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« Hommes 40 – Chevaux (en long) 8 », mais encore ?

En août et septembre 1914, des milliers de soldats ont été acheminés par le rail depuis leurs garnisons jusqu’au front. Ces transports, dits de concentration, n’ont pu être effectués que grâce à la mobilisation de centaines de voitures de 3e classe et de wagons couverts aménagés (ou non) au moyen de bancs mobiles stockés par les compagnies ferroviaires en prévision d’un éventuel conflit armé. Nous nous intéresserons ici à ces seuls wagons et à leurs principaux utilisateurs, les hommes de l’infanterie.

Bruno Carrière


Les wagons dont il est question doivent répondre à des critères précis :

- des dimensions minimales fixées à 6 m pour la longueur (5,93 m à l’intérieur), 2,50 m pour la largeur, 1,98 m pour la hauteur (mesurée sous les courbes du plafond) ;

- des étriers ou des marchepieds longitudinaux afin de faciliter l’accès aux deux portes latérales ;

- des portes roulantes, à un ou deux vantaux, offrant une ouverture d’au moins 1,45 m et une hauteur minimum de 1,895 m, dotées d’un système de fermeture susceptible d’être facilement manœuvré de l’intérieur ;

- des volets à glissières ou se rabattant à l’extérieur de 0,50 m sur 0,30 m au minimum pour l’aération (placés dans les portes si leur nombre est réduit à deux) ;

- un éclairage de nuit assuré par des lanternes ;

- des plaques indicatrices pour les trous de boulon des appareils Bry (suspension des blessés).


Le nombre d’hommes à embarquer est indiqué sur un cartouche placé sur chaque paroi longitudinale. Lorsque cette indication comporte deux chiffres, le premier s’applique aux hommes équipés, le second aux hommes non équipés. Lorsqu’il n’y a qu’un chiffre, il s’applique aux hommes équipés ou non. Dans les wagons non pourvus de bancs, le nombre d’hommes à embarquer est le nombre maximum indiqué sur le cartouche.


Chaque wagon comprend deux lots de quatre bancs chacun, répartis longitudinalement de part et d’autre des portes. Chaque lot est constitué de deux madriers (supports) et de cinq planches (quatre assises, un dossier central). L’agencement des bancs varie en fonction de la longueur des wagons.


Cinq catégories de wagons sont prises en compte :

- wagon avec cartouche 32-40 = longueur intérieure de 5,80 m à 5,93 m ;

- wagon avec cartouche 36-40 = longueur intérieure de 5,94 m à 6,43 m ;

- wagon avec cartouche 40 = longueur intérieure de 6,44 m à 7,40 m ;

- wagons avec cartouche 44 = longueur intérieure de 7,40 m à 7,90 m (un banc supplémentaire est placé contre l’un des petits côtés) ;

- wagons avec cartouche 50 = longueur intérieure de 7,91 m à 9,00 m (un demi-banc supplémentaire

– 2 supports, 2 assises, 1 dossier – est placé dans le prolongement de l’un des demi-bancs du milieu).


Dans les wagons pourvus de bancs mobiles, les armes sont assujetties au moyen de pitons et de courroies (de sac ou de corde). Le chef de wagon place un premier fusil verticalement, la bretelle en avant, contre la paroi du petit côté dans l’espace dévolu à cet effet entre les bancs. Il visse un piton dans la paroi du wagon, la tige touchant la monture de l’arme et à cinq centimètres environ au-dessous de l’embouchoir. Les autres fusils sont placés côte à côte dans la position qui vient d’être indiquée. Les armes en place, le chef de wagon visse un deuxième piton contre le dernier fusil et passe une courroie de sac ou un cordeau dans les pitons de manière à embrasser toutes les armes en les serrant fortement les unes contre les autres.


Monter dans les wagons constituant les trains de concentration, un exercice qui ne laissait rien à l’improvisation. La Science et la Vie, avril-mai 1916. Coll. Rails et histoire.

Les sacs des hommes assis au milieu du wagon ou sur le banc supplémentaire adossé au petit côté sont rangés, autant que possible, sous les bancs. Les sacs qui n’y peuvent trouver place, ainsi que ceux des hommes assis le long des grands côtés, sont déposés dans les espaces laissés libres.


Dans les wagons non aménagés, les armes sont arrimées par groupes de dix contre les petits côtés du wagon et assujetties au moyen de pitons et de courroies ou cordeaux. Les sacs sont disposés à plat sur le sol du wagon, à savoir : la moitié contre les grands côtés, l’autre moitié sur deux files, le long de la ligne médiane. Les hommes s’assoient sur leur sac ou, à défaut, sur leur manteau.


La durée de l’embarquement (comme du débarquement) ne doit en aucun cas dépasser une heure et demie.


L’exercice n’est pas nouveau pour les hommes, puisque inscrit au programme de tous les conscrits lors de leur passage sous les drapeaux. L’instruction prévoyait, en effet, un apprentissage progressif qui, amorcé à la caserne même, se terminait, au mieux, dans la gare la plus proche. Pour ce faire, on se contentait, dans un premier temps, de figurer à même le sol, à la pioche ou avec des cordeaux, des « cadres » rectangulaires de 2,40 m de large et d’une longueur variant de 5,80 à 9 mètres, que l’on garnissait avec des bancs du casernement. Un dispositif de madriers verticaux représentant une portion de petit côté de wagon de marchandises permettait d’enseigner le placement des sacs et le mode d’attache des armes. C’est ainsi que tous les appelés se familiarisaient par petits groupes avec les opérations d’embarquement et de débarquement. Plus rares étaient les exercices réels en gare. Regroupant plusieurs unités, ils permettaient d’approcher la réalité, sauf pour l’attache des fusils qui n’était jamais exécutée afin d’éviter de dégrader les wagons mis à disposition par les compagnies !


L’embarquement est précédé, en dehors des emprises ferroviaires, du « fractionnement », opération qui consiste à diviser la troupe en groupes correspondant à la contenance des wagons mis à disposition, chaque groupe ayant à sa tête un « chef de wagon », caporal ou brigadier. Le fractionnement terminé, la troupe se transporte en colonne par quatre vis-à-vis du train. Chaque fraction marche à deux pas de celle qui la précède pour s’arrêter devant le wagon qu’elle doit occuper et y faire face. Le chef de wagon fait alors serrer les files de manière à ne pas dépasser la longueur dudit wagon.


L’embarquement des hommes commence à la sonnerie de « En avant ». À ce signal, les hommes enlèvent leur sac et le posent à terre devant eux. Le chef de wagon et quatre hommes (deux par demi-wagon) embarquent les premiers, avec pour mission de ranger les armes et les sacs que leurs compagnons leur font passer successivement. L’opération terminée, ceux-ci montent à leur tour selon un ordre précis pour gagner la place qui leur a été préalablement assignée. Le chef de wagon s’assure ensuite de l’ouverture sans problème de la porte depuis l’intérieur. Notons cependant que le soin de fermer la porte avant le départ incombe exclusivement au personnel des chemins de fer. Pendant le trajet, il est prescrit aux hommes de desserrer les lacets de leurs brodequins afin d’éviter le gonflement de la jambe. Dans tous les cas, le pantalon ne doit jamais rester engagé dans les chaussures.


L’embarquement terminé, un sous-officier écrit à la craie, à côté du numéro d’ordre, l’indication de la fraction qui l’occupe (1er, 2e, 3e wagon...). Les inscriptions sont reproduites de l’autre côté des véhicules. Elles servent de repère aux hommes qui ont été autorisés à descendre lors d’un arrêt du convoi.

L’équipement des wagons couverts pour le transport des soldats était programmé de longue date. Chaque compagnie ferroviaire avait en stock les bancs nécessaires à cette opération.

On parle presque toujours des wagons « Hommes 40 – Chevaux (en long) 8 ». C’est oublier que les wagons ne correspondaient pas tous à ces critères.

Si les wagons de 6,44 m prévus pour le transport de 40 hommes prédominaient, d’autres étaient limités à 32 hommes (wagons de 5,80 m) et certains pouvaient accueillir jusqu’à 50 hommes (wagons de 7,91 m).

La disposition des bancs était adaptée à la capacité d’accueil de chaque wagon, ainsi que les espaces réservés à la dépose des fusils et des havresacs.

Aussi important que celui des hommes était le transport des chevaux à une époque où la motorisation des armées n’était encore qu’à ses débuts.

Il est interdit aux soldats embarqués :

- de passer la tête ou les bras hors des portes ou des volets d’aération ;

- de procéder pendant la marche à l’ouverture des portes et volets, ou à la fermeture desdits volets ;

- de pousser des cris et de chanter ;

- de fumer au cas où, par les grands froids, il y aurait de la paille sur le plancher ;

- de jeter hors des wagons des objets quelconques et notamment des bouteilles pouvant blesser les agents en service sur la voie.


Les hommes ne sont autorisés à descendre que lorsque l’arrêt du train est supérieur à dix minutes. Une dérogation à la règle est cependant tolérée pour ceux qui seraient « pressés de besoins urgents ». Les hommes ne descendent qu’à la sonnerie « halte ». Ils laissent leurs armes dans les wagons et doivent sortir exclusivement par les portes ouvrant du côté du quai ou du trottoir. Trois minutes avant le départ, à la sonnerie « en avant », les hommes remontent en wagon. Ils sont libres de ne pas descendre ou de remonter avant le signal du rembarquement.


Lorsque l’accès aux buvettes et buffets n’est pas interdit, seuls deux hommes par wagon sont autorisés à y pénétrer, chargés de faire les achats de leurs compagnons.


À la dernière halte avant l’arrivée, les hommes sont invités à rectifier leur tenue et à se tenir prêts à débarquer.


« Sur les quais d’embarquement »


« Il faut avoir vu l’embarquement d’un corps d’armée pour se faire une idée de la tâche accomplie par chaque compagnie. Les hommes, tant en raison de la gravité de l’heure qu’à cause de la discipline militaire, sont admirables de méthode. Pas de confusion dans les embarquements. Chaque compagnie d’infanterie (250 hommes sur pied de guerre) rangée sur le quai monte en wagon au sifflet. En quelques minutes, c’est fait : le sac sert de siège dans les wagons à bestiaux, et le fusil de soutien. Un régiment sur pied de guerre comprend 3 bataillons de 1 000 hommes, soit 3 000 hommes. À 38, 39 hommes en moyenne par wagon, il faut deux trains entiers de 40 à 50 wagons pour transporter un régiment. Le transport des voitures régimentaires, des sections de mitrailleuses, cuisines de campagne et chevaux des officiers, nécessite un certain nombre de wagons supplémentaires. Comme il y a 8 régiments d’infanterie par corps d’armée, il faut 16 trains au minimum pour les transporter et il faudra en outre 2 trains pour le matériel de campagne qui en fait partie. »

« Une guerre de chemins de fer », Lectures pour tous, 1er avril 1915-15 septembre 1915, p. 759.

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