la mort de ses parents en écoutant à travers une porte chez son oncle maternel.

Coll. famille LERNER

Dans l’immédiat après-guerre la transmission de l’expérience concentrationnaire est difficile, et celle du génocide plus encore. Frieda THAU rapporte qu’elle a raconté sa déportation à sa famille juste après la guerre, puis a décidé de se taire.

Les communautés juives se reconstituent à Lille comme à Lens. Beaucoup entreprennent des démarches de naturalisation et participent à des associations juives.

Photo de la jeunesse juive à Lille à la Libération. Coll. famille LESER

Photo du 1er train qui quitte Lille après la Libération. Marcel DESCHRYVER indiqué en bleu ciel.

Coll. famille DESCHRYVER

Les héros du 11 septembre 1942 se taisent également. Certains sont inquiétés comme l’abbé STAHL accusé de trafic de bons d’alimentation. Il est incarcéré brièvement pour être innocenté en 1946. À l’image de Marcel DESCHRYVER, les cheminots reprennent le travail.

Lors de la cérémonie du 11 septembre 2016, une plaque commémorative est dévoilée à la gare de Lille-Fives. Elle met à l’honneur les 24 cheminots reconnus à cette date dans le sauvetage du 11 septembre 1942 (un 25ème cheminot a été identifié depuis).

Parmi eux, le cheminot Marcel THUMEREL a reçu le titre de Juste en 1994 pour avoir caché les époux INGWER et leurs deux fils Léon et Jacques.

Le concept de Juste qui vient de la littérature talmudique est crée en 1953 par l’État d’Israël pour désigner toute personne non juive qui a sauvé des juifs au péril de sa vie.  Depuis 1963 une commission  de Yad Vashem décerne le titre de « Juste parmi les nations » à l’issue d’une enquête reposant sur des témoignages concordants.

Photo Nord-Eclair : Edgard LESER tenant la photo de sa camarade morte en déportation, Micheline TEICHLER.

Coll. famille LESER

À ce jour 91 personnes du Nord-Pas-de-Calais ont reçu ce titre. On trouve parmi eux l’abbé STAHL, les pasteurs Nick et PASCHE, Eva DURRLEMAN, Thérèse MATTER et France NEUBERT, Léon et Germaine COGHE, ou encore ici l’abbé Oscar ROUSSEAU.

Coll. Musée de la Résistance, Bondues

Plusieurs historiens ont entrepris des recherches pour retrouver les cheminots et leurs familles.

 

Des déportés et des enfants cachés comme Edgard LESER ont également choisi de témoigner dans les établissements scolaires.

Ce travail d’histoire s’inscrit dans un contexte de mémorialisation de la Shoah qui a pris naissance pendant les événementsmêmes avant de se muer en commémoration intime après-guerre. Le procès Eichmann (1961) en Israël replace le sujet sur la scène publique à partir de la fin des années 60 à la faveur des travaux historiques, dans un contexte de disparition progressive des témoins et de développement du discours négationniste. Mais aujourd’hui encore, certains déportés ou rescapés du 11 septembre 1942 ne souhaitent pas s’exprimer.

La caserne Dossin de Malines est devenue un lieu de mémoire .

Des plaques et mémoriaux ont été installés dans plusieurs sites du Nord-Pas-de-Calais pour incarner l’histoire de l’événement, rendre leurs noms aux victimes et honorer les Justes de la région.

Photo E. BACQUET

Le complexe d’Auschwitz est devenu musée d’État en 1947, et fait partie du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.

Pour plus de détails sur ce sauvetage, n'hésitez pas à contacter l'association

Lille-Fives 1942, mémoire du sauvetage du 11 septembre

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